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Voulons-nous l'égalité? Nous voulons avant tout la sécurité.

Nos efforts ne sont pas dirigés vers une lutte vers l'égalité, mais vers notre propre survie économique.
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L'air du temps est au pessimisme fataliste ou au mieux, à l'angoisse craintive. Nous avons perdu foi en l'avenir. Nous avons perdu notre capacité à imaginer un monde avec optimisme.
sam thomas via Getty Images
L'air du temps est au pessimisme fataliste ou au mieux, à l'angoisse craintive. Nous avons perdu foi en l'avenir. Nous avons perdu notre capacité à imaginer un monde avec optimisme.

The cost of my desire

Sleep now in the fire

- Zach de la Rocha

Le 21 janvier dernier, un rapport d'Oxfam nous apprenait que 26 milliardaires «détiennent autant de richesses que les 3,8 milliards de personnes qui représentent la moitié la plus pauvre de l'humanité».

D'après une étude de l'Institut Broadbent publié en 2015, les Québécois considèrent, en moyenne, que les 20 % les mieux nantis de la province devraient détenir 30% de la richesse du Québec. Dans les faits, ils en détenaient 67,4%, laissant 32,6% de richesse pour 80% de la population.

Les inégalités sociales existent partout sur tous les continents. Ici et ailleurs, les individus sont majoritairement en faveur de réduire ces inégalités.

Pourtant, ces inégalités se maintiennent.

Comment expliquer ce phénomène?

Le philosophe français Patrick Savidan a publié en septembre 2015 un ouvrage au titre révélateur : Voulons-nous vraiment l'égalité? Dans celui-ci, il élabore trois pistes de solution.

Perte de confiance en l'État

La première piste de solution se trouverait dans une perte de confiance envers l'État dans son travail de redistribution de la richesse. Les taxes et l'imposition sur le revenu, ciblant généralement les plus riches, visent à financer les systèmes sociaux, qui bénéficient à toute la population. Cette forme de solidarité est désignée sous le terme «solidarité froide». Il s'agit du modèle État social-démocrate qui s'est développé en Occident, particulièrement après la Seconde Guerre mondiale.

Or, ce modèle est en déroute. Création d'une autre époque, cette approche semble dépassée, désadaptée face à un monde éclaté, aux frontières économiques, sociales et cultures plus floues, moins étanches. L'État semble désemparé face aux défis contemporains auxquels il fait face.

Un exemple? Les paradis fiscaux. L'État y perd des milliards annuellement et son pouvoir de récupération est limité. Ou par exemple, son incapacité à gérer la crise environnementale ou les tensions causées par les migrations de populations, exacerbées par les guerres et les changements climatiques. Des problématiques mondiales, qui dépassent ses simples frontières.

Évidemment, cette perte de confiance est accompagnée d'une méfiance envers l'État, que l'on évite, par l'évasion fiscale, par le recours au marché noir, par l'utilisation de services privés de santé ou d'éducation, etc. En réponse, l'État favorise la réduction de sa taille, afin de minimiser ses responsabilités. Ce qui implique une réduction des impôts, une privation de différents pans de l'économie et un retrait de son rôle de redistribution de la richesse.

Bref, il y aurait une perte de confiance envers l'État en tant que «redistributeur» de richesse, car celui-ci semble moins apte à remplir ce rôle qu'auparavant.

Un désir de richesse

La deuxième piste de solution pour expliquer le maintien des inégalités, c'est le désir de richesse. La population ne renverserait pas l'élite financière, car elle rêverait d'en faire partie.

Nous sommes bombardés d'images de la consommation somptueuse, abondante et ostentatoire des individus riches. Il s'agit d'une démonstration de leur statut social, soulignant leur supériorité économique, symbole de leur pouvoir. Il se crée donc une envie. Le citoyen moyen aimerait également vivre comme les Kardashian, conduire une Ferrari et passer l'été aux Bahamas dans une villa privée. Le rêve.

Ou un cauchemar hautement médiatisé, dans le cas des festivaliers du Fyre Festival, qui ont payé jusqu'à 12 000 $ US pour leur billet. Chez les riches, même la misère est ostentatoire.

La recherche de sécurité

Mais pour Savidan, ces réponses sont insatisfaisantes et incomplètes.

