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La clé de bras espagnole et le judo catalan

La judiciarisation du conflit politique entre la Catalogne et l'Espagne fait du système judiciaire un instrument d'intimidation au service du nationalisme espagnol, prêt à sacrifier des libertés fondamentales pour préserver son unité territoriale.
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Lorsque les politiciens sont incapables de régler politiquement un conflit et qu'ils hésitent à utiliser la force par crainte de passer pour des tyrans, il leur arrive d'utiliser les tribunaux pour intimider leurs opposants. En guise d'exemple, ce qui se passe en ce moment en Catalogne ressemble davantage à une prise de soumission, voire à une clé de bras, qu'à un processus judiciaire.

Le 6 février dernier, la directrice générale d'Option nationale et moi sommes allés à Barcelone pour assister au procès d'Artur Mas, l'ancien président de la Généralité de Catalogne. Ce dernier est accusé avec deux autres ex-ministres d'avoir organisé, en violation du droit espagnol, une consultation symbolique sur l'indépendance le 9 novembre 2014. L'Assemblea Nacional Catalana (ANC) nous avait invités à titre d'observateur international afin que nous puissions rendre compte de la situation politique entourant le procès. Voici le premier d'une série de deux articles qui exposeront un résumé de la situation et des réflexions que nous pouvons en tirer.

Tout d'abord, les faits

Au départ, le vote du 9 novembre 2014 devait se faire dans le cadre d'un référendum sur l'indépendance de la Catalogne. Il aurait servi à légitimer une déclaration d'indépendance. Toutefois, le 29 septembre 2014, le Tribunal constitutionnel espagnol (TC) suspendait le processus référendaire, prétextant qu'il était illégal dans le cadre de l'État espagnol. L'argument avancé ? La Catalogne ne peut pas décider seule de l'avenir de l'unité de l'Espagne.

Par analogie, on pourrait comparer cette logique à celle qui empêcherait une femme de se divorcer sans l'accord de son mari. Dans les deux cas, la liberté fondamentale de décider de son avenir est niée de façon archaïque. L'autodétermination des peuples n'est pas quelque chose qui se négocie, mais qui s'affirme unilatéralement, cela va de soi. On ne négocie pas sa liberté. C'est une fois souverain qu'il faut négocier avec les autres les paramètres de nos relations, pas avant. On devient libre pour pouvoir négocier et non l'inverse.

À la suite de cette mise en garde de l'Espagne, le gouvernement d'Artur Mas a décidé d'aller tout de même de l'avant avec le vote du 9 novembre, tout en spécifiant qu'il ne s'agirait que d'une consultation populaire symbolique sans conséquence légale. Bref, il s'agissait de prendre le pouls de la population et de connaître sa volonté.

Le 4 novembre, cinq jours avant le vote, le TC interdit le vote dans un avis considéré comme vague, incomplet et sans réelle portée par le gouvernement de Mas. Les Catalans ne reculent pas et vont aux urnes comme prévu le 9 novembre. La consultation populaire, menée par environ 42 000 bénévoles, a révélé un appui de 80,76 % à l'indépendance, avec un taux de participation de 42 %.

Une affaire judiciaire ou politique ?

Au départ, le procureur supérieur général de la Catalogne, José María Romero de Tejada, ainsi que l'ensemble des procureurs du Tribunal supérieur de justice de la Catalogne (TSJC) ont affirmé qu'il n'y avait pas là matière à porter plainte contre le gouvernement catalan. Le gouvernement de Mariano Rajoy, le premier ministre de l'Espagne, non content de cette position, fit pression sur le procureur général de l'État espagnol, Eduardo Torres-Dulce, pour qu'il dépose une poursuite pénale contre trois responsables de la consultation populaire. C'est ainsi qu'Artur Mas, le président de l'époque, ainsi que Joana Ortega, ancienne vice-présidente, et Irene Rigau, ancienne ministre de l'Enseignement, furent accusés de désobéissance civile et d'abus de pouvoir.

