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La prostitution est-elle comme le disait Théophile Gautier, "l'état ordinaire de la femme"?

Plutôt que de faire des procès d'intention et de nier la forêt au nom du droit de l'arbre, les féministes doivent se mobiliser pour lutter contre les réseaux de proxénétisme grands ou petits, autochtones ou importés. Devra être posée la question de la pénalisation du client. Ce qui se passe en Suède, abolitionniste, est un vrai succès et les réseaux maffieux ont déguerpi faute de clients. La loi de l'offre et de la demande est implacable. Et c'est par l'élément économique que l'on a le plus de chance de faire reculer les réseaux de prostitution.
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Le débat ouvert à juste titre par Elisabeth Badinter, Régine Desforges, Caroline Eliacheff, Elisabeth de Fontenay et d'autres intellectuels de premier plan est essentiel pour notre société. La France s'est déclarée abolitionniste au plan international, depuis avril 1997 mais ce n'est qu'aujourd'hui que l'on semble s'en soucier. La tribune parue dans le Nouvel Observateur aborde des questions de fonds mais comme toujours, pour qu'un débat soit porteur, il est essentiel de s'entendre sur les définitions et des buts à atteindre.

La liberté de tout un chacun de jouir à son gré de son corps est une donnée intangible. Les pratiques sexuelles dès lors que la dignité des êtres n'est pas remise en cause, doivent être respectées. Mais la prostitution n'est pas une pratique sexuelle, mais une activité économique. C'est même une des activités économiques que les mafias sous tous les cieux, considèrent parmi les plus lucratives.

Le fisc ne s'y trompe pas qui demande aux prostitués des déclarations d'impôts! Ces déclarations pourraient d'ailleurs, être un bon moyen pour remonter les réseaux de prostitution...

Mais confondre le droit d'avoir la sexualité que l'on veut avec un simple acte commercial, quelque soit la symbolique ou la charge émotionnelle que l'on peut y mettre, conduit à une erreur d'analyse grave, le corps serait un lieu de commerce comme un autre. Peut-on dès lors aussi envisager de vendre un rein, du sang ou son utérus?

Qui dit prostitution dit commerce. Qui dit commerce dit loi de l'offre et de la demande et là il n'y a plus égalité. Y a-t-il égalité quand le client propose le double du tarif pour un rapport non protégé? Qui peut veiller à ce que cela ne se passe pas? Je conviens qu'il y a quelques femmes qui sont réellement libres dans leur prostitution, mais peut-on les dissocier de l'immense majorité et jusqu'où sont-elles libres?

Car nous pourrions être tentés de croire que la liberté de disposer de son corps dès lors qu'il n'y a pas proxénétisme, doit être respecté dans le cas de la prostitution d'adultes. Il y a certes des femmes et des hommes qui considèrent qu'ils ont choisi librement de faire ce métier qui rapporte plus que la conductrice de bus ou le caissier de grand magasin. Le commerce de "proximité" de la drogue aussi paye mieux. Comment dissocier ces deux activités qui déstructurent de la même façon avec les mêmes ressorts,des pans entiers de notre société et faire croire que l'une (la prostitution) doit être conservée et l'autre (la drogue) interdite quand on sait que la pauvreté en est la cause unique? Et que dire de toutes celles qui sont loin d'avoir intégré ce concept émancipateur, n'ayant pas conscience simplement de leurs droits. De la liberté à disposer de son corps vous dites ?

Enfin, aujourd'hui il semble que les prostituées soient pour la plupart "importées" par des réseaux, les femmes françaises, elles, sont peu "attirées". Auraient-elle renoncé à cette liberté de se prostituer ou ont-elles eu accès à l'éducation et choisi des métiers plus intéressants, plus valorisants et néanmoins pas toujours mieux rémunérés ?

