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Ma descente aux enfers: comment je suis devenue boulimique

J'adopte des comportements compulsifs où je pars m'acheter des sacs de nourritures que je dévore en peu de temps. Je me sens mal après, lourde et coupable. Mais sur le moment, j'ai besoin de m'apaiser en dévorant des tonnes de bouffe. Le début de la boulimie.
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Une version longue de ce billet a été publiée sur le blog de Sonia: www.sonyan.fr

Il y a mille et une raisons qui peuvent pousser quelqu'un dans l'enfer des troubles du comportement alimentaire. Pour moi, m'expatrier au Japon fut l'une d'entre elles. Ce n'est pas la seule et unique raison (mon expérience est racontée en détails sur le blog original de ce billet), j'avais déjà un parcours d'ancienne obèse et de nombreux régimes au compteur pour que ça me pende au nez. Mais c'est au pays du soleil levant que tout a basculé dangereusement.

Après une première expérience en échange universitaire à Osaka où j'ai eu l'occasion de découvrir qu'il ne faisait pas bon vivre obèse sur l'archipel (c'est même, selon la loi metabo, officiellement interdit depuis 2008), j'ai décidé de remettre le couvert en partant m'installer pour de bon à Tokyo en janvier 2010. Mais cette fois, suite à un long régime, 45 kilos de moins et une taille 38 qui me satisfaisaient. J'étais de retour bien dans ma peau et persuadée que je vivrais cette nouvelle aventure nippone sans situations humiliantes ni complexes.

Cette confiance ne dura pas bien longtemps. En effet, autant les Japonais peuvent se montrer très polis, autant entre proches, les remarques attaquant le physique peuvent être assez décomplexées. Et voilà qu'à l'école, au travail, ou avec des amis, je recevais très régulièrement des réflexions désobligeantes par la gent masculine comme "Tu manges du chocolat ? Tu ferais plutôt mieux de faire un régime, attention le ventre.", "Tu as du ventre et des fesses, tu devrais faire plus de sport", et j'en passe. En plein dans l'estime de soi.

Ajoutez à cela des rencontres amoureuses malheureuses où l'intéressé vous demande de faire un régime parce qu'il a honte de marcher dans la rue avec quelqu'un comme vous et qu'il vous faudrait encore bien 15 kilos en moins (soit atteindre 45 kilos pour 1m75...), ou encore les réflexions quotidiennes du patron et des collègues. Car quand on travaille dans l'événementiel et qu'on organise des événements de prestige on se doit de ne pas faire tache à côté des mannequins. Lorsque vous venez de consacrer un an à faire un régime pour diviser votre silhouette par deux, ça fait très mal.

Ces réflexions régulières et les silhouettes locale nettement plus filiformes - sans parler des difficultés à trouver des vêtements à sa taille- très vite les complexes reviennent et avec mon IMC à 21, je me sens énorme. Sans oublier le tremblement de terre de 2011, où les grignotages pour calmer le stress ne pardonnent pas et me font reprendre quelques kilos que tout le monde s'empresse de me faire remarquer.

J'ai repris du poids et déjà que je le vis mal, le regard acéré des autres me rend malade. Alors que j'ai encore un IMC tout à fait normal et qu'objectivement, je ne suis pas grosse, je me sens de nouveau obèse, me vois difforme dans le miroir. Je suis prête à tout pour maigrir et avoir enfin la paix. Qu'on me laisse tranquille, qu'on arrête de m'emmerder et me faire des remarques. Que je respire.

J'enchaîne les régimes sur protéinés très stricts. Le Japon regorge de sachets étranges, coupes faims et capteurs de graisses. J'essaie tout. Si les régimes stricts ne sont pas à conseiller, cette fois je suis désespérée. Pressée qu'on reconnaisse mes efforts et me sentir de nouveau bien, je me nourris essentiellement de blancs de poulet, de thon en boîte dégraissé et de sachets protéinés infâmes. Je perds une dizaine de kilos en moins d'un mois, je suis soulagée.

Frustrée par autant de restrictions, ajouté au fait non négligeable qu'on me laisse rarement prendre ma pause midi avant 16 ou 17h, je suis prise de fringales absolument incontrôlables. Sans me rendre compte, j'adopte des comportements compulsifs où je pars m'acheter des sacs de nourritures que je dévore en peu de temps. Je me sens mal après, lourde et coupable. Mais sur le moment, j'ai besoin de m'apaiser en dévorant des tonnes de bouffe. Le début de la boulimie. Evidemment, après m'être nourrie exclusivement de sachets protéinés pendant des semaines, la boulimie ne pardonne pas. Moi qui avais réussi à stabiliser mon poids pendant presque deux ans, cette fois-ci c'est foutu. J'ai tout foutu en l'air et l'effet yoyo m'arrive dans la gueule comme une énorme baffe qu'on a pas vu venir. Je reprends tout ce que je viens de perdre avec bonus en peu de temps.