La clé de bras espagnole

Évidemment, il appartient à la Cour et non à nous de juger de la légalité des actions posées par le gouvernement catalan lors de la consultation populaire de 2014. Toutefois, poursuivre un ancien président pour avoir facilité une consultation populaire dont le résultat n'était pas exécutoire est incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie. S'il est interdit de consulter les citoyennes et citoyens pour connaître leur opinion dans le système légal espagnol, c'est qu'il est profondément hostile à la liberté d'expression et au débat démocratique en général.

La saga entourant ce procès est en train de saper la confiance des Catalans envers les institutions judiciaires espagnoles qui sont de plus en plus vues comme des instruments coercitifs du pouvoir politique madrilène. Mas, Ortega et Rigau ne sont d'ailleurs pas les seuls à subir un procès politique. Près de 400 politiciens catalans sont présentement poursuivis par l'Espagne pour des actes liés à l'expression de leur position indépendantiste, entre autres par l'affichage de drapeaux indépendantistes dans les mairies catalanes.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que la liberté d'expression n'est pas une valeur politique respectée dans l'État espagnol actuel.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que la liberté d'expression n'est pas une valeur politique respectée dans l'État espagnol actuel. La judiciarisation du conflit politique entre la Catalogne et l'Espagne fait du système judiciaire un instrument d'intimidation au service du nationalisme espagnol, prêt à sacrifier des libertés fondamentales pour préserver son unité territoriale.

Saper la confiance envers la justice et nuire à la paix sociale

L'indépendance du pouvoir judiciaire est extrêmement importante en démocratie. Lorsqu'un gouvernement l'instrumentalise pour régler un conflit de nature politique, la population risque de perdre confiance envers le système de justice en lui-même, ce qui menace la paix sociale à long terme. Est-ce ce que Rajoy cherche à faire ? Cherche-t-il à semer le désordre pour pouvoir légitimer aux yeux du monde une répression violente de cette lutte émancipatrice et démocratique ?

Le procès de Mas, Ortega et Rigau n'est pas comme les autres. C'est plutôt la judiciarisation d'un conflit politique entre la démocratie catalane et la légalité espagnole. Les Catalans semblent se sentir directement attaqués par le gouvernement espagnol, qui musèle leur droit d'expression et encore davantage leur droit à l'autodétermination. Compte tenu de l'arrogance de l'administration Rajoy, leur sang-froid et la façon disciplinée dont ils expriment leur mécontentement sont impressionnants.

Le comportement du gouvernement espagnol semble diriger les Catalans vers une impasse politique. À partir de ce que nous avons vu de l'état de la mobilisation populaire actuelle, il nous apparaît invraisemblable que les Catalans cèdent à l'intimidation judiciaire dont ils font l'objet et qu'ils abandonnent l'idée de faire un référendum sur leur indépendance avant le mois de septembre 2017.

Toutefois, il serait surprenant que le gouvernement espagnol recule et autorise un référendum sur l'indépendance. D'une part, il aurait probablement peur de le perdre. D'autre part, cela semble être une position indéfendable devant l'électorat espagnol. Il y a donc fort à parier que les Catalans devront tenir un référendum de manière unilatérale dans un cadre légal qu'ils devront déterminer eux-mêmes.

Si, dans un accès de démesure qui rappellerait l'époque du dictateur Franco, le gouvernement espagnol tentait d'empêcher par la force la tenue d'un référendum sur l'indépendance de la Catalogne, il faudra que les États et les citoyens du monde entier interviennent au nom de la liberté d'expression et du droit à l'autodétermination de tous les peuples.

(Cet article reprend les grandes lignes du rapport d'observation que nous avons produit pour l'Assemblea nacional Catalana (ANC), dont vous pouvez retrouver l'intégralité sur le site : opnat.quebec.)

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