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Quel enseignement peut-on tirer de la révélation coranique et de la tradition prophétique quant à leur posture face à la dérision?
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Face à l'abject attentat ayant décimé la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, on doit se poser plusieurs questions, dont le niveau de tolérance de l'islam vis-à-vis de toute dérision face à des choses considérées comme sacrées. Alors qu'outrage et profanation suscitent quasi automatiquement réprobation voire désir de vindicte de la part des croyants, quel enseignement peut-on tirer de la révélation coranique et de la tradition prophétique quant à leur posture face à la dérision? S'il faut bien sûr réfléchir dans un cadre comparatiste plus large que l'islam, ces lignes ne traiteront que de cette religion, plurielle et aux expressions sociologiques variées.

Si on suit W. von Humbolt, E. Kant et leurs successeurs, on doit admettre que chaque système linguistique renvoie à des perceptions particulières de soi comme de l'Autre et, en tant qu'expression et vecteur d'expériences passées, propose des représentations spécifiques du monde aux générations futures. J.-J. Rousseau parlait du langage comme représentant pleinement le pouvoir déformant de la culture. Peut-on en ce sens soutenir que le texte coranique, qui sacralise la langue arabe (idiome privilégié de la révélation : premier verset révélé sur ce sujet, XX, 113?), la prémunit contre les altérations du temps, en la pétrifiant sous le poids de la norme (la « renaissance », culturelle et linguistique, ne date que de la fin du XIXe siècle) et en paralysant ainsi (ou du moins en encadrant) la réflexion ? Les peurs de la première communauté des croyants, exprimées dans une langue coranique pleine d'exhortations menaçantes (pour conjurer des anxiétés et des frustrations accumulées), se seraient ensuite enracinées dans la psychologie des générations ultérieures, de telle sorte programmées pour ne pas remettre en cause le texte révélé et se croire toujours en deçà des attentes divines.

Ce sont là des hypothèses à ne pas occulter même s'il faut rester prudent, d'autant que beaucoup d'acteurs actuels (en l'occurrence les islamistes résidant en France) pratiquent une forme -d'ailleurs souvent inachevée- de polyglossie : arabe littéral imparfait, dialectal approximatif et français simplifié, avec donc des expressions (linguistiques) du monde variées, tranchées et peut-être contradictoires. Il faut aussi rappeler que le Coran, comme d'autres textes religieux, contient parfois beaucoup de violence, comme dans les nombreux versets appelant à batailler contre ceux professant des croyances différentes (non seulement les polythéistes, mais même les scripturaires): « Combattez ceux qui ne croient point en Allah [...] parmi ceux ayant reçu l'Écriture [...] alors qu'ils sont humiliés » (IX, 29). Que dit de plus la révélation d'elle-même ? Qu'elle est inimitable (XII, 13 ; X, 38 ; II, 23), inscrite dans l'Archétype céleste (XLIII, 4), d'origine divine (plusieurs versets), englobante (idem), etc. Pas question donc d'en nier le caractère sacré et impérieux.

On sait que le Prophète, le modèle par excellence (XXXIII, 21), s'il se laissait aller à quelques cruautés dans l'action (décollation de centaines d'hommes de la tribu juive médinoise de Banû Qurayza, torture puis meurtre du chef juif Kinâna lors de la prise de l'oasis de Khaybar, etc.), savait de sang-froid montrer de la clémence (amnistie quasi générale lors de la prise de La Mecque). Humanité et sens politique (selon les critères de l'époque). Hormis la félonie, la seule chose qu'il ne pouvait pardonner était que l'on badinât avec son statut de messager. Pour contrer les satires de ses ennemis, il avait ainsi « engagé » trois poètes médinois (Hassân b. Thâbit, Ka'b b. Mâlik et 'Abd Allâh b. Rawâha) qui attaquaient souvent l'honneur de ses adversaires. Puis, revigoré par la victoire de Badr (mars 624), le Prophète fit tuer la poétesse juive 'Asmâ' bint Marwân, qui avait déclamé des vers injurieux contre son statut. Le cheikh centenaire polythéiste Abû 'Afak fut lui aussi assassiné pour des strophes composées contre la nouvelle religion. Et le rabbin poète de Médine, Ka'b b. al-Achraf, animant une subversion anti-islamique à Médine par des diatribes railleuses, fut également occis dans un guet-apens.

Lors de la conquête de La Mecque (11 janvier 630 ?), l'amnistie exclut six hommes et quatre femmes (qui ne furent pas tous exécutés). Ibn Khatal, apostat, auquel deux esclaves licencieuses avaient coutume de chanter des poèmes caustiques qu'il avait lui-même composés contre le Prophète, fut trouvé accroché au voile de la Ka'ba puis tué, comme l'une des deux chanteuses, Arnab (l'autre, Fartanâ - ou Quraynâ ? - ayant pu s'enfuir). Sâra, une pleureuse affranchie de La Mecque qui fredonnait sur demande de la poésie railleuse contre Muhammad, fut aussi abattue. Le poète Miqyas b. Subâba, débauché et intempérant, qui errait gris dans le centre de La Mecque en déclamant des vers moqueurs contre le nouvel ordre moral, eut la tête coupée (il était aussi coupable de s'être vengé du musulman qui avait tué son frère - par erreur - après l'acceptation du prix du sang, puis d'avoir apostasié). Le poète Huwayrith fut aussi abattu (pour ses vers et avoir frappé les filles de Muhammad lors de l'émigration à Médine). Enfin, un condamné à mort, 'Abd Allâh b. Sa'd, ancien secrétaire de la révélation qui avait pris des libertés avec ce que lui dictait le Prophète (pour tester son inspiration et voir s'il n'était pas un simple devin s'exprimant en prose rimée), était rentré de Médine à La Mecque, où il avait apostasié. Il ne dut la vie sauve qu'à l'insistance de son parent, le futur troisième calife, qui apaisa Muhammad avant qu'il n'enjoignît qu'on lui tranchât la tête. Toutes ces informations (et bien d'autres, similaires) se trouvent dans les sources classiques : le biographe Ibn Hichâm (m. 828), l'historien des campagnes al-Wâqidî (m. 822), le polygraphe al-Tabarî (m. 923), etc.

La sacralité du Texte et la vénération due au Messager (s'exprimant surtout ex cathedra) rendaient toute irrévérence sacrilège, phénomène - fondateur - que le temps n'a pas atténué, au contraire, même sous l'effet d'une historicisation de la révélation entreprise ici et là, même de la part de musulmans peu croyants voire laïcs. Rares sont ceux à avoir brisé le tabou, comme Atatürk qui n'hésita guère à dire que le Prophète n'était qu'un bédouin misérable dont aucune muselière ne pouvait brider la libido (jugement faux, car Muhammad était un citadin). L'islam (comme d'autres croyances) ne cohabite donc pas bien avec la dérision, et les actes terroristes n'en sont que la face la plus tragiquement visible.

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