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«Le tigre bleu de l’Euphrate» au théâtre Quat’sous

On assiste à du très beau théâtre de veine classique par son sujet et la richesse de son texte, mais très contemporain dans sa scénographie.
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« La mort n'est rien pour nous puisque, quand nous sommes, la mort n'est pas, et quand la mort est là, nous ne sommes plus » (Épicure, Extrait de la Lettre à Ménécée).

Si l'on en croit le texte du tigre bleu de l'Euphrate, la très belle pièce signée Laurent Gaudé, cette citation d'Épicure censée permettre de ne pas redouter la mort ne s'appliquerait pas à Alexandre le Grand; non pas que celui-ci l'ait redoutée, mais qu'il ait bien eu l'intention d'y être aussi présent que durant sa vie. Au IVe siècle avant notre ère, le roi de Macédoine, fils de Philippe et élève d'Aristote, qui fut l'incroyable conquérant que l'on sait, ne se satisfit pas d'obtenir des victoires guerrières partout où il s'était rendu, il voulut vaincre aussi le monde des morts dirigé par son dieu Hadès. Alexandre n'avait pas 33 ans et la maladie était sur le point de l'emporter...

Au début d'un brillant monologue d'une heure trente, Emmanuel Schwartz, qui incarne Alexandre, émerge lentement d'une scène élégamment dépouillée, dont les murs de toile sont les écrans de très belles projections vidéo entre tableaux figuratifs et abstraits, avec au centre, en guise de décor, seulement un lit et des draps blancs. Dans son temple de marbre, la chambre mortuaire du grand homme va ainsi, au fil de sa narration, se transformer en scènes de ses glorieuses conquêtes qui lui ont fait dominer la quasi-totalité du monde connu à l'époque.

Le propos de la pièce est particulièrement intéressant et parfaitement construit. Exaspéré par la présence de ses gens, dont ses 365 épouses, tous plus éplorés les uns que les autres, Alexandre malade réclame le silence et le départ de tous. Il veut en ce moment ultime de sa vie, être seul face au dieu du monde souterrain et avertir celui-ci qu'il ne va pas accueillir n'importe quel humain. Conquérant sur la terre, Alexandre sera conquérant également aux Enfers. C'est donc au tête-à-tête entre Alexandre et la personnification de la mort que nous assistons dans Le tigre bleu de l'Euphrate.

Et pour convaincre Hadès qu'il est un redoutable adversaire, Alexandre lui raconte son histoire, depuis sa naissance – qui produisit magiquement l'incendie du temple d'Éphèse - et dans tous les détails des victoires qu'il remporta en à peine plus de dix ans. Mu par un désir de vie et de pouvoir indéfectible, Alexandre, à vingt ans, avait conquis tout le savoir, puis toujours accompagné de son cheval Bucéphale, il mena ses armées partout dans le monde connu, sur terre et sur mer, traversant le Tigre et l'Euphrate, d'Issos en Perse à Alexandrie, la ville qu'il érigea pour sa gloire en Égypte, en passant par Tyr en Phénicie, et tant d'autres.

Le récit est puissant et très beau, rempli de détails effrayants des cruautés que subirent ses ennemis.

Le récit est puissant et très beau, rempli de détails effrayants des cruautés que subirent ses ennemis. Alexandre n'est toutefois pas présenté comme un conquérant fou et sanguinaire. Il est touché par la colère d'une femme qui ose l'invectiver. Mais mué par son désir de conquête, il ne peut que poursuivre. « Je meurs de faim, de soif et de désir », déclare-t-il au début de la pièce. Alexandre a un insatiable appétit de vivre et il lui faut toujours être le meilleur. Le récit est superbe et très fort, la performance d'Emmanuel Schwartz remarquable, la mise en scène excellente. On assiste à du très beau théâtre de veine classique par son sujet et la richesse de son texte, mais très contemporain dans sa scénographie. Le texte ouvre à de multiples sujets de réflexion. En ce qui me concerne, je me suis demandé pourquoi Alexandre, conquérant comme il l'était, n'avait pas réussi à conquérir aussi la maladie qui l'accablait. Peut-être son inconscient est-il intervenu pour lui faire croire que puisqu'il avait conquis le monde d'en haut dans sa totalité, il lui fallait maintenant s'attaquer à la conquête du monde d'en bas...

Le tigre bleu de l'Euphrate, du 17 avril au 26 mai 2018 au théâtre Quat'sous à Montréal

Coproduction du Théâtre de Quat'Sous et de UBU, compagnie de création

Texte Laurent Gaudé

Mise en scène Denis Marleau

Collaboration artistique et conception vidéo Stéphanie Jasmin

Avec Emmanuel Schwartz

Assistance à la mise en scène Carol-Anne Bourgon-Sicard

Scénographie Stéphanie Jasmin et Denis Marleau

Lumière Marc Parent

Musique Philippe Brault

Maquillage et coiffure Angelo Barsetti

Costumes Linda Brunelle

Assistance au décor Stéphane Longpré

Design sonore Julien Eclancher

Coordination et montage vidéo Pierre Laniel

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

Le tigre bleu de l'Euphrate © Yanick Macdonald
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