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«887» de Robert Lepage ou la mémoire qui joue des tours de prestidigitation

FLQ, attentats à la bombe, destruction de la statue de la reine Victoria, Samedi de la matraque, discours de De Gaule, crise d'Octobre, histoire du drapeau canadien... tout y passe sans que Robert Lepage ne prenne vraiment parti. Ce qu'il veut avant tout, c'est ne pas oublier.
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Des auteurs de l'Antiquité nous ont laissés quelques traités sur l'art de la mémoire. Avant l'invention de nos téléphones intelligents (et accessoirement de l'imprimerie), il était capital d'acquérir une mémotechnique fondée sur des lieux et des images pour retenir des événements, des discours, voire des poésies...

887 débute presque comme un exposé sur la mémoire. Robert Lepage s'adresse au public du TNM pour les recommandations d'usage qui ne perturberont pas le spectacle, et jusqu'à l'emplacement des sorties de secours en cas de besoin... Mais très vite, ce qui pourrait ressembler à l'une de ces conférences que l'on peut voir et écouter sur Internet, se métamorphose en une narration et un génial solo théâtral, où la mise en scène et les décors déploient une ingéniosité de prestidigitateur comme seul Robert Lepage en est capable.

Je me souviens: dans cette autofiction québécoise située dans les année 60 et 70, Robert Lepage conte son enfance vécue dans l'un des huit appartements du 887 de l'avenue Murray avec toute sa famille, soit sept personnes - grand-mère paternelle comprise - partageant le même logement; ce qui obligeait son père, chauffeur de taxi de nuit, à travailler très fort et à dormir le jour.

Comme prétexte à ce récit de vie sur fond d'évènements politiques du Québec, le 40e anniversaire de la désormais légendaire nuit de la poésie du printemps 70 au cours de laquelle Michèle Lalonde déclama son fameux Speak White. Robert Lepage prétend avoir du mal à retenir par cœur, et non par tête, le poème qu'on lui a demandé de réciter devant le public. Et il part à la poursuite de sa mémoire déficiente et sélective dans son histoire personnelle, où sa mère séparatiste, au foyer, et son père bilingue, fédéraliste et humble, y sont peut-être pour quelque chose...

Un peu comme Georges Perec dans La vie mode d'emploi, Robert Lepage reconstitue ses souvenirs grâce aux différents logements du 887 - son palais de la mémoire - qui devient l'occasion d'anecdotes croustillantes sur les différentes familles voisines, les étés chauds passés sur le balcon, le père qui rentre tard la nuit et repart pour encore une nouvelle course.

Sur ce fond très personnel, il y a aussi toute l'histoire mouvementée du Québec et sa révolution pas si tranquille qu'on a pu le dire, et dont Robert Lepage se remémore. Entre le Parc des Braves au nord et les Plaines d'Abraham au sud, le 887 devient l'observatoire privilégié de tous les événements politiques québécois qui fondent une histoire qu'il serait bien dommage d'oublier, sous peine de souffrir comme la grand-mère, de la maladie d'Alzheimer: FLQ, attentats à la bombe, destruction de la statue de la reine Victoria, Samedi de la matraque, discours de De Gaule, crise d'Octobre, histoire du drapeau canadien... tout y passe sans que Robert Lepage ne prenne vraiment parti. Ce qu'il veut avant tout, c'est ne pas oublier.

Dans ce récit plein de nostalgie, d'humour, d'autodérision aussi, Robert Lepage se met à nu. Il est comme un grand enfant qui s'invente des jouets merveilleux: maquettes de maison où l'on voit toutes les pièces, projection de vieilles photos de famille, petite voiture et figurines de toutes sortes. On sort ébloui par tant d'inventivité et de génie dans la réalisation des projections en direct, des décors qui s'enchainent et se métamorphosent.

De cette histoire complexe, la petite et la grande, est né aussi Robert Lepage, homme de théâtre dont le parcours ne fut pas toujours un long fleuve tranquille et qui après 35 ans de carrière, prend peut-être conscience du rôle fondamental qu'y a joué son père, toujours dans les coulisses, où se passent tant de choses essentielles au théâtre. 887 est un spectacle magnifique.

887 , au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal, du 26 avril au 5 juin 2016.

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

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