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L'enfant protogai et l'obsession de la sexualité

On peut difficilement dire que les initiatives gouvernementales de lutte contre l'homophobie dans les écoles ont été prises de mauvaise foi, étant donné qu'auparavant, rien n'avait été fait. Toutefois, les mesures initiées par le gouvernement et les commissions scolaires s'avèrent manquer lamentablement leurs cibles.
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On peut difficilement dire que les initiatives gouvernementales de lutte contre l'homophobie dans les écoles ont été prises de mauvaise foi, étant donné qu'auparavant, rien n'avait été fait pour atténuer le problème spécifique de l'intimidation liée au genre ou à l'orientation sexuelle. Toutefois, les mesures initiées par le gouvernement et les commissions scolaires, en plus de n'être accompagnées d'aucune formation aux enseignant(e)s, s'avèrent manquer lamentablement leurs cibles.

Un regard inquisiteur

Le principal problème induit dans la lutte contre l'homophobie dans les écoles primaires est qu'elle oblige à poser un regard inquisiteur sur la sexualité des enfants non conformes dans le genre, à faire de l'enfant victime d'hétérosexisme un enfant «protogai», terme utilisé pour désigner les enfants que l'on suppose «être en voie de faire leur coming-out». Plusieurs aspects de ce concept sont problématiques, mais il est indéniable qu'il revêt une importance capitale dans le regard que pose l'adulte sur l'enfant. On ne voit pas l'enfant qui ne suit pas les normes de genre établies pour ce qu'il ou elle est (c'est-à-dire un enfant qui exprime simplement son identité, sa manière d'être), mais pour l'individu homosexuel qu'il ou elle pourrait devenir.

Ainsi, l'enfant qui sera, dans la cour de récréation, la cible des hétérosexistes et des «polices du genre» de tout acabit verra la lutte contre l'homophobie se retourner contre lui ou elle lorsqu'il ou elle sera identifié(e) comme étant une «victime d'homophobie», donc homosexuel(e) par défaut, le problème ici étant le regard sexualisant de l'adulte s'interposant dans les conflits entre jeunes. La sexualité des enfants, particulièrement dans le contexte de la «lutte contre l'homophobie», prend une importance publique et devient une information courante et diffusée, alors qu'il s'agit, la plupart du temps, de facteurs relevant du domaine du genre, et non de l'orientation sexuelle.

Leurs outils

Quels outils l'enseignant(e) possède qui lui permettrait de mener à bien la tâche d'aborder le sujet du genre et de la diversité sexuelle? La sexualité ayant été évincée du curriculum de l'école primaire, la seule avenue envisageable est celle de la biologie: on parle donc du corps, des vulves et des pénis, amen. Puis quoi? On explique qu'à la puberté, le pénis grossit, puis on en profite pour mentionner qu'il a parfois le goût de rentrer dans un vagin, mais parfois dans les anus de garçons? Et que parfois c'est le contraire, des vulves qui ont le goût d'autres vulves? Ben oui, et quoi encore! Notre problème au primaire, c'est que tite-fille se fait niaiser à cause de ses cheveux rasés et de son amour pour le hockey, pas à cause qu'elle est sexuellement attirée par sa copine!

L'avenue de la biologie est doublement écartée étant donné son caractère déterministe. Les enseignant(e)s ne sont pas formés.es pour répondre à la question: «Pourquoi les filles ont une vulve et des seins, et pourquoi les garçons ont un pénis?» Avant tout récemment, j'aurais moi-même répondu que les organes génitaux sont là pour la reproduction, et que ceux-ci n'ont de fonction utile que dans une perspective hétérosexuelle, ce qu'on m'a bien rentré dans le crâne au primaire - ce, sans bien sûr mentionner que ce ne sont pas tous les garçons qui ont des pénis, et toutes les filles qui ont des vulves et des seins. En adoptant le point de vue que les organes génitaux n'existent que pour la reproduction, ceux des individus homosexuels sont, dans le meilleur des cas, purement décoratifs, ne remplissant aucune fonction reproductive.

Quant à l'inclusion de l'homosexualité dans les manuels scolaires, on peut toujours rêver: elle est au pire inexistante, au mieux éclairée d'une lumière négative. En effet, une récente étude indique que la plupart des occurrences des termes reliées à l'homosexualité dans les manuels scolaires québécois, en plus d'être strictement le domaine de l'école secondaire, se trouvent majoritairement dans des discussions ou des chapitres dédiées aux maladies transmissibles sexuellement, au SIDA ou aux camps de concentration de l'Allemagne nazie. (1)

Il reste, ultimement, la voie que les enseignants.es les plus perspicaces emprunteront, celle de construire leur propre matériel pédagogique en se basant sur la littérature jeunesse abordant des thèmes liés à l'orientation sexuelle, l'expression ou l'identité de genre. Cette littérature se résume aisément à peau de chagrin: pour l'orientation sexuelle, il existe bien deux ou trois albums accessibles en français, traitant strictement d'homoparentalité, un thème qui permet de parler d'homosexualité sans en parler: quel être capable d'émotions irait bitcher les parents d'un autre?

Pour vous lâcher

Voyons le problème en face: non seulement la problématique de la lutte contre l'homophobie au primaire rate sa cible, en préférant parler d'orientation sexuelle plutôt que de genre, mais les enseignants.es ne sont aucunement outillés(e) pour apprendre efficacement aux enfants les impacts et les implications de l'hétérosexisme. Dans la formation des enseignants.es, parmi les quatre années de formation, le seul cours dans lequel la diversité sexuelle est superficiellement abordée est un cours à option qui, bon an mal an, n'est pas ou que très peu populaire. Et on oublie évidemment les questions d'intersexualité, qui arrivent à être encore plus invisibles que les questions de genre dans le curriculum de la formation des futurs enseignants(e).

Si le ministère de la Justice tient tant à lutter efficacement contre l'hétérosexisme, je lui conseillerais diverses avenues, entre autres:

  • Utiliser un vocabulaire plus adéquat et réellement inclusif (tant qu'à saupoudrer d'individus trans ses pubs de lutte à l'homophobie);
  • Réviser la formation des maîtres pour que la sensibilisation des profs aux enjeux liés au genre et à l'orientation sexuelle se fasse avant les situations d'urgence, devant toute la classe;
  • Prendre l'initiative de créer du matériel pédagogique sur l'inclusivité des différentes expressions et identités de genre.

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