Il reprend les enseignements de l'économiste américain Thorstein Veblen, décédé en 1929, qui considérait que c'est la nécessité, avant la luxure, qui est le principal moteur de l'économie.

Savidan croit que nous vivons dans un monde à l'avenir incertain. Les sources d'insécurité pour la population sont multiples, particulièrement les questions environnementales, énergétiques, migratoires. Et que penser de la robotisation de l'économie, qui impliquerait la disparition d'emplois et de professions? Est-ce qu'un monde post-travail est possible, souhaitable?

L'air du temps est au pessimisme fataliste ou au mieux, à l'angoisse craintive. Nous avons perdu foi en l'avenir. Nous avons perdu notre capacité à imaginer un monde avec optimisme. Il n'est plus rare d'entendre de jeunes adultes affirmer qu'ils refusent de faire des enfants, car ils ne veulent pas les faire vivre dans un monde qui serait en perdition.

Donc, ce que nous rechercherions avant tout, c'est la sécurité, de sauver notre propre peau avant la grande catastrophe.

Nos efforts ne sont pas dirigés vers une lutte vers l'égalité, mais vers notre propre survie économique. Et notre quête de sécurité contribuerait au maintien des inégalités sociales.

Savidan utilise la métaphore suivante : une salle de cinéma enflammée, avec une seule sortie. Si tous les individus à l'intérieur de la salle coopèrent, il est possible que tous en sortent indemnes. Si tous priorisent leur propre sécurité, se bousculent, se frappent afin de sortir de la salle, il est fort probable qu'il y aura des morts. Ainsi, dans le monde actuel, les individus agiraient dans leur propre intérêt, non par manque d'empathie, mais par insécurité, par peur.

Dans un monde au futur incertain, la sécurité est plus attirante que le luxe.

Dans le contexte économique actuel, pour ne pas être dominé et vulnérable, il faudrait donc être dominant et privilégié. Et c'est en tant que potentiel dominant que nous accepterions, temporairement nous espérons, d'être dominé. Dans ce contexte, difficile d'imaginer une réelle volonté politique et collective afin de s'attaquer aux inégalités.

Ou encore, nous essayons simplement de survivre d'un chèque de paye à l'autre, dans un pays où la dette contractée des ménages sur le marché de crédit représente 177,5 % du revenu disponible. Autrement dit, une dette de près de 1,78 $ pour chaque dollar en revenu gagné. On le sait, les dettes, c'est très insécurisant. Une personne endettée risque d'être moins solidaire, nécessairement.

Bref, pour Savidan, le facteur clé pour expliquer le maintien des inégalités sociales, c'est notre crainte du futur.

Solidarité pour tous

Malgré tout, Savidan se veut sympathique envers ses contemporains. Il ne les réduit pas à des êtres hypocrites et égoïstes: nous demeurons des êtres fondamentalement solidaires. Pour Savidan, la solidarité est modelée en fonction de la configuration de la société.

Or, nous serions à l'heure de la «solidarité chaude». L'individu est solidaire, mais il redistribue lui-même sa propre richesse, soit auprès de sa famille, de ses proches ou auprès de n'importe groupe ou cause de son choix. Le sociofinancement est une expression de ce type de solidarité (pensons à Kickstarters, Patreon, La Ruche etc.).

Dans un monde insécurisant, les individus tendent à se montrer prudents et moins généreux, non par indifférence aux autres, mais une peur de ce que nous réserve l'avenir.

Cependant, ce type de solidarité serait moins efficace afin de réduire les inégalités sociales, car la redistribution n'est pas incluse dans une volonté collective de redistribution de la richesse. D'autant plus que dans un monde insécurisant, les individus tendent à se montrer prudents et moins généreux, non par indifférence aux autres, mais une peur de ce que nous réserve l'avenir.

Il serait nécessaire que la solidarité sociale, la solidarité pour tous, soit la pierre d'assise de notre projet de société. Elle doit quitter la sphère personnelle pour revenir dans la sphère sociale et politique. Il s'agit, peut-être, de la seule façon de s'attaquer aux inégalités, d'évoluer collectivement vers un monde plus juste.

Et que par l'entraide, nous puissions tous sortir indemnes du feu.

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