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Pourquoi l'hypersexualisation des stars est dangereuse pour les adolescents

Il faut faire réfléchir les adolescents, des deux sexes, sur le sens du vêtement, sur les messages du corps et son objetisation.
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Il y a quelques mois, j'ai mené une série d'entretiens dans le cadre d'un ouvrage annuel que je rédige depuis 15 ans pour les adolescentes. Là, je me suis aperçue de deux phénomènes apparemment contradictoires : comparées à leurs aînées, les ados d'aujourd'hui font preuve d'une étonnante pudibonderie quand on évoque devant elles des sujets qui touchent à leur corps ou à la sexualité ; alors qu'elles sont vêtues de façon bien plus suggestive que leurs alter ego d'il y a 15 ans.

Durant cette période, la féminité des ados a changé. Au tournant du millénaire, elles étaient vêtues de façon moins sexy, mais ne prenaient pas ombrage qu'on parle avec elles de choses intimes : je me souviens avoir pris note que, si elles n'étaient pas intéressées, la plupart en témoignaient sans enjeu et on passait à autre chose ; si un sujet les dérangeait dans le livre, elles tournaient la page. Aujourd'hui les jeunes filles sont parfois habillées de façon si aguicheuse que leurs aînées sont scandalisées (« Je n'arrête pas de dire à ma petite sœur qu'elle s'habille comme une tepu »), en revanche beaucoup refusent d'évoquer la sexualité (« Ça n'est pas de mon âge »), ou réagissent violemment à la mention de certains mots (« Aréole et mamelon, c'est dégueu comme entrée, le dessin me dégoûte » ; « fantasme ou masturbation, non merci, je ne vois pas en quoi je suis concernée »...).

Je ne suis pas la seule à avoir noté la cause de cette pruderie : la banalisation de la pornographie, et l'accès si aisé à cette culture. Les adolescents sont sans conteste influencés par YouPorn et le X ambiant : des mots qu'ils emploient aux pratiques qu'ils expérimentent tôt, tout en témoigne et heureusement, ça n'est pas toujours une catastrophe. Les plus jeunes en revanche, les 10-12 ans, presque toujours choqués par les bouts de vidéos qu'ils visionnent, ne sont pas dupes, ni des conséquences psychiques néfastes que celles-ci peuvent entraîner sur eux ni de ce qu'ils sont les seuls à pouvoir se protéger - leurs parents redoutent, mais... se doutent rarement de ce que leur progéniture a pu voir.

Conséquence, pour les filles notamment qui sont à la fois plus intrusées par ce type d'images et moins honteuses à se dire choquées : de nombreuses ados et préados rejettent en bloc tout ce qui a trait à la sexualité, à leur intimité. Elles savent bien que tôt ou tard elles feront face à des images ou des vidéos qui les gêneront, surgies sur leurs écrans de façon intempestive ou parce que des copains-copines auront fait passer un cellulaire où tournent en boucles des images licencieuses. Beaucoup d'entre elles aussi ont vécu de mauvaises expériences sur les réseaux sociaux : qu'elles le déplorent ou se montrent fatalistes, il leur faut prendre garde, celles que j'ai interrogées en étaient étonnamment conscientes pour leur âge.

Avec tout ça, il est d'autant plus étonnant qu'à l'endroit de leur vestiaire les jeunes filles ne rejettent pas, du même coup, l'hypersexualisation de vêtements qui au départ ne leur étaient même pas destinés : strings, push up, dessous de dessus, fuck-me-shoes, slims et skinny, Lurex... Pourtant il n'y a pas de doute : de très nombreuses ados, préados voire des fillettes réclament et obtiennent de revêtir ces colifichets convoités, ces parures du désir.

À les avoir interrogées, l'explication est nette : ce qui relève pour nous, adultes, de l'hypersexualisation, n'est aucunement lié, pour elles, à la sexualité. J'affirme que l'immense majorité de celles qui se vêtissent de façon suggestive ignore l'effet qu'elles peuvent susciter, ne décodent pas les signes qu'elles émettent. Et plus elles s'hypersexualisent jeunes, plus le hiatus est vertigineux. Dans notre cadre de pensée d'adultes, on pourrait se dire qu'elles veulent être désirables, mais ne tiennent pas à ce que les garçons les désirent... Sauf qu'elles ne diraient même pas d'elles-mêmes qu'elles cherchent à se montrer « désirables » ; elles utilisent une autre terminologie : « cool », « stylées », « hyperbelles ».

Ces jeunes filles cherchent légitimement à avoir une bonne image d'elles-mêmes, et comme naguère on aimait se sentir jolie (qu'elle me jette la première pierre celle qui n'a pas cherché le reflet de sa beauté dans un miroir de son enfance), elles souhaitent aujourd'hui se sentir sexy. Non seulement - cela a été pointé et repointé -, les femmes sont beaucoup plus soumises que les hommes à la dictature du corps, mais il semblerait que, chez les ados, celle-ci se soit déplacée de la beauté vers l'hypersexualité.

Il faut dire que nous sommes passés d'une société patriarcale et segmentée où on recherchait la respectabilité, à un monde plus virtuel aux classes sociales diluées où on recherche la désirabilité. Il n'y a qu'à regarder les photos : autrefois sur les clichés de famille nos ancêtres posaient le plus sérieusement, ils cherchaient à inspirer le respect ; aujourd'hui, sur Internet, on pose le plus glamoureusement, on cherche à susciter l'envie, le désir... Et, du désir mimétique au désir sexuel, il n'y a souvent qu'un pas, finement perçu par les adolescentes. On a beau dire aux filles de bien travailler à l'école - ce qu'elles font en moyenne davantage que leurs frères -, de faire des études, etc., qui fait la Une des magazines féminins, passe à la télé, crée des collections capsules pour des marques prestigieuses ? Qui est loué, parmi les femmes ? Les jolies-glamour-sexy, bref les hypersexualisées : Kim Kardashian, Rihanna, Miley Cirus, Beyonce, Huda Kattan...