Ces femmes importées de pays tiers ou recrutées dans nos quartiers populaires, elles, elles auraient le droit de se prostituer ? Souvenons nous de la coupe du monde de football à Berlin où pour un billet acheté, le client avait droit d'accès au bordel géant. Les filles importées massivement des pays de l'Est obtenaient un visa de 15 jours pour "travailler" dans un bordel géant. L'Europe aurait-elle si peu à proposer aux femmes ? Quand aux filles des quartiers, le phénomène Zahia n'a suscité l'intérêt que des tabloïdes, personne ne s'est s'intéressé au cheminement qui amènent ces filles à se vendre sur les Champs Elysées ou dans les centres villes de nos provinces? Le basculement commence justement au moment où on ne se respecte plus, à l'instant où on intègre "toutes des putes sauf ma mère", où l'on se dit que la misère sexuelle des hommes est un fait que l'on ne peut remettre en cause, la prostitution un état que la femme ne peut éviter. Quelle liberté pour ces jeunes filles qui "taillent une pipe" pour 5 euros dans une cage d'escalier ou dans les toilettes du lycée (eh oui l'école peut être un lieu de prostitution ordinaire!). Combien sont-elles à accepter des rapports sexuels en échange d'argent ? Libre choix ?

Quant aux clients si on en juge par les conversations des hommes de nos familles, qu'aller aux putes, c'était se donner des petits frissons à moindre coût, s'encanailler côtoyer les filles de mauvaises vies et les mauvais garçons, une sorte de mixité sociale tarifée et réservée aux hommes qui devaient avoir "leurs expériences" avant le mariage. Il faut alors relire le passage sur le spectacle sexuel du livre de Robert Bober "On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux" cela se passe dans un café des puces juste après guerre, une dizaine de femmes de la bonne société accompagnées de leurs hommes viennent voir le membre en érection d'un ouvrier bien pourvu. Acte de prostitution collective, misère sexuelle partagée, dignité niée pour arrondir les fins de mois de cet ouvrier. Il y a aussi ces jeunes clients qui n'ont eu comme seule éducation sexuelle la pornographie à laquelle ils ont accès dès huit, neuf ans sur internet.. Aller "aux putes" pour pratiquer ce qu'ils ont appris sur le net ou dans les films porno est le pas suivant, normal, banalisé, sucité par ce qu'ils ont vu sur leurs écrans. Leur regard sur les femmes reste ancré sur des stéréotypes largement dépassés : la maman ou la putain. Le film continue dans la réalité .

Non, tous les clients ne sont pas des salauds, sinon des salauds ordinaires...

Au delà des positions exprimées dans cette tribune dont personne ne remet ici en cause la sincérité, que faire face à des réseaux de prostitution extrêmement puissants et dont les ramifications sont aujourd'hui mondiale? L'arbre peut cacher la forêt, la prostitution artisanale, les réseaux maffieux.

Plutôt que de faire des procès d'intention et de nier la forêt au nom du droit de l'arbre, les féministes doivent se mobiliser pour lutter contre les réseaux de proxénétisme grands ou petits, autochtones ou importés. Ces jeunes Albanaises ou Russes ou Ivoiriennes peuvent échapper à des destins dont les statistiques parlent plus souvent en terme de mort, de brutalités, d'enfants abandonnées que de pratiques libertines libératrices.

Devra être posée la question de la pénalisation du client. Ce qui se passe en Suède, abolitionniste, est un vrai succès et les réseaux maffieux ont déguerpi faute de clients. La loi de l'offre et de la demande est implacable. Et c'est par l'élément économique que l'on a le plus de chance de faire reculer les réseaux de prostitution.

Quant à abolir totalement la prostitution, cela n'arrivera pas car les pratiques maffieuses savent s'adapter et la lutte devra être permanente, peu de place pour les quelques indépendantes...Ce qui sous-entend, que le débat de société ne fait que commencer et il importe qu'il reste ouvert. Les ramifications en seront innombrables et il y a fort à parier que peu d'hommes resteront clients une fois mieux instruits de l'égalité entre les femmes et les hommes.

"Belle de jour" est née de l'imagination de Luis Bunuel, pas de ses lectures de faits divers.

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