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« Trahison » au théâtre du Rideau vert

Dans la magnifique pièce d'Harold Pinter, Betrayal (1978), présentée au Rideau vert pour clore sa saison, la trahison est partout.
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On ne peut être trahi que par ceux qu'on aime et on ne peut trahir que ceux qu'on aime. S'il y a trahison, il y a forcément amour aussi. Et c'est pourquoi la trahison fait si mal. Qu'on la subisse ou qu'on la provoque, elle produit une douleur sourde parce que mêlée d'amour.

Dans la magnifique pièce d'Harold Pinter, Betrayal (1978), présentée au Rideau vert pour clore sa saison, la trahison est partout. Et elle est particulièrement lourde du fait qu'elle se situe au cœur d'un trio de personnes, deux amis de très longue date et l'épouse de l'un des deux, dont l'amour persiste et résiste coûte que coûte, même après l'éclatement.

Jerry et Robert sont amis depuis toujours, d'une amitié sincère et profonde, que rien ne peut altérer. Ils partagent le même goût pour la littérature, aiment se rencontrer pour déjeuner, faire du sport, discuter, collaborer dans leurs affaires. Tous deux sont maintenant mariés et ont fondé une famille avec enfants, vacances, activités et petits tracas ordinaires. Tout va bien pour eux. Robert a toujours aimé d'amitié Jerry, même un peu plus qu'il n'aimait Emma qu'il a épousée et qu'il aime. À son mariage, c'est Jerry qui était garçon d'honneur. Les deux couples et les deux familles se fréquentent. Tout le monde s'aime... Et puis Jerry et Emma sont devenus amants et ont commencé à mener une vie parallèle et secrète en se rencontrant dans un appartement loué sous un faux nom. La relation a duré 7 ans.

Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, n'a pas son pareil pour faire entendre l'inaudible, pour donner à percevoir ce qui n'est pas dit, n'arrive pas à être dit ni compris par les protagonistes eux-mêmes, le tout avec un certain humour glaçant. Tous les dialogues sont remplis de silences, de malentendus ou de sous-entendus, d'impossibilité de dire ou de donner à comprendre à cause du mensonge qui plane au-dessus d'eux et qui corrompt les sentiments sans retirer l'amour, qui rend les situations invivables, lourdes, insolubles, impossibles à démêler.

Jerry, Robert et Emma forment ainsi un trio qui n'est pas prêt à se séparer, ou du moins à renoncer à un amour au profit d'un autre. Ils sont pris dans un triangle dramatique où leurs rôles se transforment instantanément et comme dans un tourbillon entre les trois possibles que sont l'aimé, l'aimant et le trahi. Pire que tout, la révélation du mensonge, qu'on aurait pu croire salutaire et susceptible d'assainir la situation, ne change rien, voire la complique encore. Et pour donner à comprendre l'effet des révélations sur les différents personnages, Pinter ne raconte pas son histoire dans le sens chronologique normal, mais à rebours. Il débute par la fin, ce qui est génial, car il met le spectateur dans la situation des protagonistes qui découvrent après coup la perception erronée de ce qu'ils ont vécu autrefois et qui était fait de souvenirs heureux, en tout cas jusque-là...

Dans un décor sobre (peut-être un peu trop sobre) dont les éléments s'ajoutent au fil de la pièce comme pour rendre la situation toujours plus étouffante, les trois acteurs excellents font honneur aux dialogues subtils, à tous ces mots qui ne remplissent pas leur fonction de dire ou du moins qui disent, mais sans dire en étant accompagnés de maladresses, de douleurs, de lourdeurs, et qui éclairent en revanche un passé qu'on croyait heureux, mais qui était entaché du secret et des mensonges qui le recouvrait.

Trahison, du 8 mai au 9 juin 2018 au Théâtre du Rideau Vert à Montréal

Une pièce de Harold Pinter

Traduction de Maryse Warda

Mise en scène Frédéric Blanchette

Avec Julie Le Breton, François Létourneau, Steve Laplante

Décors Pierre-Étienne Locas

Costumes Mérédith Caron

Accessoires Claire Renaud

Éclairages André Rioux

Musique Yves Morin

Maquillages et coiffures Sylvie Rolland Provost

Vidéo HUB STUDIO

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

Trahison © David Ospina
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