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Régimes: quand le Japon va trop loin

SANTÉ - Une société qui favorise une hygiène de vie discutable mais qui cautionne en même temps les corps filiformes et les régimes douteux. Alors ceux qui développent dans TCA dans tout ça, qu'est-ce qu'ils deviennent ?
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Une version longue de ce billet a été publiée sur le blog de Sonia: www.sonyan.fr

Les troubles du comportement alimentaires sévissent partout dans le monde malheureusement. Mais penchons nous aujourd'hui sur le cas du Japon.

L'Occident aussi entretient le culte de la minceur. Même si les choses tendent à se bousculer légèrement pour montrer des silhouettes bien en chair dans certaines publicités, la majorité revient quand même à l'encensement du ventre plat. Mais au Japon, le phénomène est poussé à son extrême, voire à un niveau malsain. Souvent, ce n'est pas le culte de la minceur mais celui de l'extrême maigreur.

Prenons par exemple les magazines féminins. Comme en France, ils pullulent de publicités pour des régimes. Mais le malaise s'accroit quand ce sont des magazines qui proposent des régimes extrêmes censés vous faire perdre jusqu'à 22 kilos en 30 jours, mais surtout, du fait qu'on propose de maigrir à des personnes qui ne sont pas en surpoids. Sur les photos avant/après, ce n'est pas une fille ronde sur la photo d'avant et une fille mince sur la photo d'après, mais les photos d'une fille déjà mince devenue très maigre. Les objectifs écrits en gros sur ces publicités parlent d'eux même : atteindre des poids extrêmes en dessous de 40 kilos. Ces publicités banalisées mettant en scène des personnes déjà minces comme étant en surpoids sont récurrentes, tendant à faire penser que peser 37 kilos pour une femme adulte doit être la norme.

Des exemples de photos sont publiés sur le post original de cet article, mais tout est fait pour normaliser l'extrême maigreur. Jusqu'à parfois déformer la réalité avec des photos tellement retouchées pour paraître encore et toujours plus fin que le résultat n'en est même plus humain. Jusqu'aux très appréciés purikura, ces photomatons aux mini photos autocollantes décorées. En effet depuis peu, les purikura ont une nouvelle option qui permet de vous allonger et affiner les jambes pour paraître deux fois plus mince que vous l'êtes, et ainsi vous faire de super photos souvenirs entre amis dignes d'un poster Pro-ANA. Les magazines regorgent de régimes douteux à base de pilules, de méthodes miracles comme dormir emballé dans de la cellophane ou de conseils stupides comme dormir pour ne pas manger.

Au-delà de toutes ces méthodes discutables, il y a toute une mentalité des codes hommes femmes autour de la nourriture. On m'a dit à plusieurs reprises qu'au Japon, manger peu était une forme de "féminité". Oui mesdames, finir votre assiette pourrait remettre en question votre féminité. Ainsi, il n'est pas rare qu'une Japonaise ne mange pas son repas en entier, a fortiori en présence d'hommes. Il faut être mince et féminine en se montrant délicate avec la nourriture, mais il faut savoir aussi enchaîner les beuveries entre amis et entre collègues, les nomikai étant le pilier de la vie sociale au Japon.

Ajoutez à cela une vie à cent à l'heure (dans les grandes villes du moins) où le travail occupe la majeure partie de la journée. On part tôt, on rentre très tard, on mange sur le pouce au bureau. Tout est fait pour ne pas avoir le temps, pour se rabattre sur les plats préparés et une mauvaise hygiène de vie. C'est valable dans chaque grande ville du monde, mais intensifié ici avec des horaires de travail défiant toute concurrence. Et si la nourriture japonaise a bonne réputation et que les plats tout préparés paraissent équilibrés, un œil sur l'étiquette vous fera vite déchanter. La plupart de ces plats frisent les 1000 calories. Du riz, de la mayonnaise, et dans chaque plat des aliments frits (katsu, karaage ou encore tempura).

Peu de temps pour cuisiner, de la malbouffe déguisée en repas équilibré, les beuveries pour le travail... Mais on se doit de rester mince. Tomber dans les travers des sachets protéinés et coupes faim est un jeu d'enfant quand on essaie de combiner les deux. Et quand on est pris d'une envie de se gaver, les supérettes ouvertes 24h/24 chaque jour de l'année ainsi que la multitude de chaînes proposant des formules à volonté sont là pour répondre à nos désirs de gavage. Honte de recommencer dès le lendemain ? Pas de problème, des combinis, il y en a partout. Il suffit de changer et faire un roulement, personne ne saura tout ce que vous êtes capable d'engloutir en une soirée. Tout est à portée de main, partout et n'importe quand. Etre boulimique au Japon est encore plus difficile à maîtriser qu'ailleurs.

