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Manifestations écologiques: la raison même de cette révolte, c’est l’éducation

C’est par l’éducation que ces jeunes ont compris qu’un danger planait, c’est en développant leur esprit critique qu’ils ont pu constater l’énorme fêlure de notre système qui nous engloutira d’ici la fin du siècle.
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La souffrance ne relève plus de l’abstraction. À quoi bon vivre, à quoi bon avoir des enfants, en sachant que ce que nous leur léguons, c’est un monde en débris?
Beckett Gladney via Getty Images
La souffrance ne relève plus de l’abstraction. À quoi bon vivre, à quoi bon avoir des enfants, en sachant que ce que nous leur léguons, c’est un monde en débris?

Cent cinquante mille jeunes au Québec descendent dans la rue aujourd'hui pour mettre le feu aux dogmes, pour demander un changement en toute urgence. Je me joindrai à eux cet après-midi, je me réfugierai dans leurs cris, je construirai ma maison dans leur solidarité, le seul endroit où je me sens en sécurité à une époque où l'inertie demeure la principale réponse aux inquiétudes.

Cent cinquante mille. Je l'écris en lettres, pour que ça fasse plus long, pour mettre l'accent sur la quantité. Je trouve refuge dans le nombre parce que les anxieux écologistes comme moi ont les nuits longues, seuls dans leur appartement, avec l'impression de lutter contre Goliath avec seulement le petit orteil de David.

Cet été, au cœur des canicules, je me suis trouvée écrasée sous le poids des nouvelles climatiques alarmantes. Je passais cinq heures par jour sur les réseaux sociaux à essayer de trouver une petite lueur d'espoir sous la pile de mauvaises nouvelles, sous les constats de scientifiques à travers le monde qui annoncent la fin de notre civilisation d'ici la fin du siècle prochain. Le siècle prochain. C'est demain. Ceux qui souffriront, ce sont mes enfants, mes petits-enfants.

La souffrance ne relève plus de l'abstraction. À quoi bon vivre, à quoi bon avoir des enfants, en sachant que ce que nous leur léguons, c'est un monde en débris?

Rapidement, assenée par ces pensées noires, je luttais contre mon propre corps, incapable de sortir du lit, la canicule me clouait sur mon matelas, j'avais l'impression d'être la seule à remarquer la supercherie qui nous avait été violemment enfoncée dans la gorge. Société de consommation, acheter tout, les modes, les saisons, les filtres Instagram, les nouveaux gadgets, les articles sur comment devenir riches dans sa vingtaine. Futiles. Futiles et dangereux.

En arrière-plan, loin des plateformes numériques et des médias de masse, des baleines ne retrouvent plus leur chemin dans leur propre habitat à cause de la pollution sonore. Des forêts magnifiques rasées pour élever le bétail qui ne servira qu'à nous engraisser, nous, riches Occidentaux.

J'essayais de m'endormir pour que la douleur passe. Pour que les pensées s'arrêtent. Pour retrouver le goût de vivre. Dans mon sommeil, les cauchemars s'enfilent et se ressemblent. Je cours dans des villages désertés, à couleurs post-apocalyptiques, je suis dans l'univers de Walking Dead au Québec. Je crie. Je hurle. Je continue de courir. Je cogne aux fenêtres, je donne des coups de pied aux portes, j'essaie de sonner l'alarme d'un déclin, de l'éminence d'un mur, d'une catastrophe. Personne ne répond. Je suis seule, je cours en rond. Je me réveille, trempée de sueur. J'ai à peine le temps de me rendre à la salle de bains pour vomir. Je vomis trois fois. Je retourne me coucher. Mon copain me frotte le dos. Il me dit que ça va bien aller. Je n'en crois pas un mot. J'espère que ma tête tournera moins demain.

Le lendemain, j'ouvre mon ordinateur pour reprendre mes cinq heures de mauvaises nouvelles compulsivement. J'accueille les catastrophes par intraveineuse numérique. Une jeune femme prononce un discours à l'ONU. Elle est jeune. Elle est brillante. Elle me touche profondément. Elle s'appelle Greta Thunberg. Je l'écoute parler, et je réalise qu'elle est la petite aiguille d'espoir que je cherchais dans la botte de foin du monde. Je m'accroche à ses paroles, je m'en abreuve. Je ne suis plus seule.

Aujourd'hui, je descends dans la rue avec les cent cinquante mille autres jeunes comme moi qui s'inquiètent profondément de notre avenir collectif.

Je me joins à leurs voix pour briser l'isolement des anxieux écologiques, pour mettre le feu à nos doxas qui nous bandent les yeux et nous tiennent en rangs fermés.

À ceux qui disent que les jeunes devraient retourner sur les bancs d'école pour s'éduquer au lieu d'aller manifester pour leur droit au futur, je vous réponds que la raison même de cette révolte, c'est l'éducation.

C'est par l'éducation que ces jeunes ont compris qu'un danger planait, c'est en développant leur esprit critique qu'ils ont pu observer le train-train quotidien en surplomb et constater l'énorme fêlure de notre système qui nous engloutira d'ici la fin du siècle.

C'est grâce à leur éducation que ces jeunes ont pu développer des idées allant à l'encontre des vôtres et avoir le courage de les revendiquer.

Les bancs d'école, en ce vendredi 15 mars, ils sont dans les salons des climatosceptiques qui devront apprendre à écouter le message que leur lancent les jeunes à travers le monde, un message qui se fonde sur des faits, sur la science.

Les bancs d'école, ils sont dans les salons des parlements où siègent les politiciens, les élèves du jour, qui devront eux aussi entendre le message qu'on leur lance et nous aider à sortir de notre inertie collective.

Aujourd'hui à la rue, je regarderai autour de moi, et je trouverai chez ceux qui m'entourent les visages qui auraient répondu aux portes de mon cauchemar. Ceux qui se seraient bousculés avec moi dans les catastrophes pour sonner l'alarme. Dans l'action, dans notre mouvement collectif, je serai apaisée. Plusieurs anxieux écologiques pourront dormir un peu mieux ce soir.

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