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Les Chefs sur Radio-Canada: une sauce qui a tourné

En télé comme en cuisine, les saveurs se perdent quand on coupe trop la sauce., saveur 2013, est une émission fade. Tous les mêmes ingrédients y sont pourtant, sauf qu'ils se perdent dans l'abondance de tous les irritants qui sont tolérables à petite dose, mais imbuvables lorsqu'il y abus.
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Rendez-vous estival émérite qui en est déjà à sa quatrième mouture pour notre télévision d'état, la brigade de l'émission Les Chefs fait désormais partie des habitudes télévisuelles québécoises entre deux boissons froides les lundis soirs.

Consommer hebdomadairement tout l'été durant, Les Chefs s'est imposé comme un apéritif de qualité avant la grande rentrée télévisuelle de l'automne. Du moins - c'était le cas jusqu'à ce qu'un certain malaise s'installe au cours de cette quatrième déclinaison du populaire rendez-vous.

Je m'explique.

À première vue, tout était en place pour la répétition d'un plaisir estival familier. Élyse Marquis aux commandes à l'animation, au lieu de Julie Bélanger, semblait être la seule modification notoire à la populaire émission. Même équipe de juges, même conseiller en cuisine (Daniel Vézina), même formule, même cuisine et même uniforme pour la brigade d'aspirants-chefs.

Comme de vieilles pantoufles que l'on retrouve par une froide soirée d'automne.

Sauf que l'usure des saisons se fait sentir cet été. Combinée à la présence accrue des commanditaires, comparativement aux années passées du moins, la sauce est plutôt en train de tourner au vinaigre pour le joyau estival de la SRC.

Un épisode en particulier illustre ce malaise: le huitième de la saison pour être précis. Cette semaine-là, les aspirants-chefs avaient la tâche de composer avec les aliments favoris des trois juges afin de concocter un plat gastronomique. Rien de trop dérangeant ici - des framboises, des artichauts et du céleri-rave. Une combinaison neutre, dans l'esprit de la compétition et laissant beaucoup de latitude aux participants. Bref, de la bonne télévision.

Sauf qu'à mi-chemin, l'animatrice s'est immiscée dans la conversation et est venue ajouter son «aliment favori» à elle: le yogourt grec. Le hic - Danone, avec sa marque Oikos, est l'un des principaux commanditaires de l'émission. Le logo de la marque est imbriqué dans la signature de l'émission avant et après chaque bloc publicitaire. Difficile de le rater, le yogourt grec de Danone est à la mode cette saison, un produit de plus en plus recherché sur les présentoirs de nos épiciers. Pour la suite de l'épisode, les concurrents devaient composer avec ce nouvel ingrédient, roulé au centre de la cuisine sur un charriot avec, bien en vue, les logos et les contenants de la marque. Contrairement aux autres aliments, présentés dans des contenants neutres, celui de Danone avait presque son projecteur attitré afin de ne pas rater le bleu caractéristique de la populaire marque.

En plus des essuie-tout en arrière-plan et de l'épicier vedette, l'équipe à la programmation a trouvé une façon ingénieuse, quoique peu subtile, d'inclure encore plus d'environnements commandités à l'intérieur du bloc narratif de l'émission. Contrairement aux pubs entre les segments de l'émission, aucune chance ici que le téléspectateur saute ce segment de l'émission simplement pour ne pas être confronté à cette sollicitation publicitaire. Au cœur de la diégèse suggérée de ce concours, le commanditaire s'impose désormais comme un véhicule narratif, embûche forcée à l'élaboration d'un récit télévisuel.

Bien qu'elle soit nécessaire au financement, sans aucun doute, doit-on vraiment se résoudre à cette surexposition publicitaire afin d'apprécier une télévision de qualité en français? Ou y a-t-il là un signe de fatigue de la part d'une équipe qui doit développer une quatrième saison (de trop?) avec les attentes conséquentes qui viennent avec le projet?

Qui plus est, le malaise ne se limite pas aux commanditaires de l'émission. Les participants, moins charismatiques peut-être, captivent moins que les trois brigades précédentes. Les juges, blasés peut-être, sont moins présents à l'écran et les commentaires sont de plus en plus répétitifs, voire prévisibles. Pour ce qui est des ateliers de Daniel Vézina, on parle plus d'une autre inclusion publicitaire, cette fois pour les Brasseurs du Nord et la bière Boréale, que d'un segment pertinent pour l'auditoire en quête d'enrichissement culinaire.

Autre piège qui semble ralentir la préparation cette saison: l'abus d'autopromotion et du multiplateforme. Les références à Twitter et au concours du Grand Jeu des Chefs agacent immensément, et ce dès les premières secondes chaque lundi. Si bien que l'envie d'effectuer une avance rapide devient pressante, voire incontournable, dès la présentation obligatoire de toutes ces bébelles qui ajoutent, supposément, à l'expérience de l'auditoire.

Au final, bien que divertissant, le produit télévisuel offert devient une mise en abime de publicités, de commanditaires et d'autopromotion laissant que trop peu de place à l'élément premier de l'expérience: l'émission en tant que telle et le concours culinaire qu'elle encadre.

Le malaise avec Les Chefs est peut-être aussi, tout simplement, symptomatique de son temps. La télé coûte cher, très cher, et elle est de moins en moins visionnée avec l'abondance des options pour l'usager. Afin de conserver ses miches - se réinventer semble être nécessaire.

Dommage que la nécessité, dans le cas qui nous intéresse, s'articule autour d'une dilution d'un produit qui était hautement apprécié par l'auditoire - comme en témoignaient les cotes d'écoute favorables depuis quatre ans. Cette année encore, les sondages BBM révèlent que Les Chefs s’impose comme étant l’émission fétiche des Québécois en été, ralliant environ 800 000 téléspectateurs chaque lundi, atteignant notamment une pointe de 911 000 personnes le 29 juillet.

En télé comme en cuisine, les saveurs se perdent quand on coupe trop la sauce. Les Chefs, saveur 2013, est une émission fade. Tous les mêmes ingrédients y sont pourtant, sauf qu'ils se perdent dans l'abondance de tous les irritants qui sont tolérables à petite dose, mais imbuvables lorsqu'il y abus.

Un peu comme le couvercle d'une salière rebelle qui s'enfouit au fond d'une marmite, trainant avec lui une abondance indésirable de sel pourtant nécessaire au succès d'une recette.

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