Bref, une société qui favorise une hygiène de vie discutable mais qui cautionne en même temps les corps filiformes et les régimes douteux. Alors ceux qui développent dans TCA (Troubles du comportement alimentaire) dans tout ça, qu'est-ce qu'ils deviennent ?

Quand j'ai pris conscience de ma maladie et compris que je ne guérirais pas seule, j'ai cherché à parler à d'autres personnes concernées pour savoir comment m'en sortir. Quoi de mieux pour cela qu'Internet ? J'ai d'abord cherché en français et suis tombée sur des forums de malades et proches de malades cherchant des solutions, racontant leur parcours pour s'en sortir, ou demandant de l'aide. Lorsque j'ai fait la même chose en japonais avec les mêmes mots clés traduits pour essayer de trouver des témoignages qui m'aideraient à trouver un traitement adéquat sur place, je suis tombée sur des communautés plus malsaines les unes que les autres. Suivies par des milliers de jeunes filles, les conversations n'avaient en aucun cas pour but de guérir. Non, on racontait avec fierté ses exploits (tant de vomis dans la journée, moins de 200 calories depuis deux jours et j'en passe) et on s'encourageait en tenant un journal. Sur mixi, l'équivalent du Facebook japonais, des communautés intitulés "maigrir de façon malsaine" proposait des topics avec des conseils pour bien vomir, des challenges de grèves de la faim, des photos pour exhiber avec fierté les cicatrices sur les mains à force de vomis. Le tout public et sans aucune censure de l'équipe de modération du réseau social. On parle généralement des TCA comme d'une maladie occidentale, ces belles femmes asiatiques étant menues naturellement. Même s'il est vrai que nous n'avons pas la même carrure, le fait est que les maladies mentales liées à la nourriture se développent de plus en plus au Japon. Dans un mémoire anglophone sur les troubles du comportement alimentaire au Japon, on apprend qu'au début des années 2000, 50% des jeunes étudiantes (entre 18 et 22 ans) avaient déjà fait un régime, 40% avaient déjà eu recours à des régimes à base de pilules et de boissons et que 18% avaient un IMC d'anorexiques. Sachant qu'en dix ans, la situation n'a cessé de se détériorer. Dans le même mémoire, on apprend qu'en 1999, plus de 10% de femmes japonaise ayant un IMC normal avaient avoué prendre des laxatifs dans le but de maigrir et plus de 3% des diurétiques (et je vous le répète, ça ne fait pas maigrir...).

Et pour celles qui ont conscience d'être malade et veulent s'en sortir, qu'est-ce qui se passe ? En Occident, nous ne nous cachons plus ce phénomène de société que sont les TCA. En conséquence, on peut se "vanter" d'avoir une palette de centres spécialisée, de médecins et psychologues dont la spécialité est les troubles alimentaires. Dans son dossier sur les TCA au Japon, la journaliste Georgia Hania lève le voile sur l'insuffisance des médecins et les difficultés des malades cherchant à se faire soigner. Sur 80 écoles de médecines au Japon, seulement trois professeurs spécialisés dans les troubles du comportement alimentaire. Les listes d'attente sont longues, les établissements non spécialisés collectionnent les échecs tandis que les établissements reconnus proposent des rendez-vous avec une liste d'attente de six mois à un an. Peu de spécialistes, peu de docteurs compétents dans le domaine. Et lorsque un docteur est réputé compétent avec des méthodes qui ont fait leur preuve comme le Dr. Yamaoka, la liste d'attente pour un rendez-vous peut aller jusqu'à sept ans (toujours selon l'étude de Georgia Hana). Les spécialistes se dédoublent et partent en déplacement dans les établissements en échec pour apporter leur aide et sont donc moins disponibles pour leurs propres patients. Quelques associations mais peu de budget, des projets d'ouverture de nouveaux établissements mais toujours pas de spécialistes formés. Si on abandonne les traitements spécialisés faute d'attente ou de suivi compétent pour faire une thérapie chez un psychologue, la séance peut aller jusqu'à 100 euros de l'heure, non remboursée.

Je ne connais certainement pas toutes les solutions possibles, mais bien souvent, on finit par se retrouver seul avec ses démons.

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