C'est pas grave, je l'ai déjà fait plein de fois, je peux le refaire. Je rachète des sachets et des compléments alimentaires. Quand les fins de mois sont dures, je me contente d'un yaourt ou d'une boulette de riz. Je passe de plus en plus de temps dans les supermarchés, je regarde le nombre de calories d'absolument tous les aliments. Au-dessus de 150 kcal, je repose. Je suis obsédée par le nombre de calories que j'ingurgite. Pas plus de 700 par jour. Le corps s'habitue, au bout de quelque temps, on ne maigrit plus. Bon alors 500 calories par jour, faisable, tranquille. Mince, j'ai du mal à maigrir comme ça aussi, mais pourquoi ? Bon, alors un seul repas par jour à 300, ça devrait passer. Le début de l'anorexie.

Je tiens deux, trois, quatre semaines maximum. Je reperds ma dizaine de kilos, puis je craque. Et revient la boulimie incontrôlable. Il faut que je mange, tout, n'importe quoi, maintenant. Dans des quantités industrielles, j'en ai plein la bouche, c'est limite si je peux mâcher tant je fourre tout en même temps. Ça me détend, me soulage. Et après je me sens mal. Lourde. Grosse. Grasse. Je me dégoûte. Pourquoi j'ai fais ça ? Bon demain, j'arrête. Je remange normalement, c'est quand même pas bien difficile.

Mais le lendemain, on me retraite comme de la merde au boulot, on m'empêche de prendre ma pause midi jusqu'en fin de journée, je suis stressée, énervée, je n'ai rien mangé depuis tôt le matin... Je sens l'envie de me gaver revenir. Et je cède. Encore une fois je regrossis. Chaque fois un peu plus.

Je coupe mes périodes de boulimie par quelques semaines d'anorexie pour reperdre. L'engrenage de ce cycle infernal s'est complètement refermé sur moi et je n'ai plus aucun contrôle. Ma vie change, ma vie sociale est petit à petit influencée.

Car les invitations à manger d'amis commencent à m'angoisser. Je sais que s'ils me coupent "mon élan", si je remange normalement une fois... C'est ouvrir la boite de Pandore. Le barrage va céder, je n'arriverai plus à me retenir de manger et j'engloutirai tout jusqu'à la nausée. Je mangerai pendant la soirée, puis rachèterai un repas en rentrant chez moi, puis ressortirai pendant la nuit acheter du sucré... et répèterai ce manège jusqu'à ce que je ne rentre plus dans aucun vêtement et sois obligée de retourner à mon unique petit repas par jour.

J'ai envie de pleurer à chaque fois qu'on me dit, "il faut absolument qu'on se fasse une bouffe !". Cette phrase pourtant banale me terrorise. Car je sais que je perdrai le contrôle. Et à Tokyo, il y a beau y avoir un million de choses à faire, on ne vous invite toujours que pour boire ou manger.

En été 2011, ça fait déjà six mois que je suis entrée dans mon cycle sans fin d'anorexie-boulimie et mon corps en fait les frais. Je suis capable de prendre 7 kilos en seulement une semaine, la moindre prise de nourriture normale se paye très cher sur la balance, sur laquelle je monte environ dix fois par jour.

A force d'enchaîner les régimes hyper protéinés, j'ai de plus en plus de problèmes de transit. Je n'arrive plus à aller aux toilettes, j'ai mal au ventre. Il est gonflé et tout dur, on dirait que j'ai grossi alors que je ne mange qu'un repas par jour depuis des semaines. Dépitée, je vais à la pharmacie demander des laxatifs. Je prends une dose, me vide, me rend compte que la balance affiche un kilo de moins. Comme j'ai perdu mon cerveau depuis longtemps, je suis contente de ce résultat. Le début des laxatifs.

Ma descente aux enfers a commencé et je n'en suis encore pas du tout consciente. Dans ma tête, mon anorexie n'est que des régimes -certes stricts- pour retrouver la ligne, mes crises de boulimies sont juste une faiblesse et perte de motivation dans ces régimes et ma prise de laxatif juste une petite "aide" supplémentaire pour éliminer. Je suis inconsciente et sombre toujours plus bas.

À suivre mercredi: "Boulimie, comment je m'en suis sortie"

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