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Marie Chouinard en ouverture des 20 ans de Danse Danse

Deux spectacles, trois œuvres très contemporaines, pour débuter la vingtième saison de Danse Danse : Marie Chouinard avait ouvert la première saison de Danse Danse il y a vingt ans.
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Deux spectacles, trois œuvres très contemporaines, pour débuter la vingtième saison de Danse Danse : Marie Chouinard avait ouvert la première saison de Danse Danse il y a vingt ans. Cette année, avec Le Cri du monde et Soft virtuosity, still humid, on the edge pour la première soirée et Jérôme Bosh : Le jardin des délices pour la seconde, elle déploie pour le public montréalais son incroyable talent.

Pour deux soirées seulement, les 26 et 27 septembre, deux ballets énigmatiques de 40 et 50 minutes ont été présentés au public, qui portent bien la signature de la chorégraphe québécoise de renommée internationale.

Dans Le Cri du monde, 12 danseurs (7 femmes et 5 hommes), pantalons ou shorts noirs collants et torses nus barrés d'une bande noire, vont au plus loin dans la désarticulation des corps au rythme d'une musique discrète qui s'intensifie par moments, presque inaudible à d'autres, et qui donne l'impression d'entendre ce qui nous est imperceptible dans la vie quotidienne mais qui existe bien, tout près de nous. Et les corps donnent aussi cette impression. À la manière d'une faune mystérieuse – peut-être microscopique – invisible à l'œil nu mais que nous aurions le privilège d'admirer pour l'occasion, les membres des danseurs se contorsionnent, leurs corps se déforment et les artistes parviennent à déplacer avec une précision extrême la moindre de leurs articulations, le moindre de leur muscle. Tout un monde de créatures étranges s'agite devant nos yeux, avec son instinct qui le fait se mouvoir avec automatisme, mais aussi avec ses drames, ses solidarités, peut-être ses moments de joies et de détresse. Les éclairages sont savamment agencés pour créer des tableaux magnifiques. Les corps se meuvent au son de cette musique qui semble refléter parfois le bruit de leurs mouvements mêmes. A d'autres, on croit entendre la musique d'un rhombe, comme si Le cri du monde représentait véritablement les visions qui accompagnent ce rugissement censé, dans certaines sociétés traditionnelles, nous mettre en relation avec un monde supra naturel.

Avec Soft virtuosity, still humid, on the edge, on revient parmi les êtres humains. Là aussi, les mêmes 12 danseurs, mais revêtus de pantalons souples, de longues tuniques et de chaussures qui associent les couleurs de bleu sombre et de noir. Des personnages vont et viennent en travers de la scène, marchent mais d'une démarche qui leur est propre et qui les définit. Presque caricaturales, ces manières de marcher ont un aspect comique mais plus souvent tragique. Car les démarches ne sont pas droites et équilibrées comme celles qu'on attendrait de danseurs mais au contraire claudicantes et de différentes manières. Pour ce spectacle, Marie Chouinard a choisi de projeter en direct, sur tout l'arrière de la scène, autant dire sur un écran vraiment géant, une bonne partie de ce qui se déroule sur la scène, parfois mis en abyme. C'est l'occasion de faire danser jusqu'aux visages des danseurs dont on peut dire que l'intégralité du corps se meut au rythme d'une musique encore étrange, parfois sérielle ou qui ressemble presque à un bruitage cinématographique. Parfois un couple tourne sur lui-même et semble échapper un temps à cette marche presque obligatoire. Une certaine détresse se dégage de ce deuxième ballet : quelque chose du tragique de la vie ordinaire.

Et toujours pour débuter la vingtième saison de Danse Danse, le public montréalais a, pour trois soirs seulement, la chance de découvrir le ballet de Marie Chouinard sur le tableau énigmatique et fascinant de Jérôme Bosch : Le jardin des Délices.

Tout le monde a en tête ce triptyque en bois on ne peut plus singulier du peintre flamand du 16 siècle. Fermé, il représente notre planète dans des couleurs grises très légèrement bleutées. Ouvert, il éclate de ses couleurs sur trois panneaux très différents qui font encore couler beaucoup d'encre sur leurs significations. Le panneau central serait l'humanité avant le déluge, celui de droite (pour le spectateur) représenterait l'enfer, et celui de gauche l'union d'Eve et de Adam.