Les ados ne s'y trompent pas, qui tentent de leur ressembler pour pouvoir se gratifier de cette féminité... et du pouvoir qui s'y rattache. Car ces femmes sont audacieuses, travailleuses et femmes d'affaires accomplies, avec une particularité : comme matière première elles utilisent leur corps, et leur narcissisme leur tient de credo... après tout ! Les réseaux sociaux accroissent le phénomène, et le démocratisent : potentiellement nous sommes toutes des Cendrillon, on est toutes invitées au bal, rien n'interdit à chacune de faire sa duck-face pour glaner des likes.

Allez dire aux adolescentes d'aujourd'hui (je le sais, j'ai essayé) : tu sais, les Anges de Victoria's Secret sont jetés une fois qu'elles ont pris de l'âge/du poids/qu'elles ont enfanté... « Peut-être qu'un jour, je serai vieille, répondent-elles, cependant, j'ai 15-16 ans, ma bonne dame, et je t'emmerde en attendant » (pour paraphraser Tristan Bernard et Georges Brassens). Qu'y a-t-il à leur répondre ?

J'ajouterai enfin, pas très à l'aise dans mes baskets de jouer les trouble-fêtes, mais j'y vais, que la lutte contre le slut shaming, ô combien légitime en ces temps radicaux, a parfois un effet pervers : quand je regarde la réponse cinglante de la mannequin activiste Emily Ratajkowsky à un journaliste méprisant quant à sa tenue ouahouou à une récente Fashion Week de New York, je suis mal à l'aise. La jeune actrice a bien le droit de se vêtir et dévêtir comme elle l'entend, on a suffisamment fustigé et ostracisé les femmes pour cela, qu'on leur fiche la paix. En même temps, dans le cas particulier où je m'adresse à des jeunes, vis-à-vis de mes lectrices et de leurs alter ego mâles, on ne peut pas s'en tenir là, on ne peut pas dire que la tenue d'Emily Ratajkowsky est juste « ouahouou ». Elle est si jolie, et en plus intelligente et grande gueule que bien des adolescentes ont envie de la prendre, elle et sa tenue, comme modèle. Et, petit à petit, à la dérobée, des adolescentes ne voient plus que la féminité conquérante de leur modèle qui arbore fièrement ses formes. Les fans ne vont pas voir que, pour n'importe quel homme, n'importe quel garçon normal, cette tenue est hautement suggestive.

Évidemment que les messieurs sont tenus de se tenir, c'est la base de toute société évoluée, pour ma part c'est ainsi que j'ai défini ce que devrait être la virilité contemporaine, expurgée de toute velléité de domination. Mais d'un point de vue très pratique et concret, je mets au défi les parents, même les plus féministes, de laisser leur fille de quinze ans sortir dans une tenue similaire. Oui, Emily Ratajkowsky a tous les droits de se vêtir comme elle veut, aucun homme n'est légitime pour lui manquer de respect, en revanche on ne peut pas laisser dire que sa tenue est anodine, qu'elle est juste sexy. Elle est très sexy, incroyablement aguicheuse. Si on ne le dit pas, au bon motif qu'on en a marre de conspuer les femmes sur leur corps, on risque d'induire chez les ados qu'on peut se vêtir ainsi, que c'est normal, que ça n'est pas un problème. Il faut bien s'entendre ici sur le verbe « pouvoir » : Emily R peut, au sens de elle a le droit de s'habiller comme elle veut ; dans le cas évoqué sa tenue la rend hautement désirable et en l'état actuel de la société ça n'est pas évident, voire ça serait dangereux pour une fille qui ne serait pas accompagnée d'un garde du corps, de sortir ainsi.

Ce qu'il me semble urgent de faire ? Faire réfléchir les adolescents, des deux sexes sur le sens du vêtement, sur les messages du corps et son objetisation. Quand je décide de m'objetiser (droit récent acquis de haute lutte), comment être sûre que les autres vont traiter l'objet que j'ai souhaité incarner d'une façon qui me convient? Aujourd'hui, c'est un progrès, on veut vivre dans des sociétés où on a le droit de porter la tenue qu'on veut. Certaines - certains aussi - ont envie de se parer de façon sexy. C'est leur droit. Et il est urgent d'expliquer aux garçons (même les petits), aux adolescents, que ce qui prévaut c'est le consentement. Je dirais à mon fils : « Emily Ratajkowsky a choisi de porter cette robe Julien McDonald, elle en a le droit, et même si ça te fait de l'effet, cela ne t'autorise pas à une remarque, encore moins à un geste déplacé. »

Il est urgent de déculpabiliser les filles de se vêtir comme elles l'entendent, quel que soit leur look, tout en leur faisant prendre conscience qu'elles envoient un éventuel message sexuel en revêtant certaines tenues ; et de déculpabiliser les garçons d'éprouver du désir pour celles-ci, tout en leur signifiant que cela ne leur donne en aucun cas des droits, si ce n'est celui de demander aux intéressées leur consentement. Mettons des mots sur des sensations et sentiments coupables : il est normal d'avoir envie de plaire, il est naturel d'éprouver du désir... tout en tenant absolument compte de l'autre. Le respect est le minimum syndical des relations humaines.

Paru chez Albin Michel en 2015 : Les femmes s'emmerdent au lit, Le désir à l'épreuve du féminisme et de la pornographie.

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