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Quand nos institutions revictimisent les femmes et les enfants au nom de la «justice»

Alors que les femmes qui se retrouvent en maisons d'hébergement peuvent être accusées de ne pas fournir un milieu «stable» à leurs enfants, les hommes eux sont souvent perçus comme de «bons» pères malgré leur violence et ils réussissent parfois à obtenir la garde partagée ou même la garde complète des enfants.
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Le 11 décembre dernier, la Cour suprême du Canada rendait son jugement dans la situation impliquant MM, une femme qui a été contrainte de quitter les États-Unis pour protéger ses trois enfants de la violence exercée par leur père. Cette femme fait maintenant face à un avis d'extradition et, comme elle devra également faire face à des accusations de kidnapping, s'expose à une peine de 15 ans d'incarcération. Dans ces circonstances, ses enfants risquent d'être placés dans un milieu substitut.

Cette situation illustre, encore une fois, l'incapacité de nos institutions à assurer la sécurité des femmes et des enfants victimes de violence masculine. Si la société s'attend à ce que les femmes assurent la sécurité de leurs enfants, ces femmes obtiennent peu de soutien de la part des institutions et, dans bien des cas, elles sont blâmées et revictimisées par celles-ci.

Protéger ses enfants envers et contre tous

Même si les femmes qui vivent avec un homme violent doivent souvent lutter pour leur propre survie, elles sont aussi extrêmement préoccupées par la sécurité et le bien-être de leurs enfants. En fait, la protection des enfants constitue généralement une priorité pour elles, même si cela peut être extrêmement difficile, voire impossible.

Au cours des dernières décennies, nos institutions sociales et judiciaires ont non seulement démontré leur incapacité à assurer la sécurité des femmes et des enfants victimes de violence, elles ont aussi démontré leur incapacité à reconnaître et à soutenir les stratégies mises en place par les femmes dans le but de protéger leurs enfants. Au contraire, ces femmes se retrouvent souvent confrontées à un système qui les blâme pour leurs actions (ou leur apparente inaction) et qui privilégie des interventions qui sont perçues comme punitives et comme une forme de revictimisation pour elles et pour leurs enfants.

Ainsi, plusieurs femmes se retrouvent donc dans une impasse. D'un côté, elles peuvent faire le choix de demeurer avec leur conjoint pour assurer la sécurité et le bien-être de leurs enfants, mais elles risquent d'être accusées d'exposer leurs enfants au danger ou de ne pas prendre tous les moyens nécessaires pour les protéger; elles sont perçues comme de «mauvaises» mères et cela peut mener jusqu'au retrait de la garde des enfants. D'un autre côté, les femmes qui quittent leur conjoint violent pour assurer la sécurité et le bien-être de leurs enfants se retrouvent souvent dans des situations complexes et extrêmement précaires. De plus, même si la séparation ne résulte pas nécessairement en un arrêt de la violence, cette réalité est peu reconnue par les institutions et les femmes se retrouvent souvent seules à gérer les contacts père-enfant. Alors que les femmes qui se retrouvent en maisons d'hébergement peuvent être accusées de ne pas fournir un milieu «stable» à leurs enfants, les hommes eux sont souvent perçus comme de «bons» pères malgré leur violence et ils réussissent parfois à obtenir la garde partagée ou même la garde complète des enfants.

Tout ça se produit dans un contexte où les institutions accordent peu de crédibilité aux femmes et aux enfants victimes de violence. Ainsi, les femmes qui expriment des inquiétudes concernant les contacts père-enfant ou qui s'opposent à ces contacts risquent d'être perçues comme non collaborantes ou hostiles, et elles peuvent même être accusées d'aliénation parentale - des avocats vont même jusqu'à recommander aux femmes de ne pas parler de la violence pour ne pas déplaire aux juges. Dans le même sens, peu d'attention est portée au point de vue des enfants.

Quelle autre option ?

Le parcours de MM et de ses enfants, incluant le jugement récent de la Cour suprême, est certainement une démonstration de l'incapacité des institutions, américaines et canadiennes, à assurer la sécurité des femmes et des enfants victimes de violence masculine. Leurs témoignages déchirants illustrent ce processus de revictimisation et la possibilité d'une extradition en janvier prochain suscite la peur et l'impuissance.

Quitter le pays avec ses enfants peut sembler une solution drastique. Mais quelles autres options se présentent à ces femmes, lorsque la séparation n'a pas mis fin à la violence et lorsque les institutions, au lieu de les soutenir et d'intervenir de manière adéquate pour assurer leur sécurité et celle de leurs enfants, les blâment et les revictimisent ? Devraient-elles se résigner et laisser leurs enfants vivre dans un contexte de violence et de peur ?

Confrontées à une situation aussi difficile et dangereuse, ces femmes font un choix rationnel et aussi très courageux lorsqu'elles décident de quitter avec leurs enfants pour un autre pays. Elles devraient être vues comme des héroïnes et non comme des criminelles.

Une urgence d'agir

Lorsqu'il est question de l'incapacité des institutions sociales et judiciaires à assurer la protection des femmes et des enfants victimes de violence, l'ampleur et la persistance du problème démontrent l'importance d'apporter des changements structurels. De tels changements exigent du temps, ainsi qu'une volonté politique claire.

MM et ses enfants ne peuvent pas attendre ces changements. Il y a urgence d'agir et, en ce sens, nous demandons formellement à la ministre de la Justice du Canada d'intervenir rapidement dans ce dossier de manière à assurer la sécurité et un traitement plus juste pour MM et ses enfants.

On co-signé cette lettre :

Simon Lapierre, Cécile Coderre, Elizabeth Sheehy et Catherine Flynn, Université d'Ottawa, et Isabelle Côté et Dominique Damant, Université de Montréal. Ces chercheurs sont membres du collectif de recherche féministe anti-violence (FemAnVi).

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Mai 2017

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