Le ballet imaginé par Marie Chouinard sur cette œuvre grandiose est lui aussi grandiose et divisé en trois parties. Quand le spectacle commence, le tableau est fermé et visible sur un immense écran qui couvre le fond de la scène. Puis on le voit s'ouvrir lentement et se concentrer sur sa partie centrale avec ses nombreuses arbouses qui colorent le tableau de rouges, ses centaines de personnages nus, hommes et femmes, tournant autour d'une vasque centrale, ses animaux fabuleux, sa végétation luxuriante et ses constructions invraisemblables. Au son du chant des oiseaux, de l'eau qui coule et de bruits d'animaux indéfinissables, les danseurs s'approchent doucement. Ils paraissent tout droit sortis de l'œuvre du peintre avec leurs gestes imités de leurs représentations. Deux médaillons en vidéo sur les côtés montrent certains détails de l'œuvre de Bosch qui sont reproduites exactement par les danseurs. Marie Chouinard nous fait ainsi découvrir des détails de la gestuelle précise que l'on aurait moins remarqué sans elle, fasciné que l'on peut être par la foule d'autres éléments picturaux. Toute la chorégraphie magnifiquement pensée découle de l'observation précise des personnages imaginés par le peintre. Toute la grâce et l'élégance de leur gestuelle est restituée et offre ainsi une nouvelle interprétation du panneau, selon laquelle les personnages seraient peut-être des danseurs...

Le deuxième panneau est comme dans le tableau, illustré par une chorégraphie bien différente et qui en restitue l'ambiance; l'atmosphère à la fois effrayantes et grotesque. Pendant qu'une sorte de chanteur se contorsionne et pousse des cris, des êtres affolés pénètrent sur la scène et l'envahissent de dizaines d'objets, machines extraordinaires, outils de torture et autres instruments de musique, comme pour dire que l'enfer est celui des objets. Dans la troisième partie du spectacle, Adam et Eve sont démultipliés autour d'une figure divine qui permet leurs rencontres dans un monde tout à fait apaisé et qui clôt le spectacle.

C'est pour commémorer le 500 anniversaire de la mort du peintre flamand, en 2016, que Marie Chouinard a créé cette œuvre en son honneur. En se basant avec une grande précision sur les attitudes des personnages du tableau, elle a créé une chorégraphie qui restitue fidèlement ses impressions et permet d'en saisir les détails avec une grande acuité.

Depuis la fondation de sa compagnie (la Compagnie Marie Chouinard) en 1990, Marie Chouinard est applaudie partout dans le monde. Elle crée aussi pour d'autres compagnies telles que la Martha Graham Dance Company ou les Ballets de Monte-Carlo.

Le Cri du monde et Soft virtuosity, still humid, on the edge (Marie Chouinard), les 26 et 27 septembre 2017, au Théâtre Maisonneuve à Montréal

Jérôme Bosch, Le jardin des Délices, les 28, 29 et 30 septembre au théâtre Maisonneuve, à Montréal

Danse Danse

Le Cri du monde

Créé au Premiere Dance Theatre, Toronto, Canada, le 21 mars 2000

Chorégraphie et direction artistique Marie Chouinard. Musique originale Louis Dufort. Interprètes Charles Cardin-Bourbeau, Sébastien Cossette-Masse, Catherine Dagenais-Savard, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Morgane Le Tiec, Scott McCabe, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Clémentine Schindler. Lumières Axel Morgenthaler. Costumes Liz Vandal. Maquillage Jacques-Lee Pelletier, Liz Vandal.

Une production de la Compagnie Marie Chouinard en coproduction avec le Centre national des Arts (Ottawa, Canada).

Soft virtuosity, still humid, on the edge

Créé au COLOURS – INTERNATIONAL DANCE FESTIVAL, Theaterhaus, Stuttgart, Allemagne, le 26 juin 2015

Chorégraphie et vidéo Marie Chouinard. Interprètes Charles Cardin-Bourbeau, Sébastien Cossette-Masse, Catherine Dagenais-Savard, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Morgane Le Tiec, Scott McCabe, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Clémentine Schindler. Musique originale Louis Dufort. Scénographie et accessoires Marie Chouinard. Lumières Marie Chouinard, Robin Kittel-Ouimet. CostumesMarie Chouinard. Consultant vidéo Jimmy Lakatos.

Une production de la COMPAGNIE MARIE CHOUINARD, en coproduction avec COLOURS – INTERNATIONAL DANCE FESTIVAL (Stuttgart, Allemagne), avec l'appui du Festival international de danse ImPulsTanz (Vienne, Autriche).

Jérôme Bosch : Le Jardin des Délices

Compagnie Marie Chouinard

Danse Danse

Interprètes : Charles Cardin-Bourbeau, Marilyne Cyr, Sébastien Cossette-Masse, Catherine Dagenais-Savard, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Béatrice Larrivée, Morgane Le Tiec, Scott McCabe, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Clémentine Schindler.

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

Jérôme Bosch : Le jardin des Délices © Nicolas Ruel
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