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En Afghanistan, du temps où je ne pouvais pas m'exprimer, ne pouvais pas respirer

J'ai été contraint de quitter mon pays natal pour toutes sortes de raisons, y compris ma passion pour le cinéma. Je ne pouvais pas m'exprimer, je ne pouvais pas respirer.
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Sous l'occupation soviétique en Afghanistan, les Russes m'ont attribué une bourse que j'ai acceptée à contrecœur pour pouvoir intégrer l'école de cinéma de Moscou. Je savais que c'était l'unique moyen de me former à l'art de la réalisation. Lorsque je suis rentré en Afghanistan après mes études, le régime communiste soutenu par les Soviétiques contrôlait tout. Non seulement nous subissions une pression psychologique à cause de cette situation politique complexe, mais aussi une répression et une censure accrues. J'ai tenté de réaliser deux courts métrages, mais le gouvernement les a censurés.

Cependant, la censure et la répression étaient bien pires encore sous le régime des talibans. J'ai été contraint de quitter mon pays natal pour toutes sortes de raisons, y compris ma passion pour le cinéma. Je ne pouvais pas m'exprimer, je ne pouvais pas respirer.

Depuis la chute du régime taliban, des progrès marquants ont été accomplis et nous pouvons nous en réjouir. Nous avons une constitution et des élections, nous bénéficions d'une forme de système démocratique et de beaucoup d'autres choses. Mais demandons-nous ce que ces progrès nous ont coûté et comment ils ont été réalisés. Étaient-ils réclamés par le peuple afghan ? Est-ce que tout le monde les a acceptés ? Le concept de démocratie fait-il réellement partie de notre culture aujourd'hui ? Notre peuple participe-t-il en toute lucidité aux élections ? Comprend-il suffisamment le système démocratique et son fonctionnement en Afghanistan ?

Mentionnons que ces avancées sont l'œuvre des troupes étrangères sur notre sol. Après leur départ, pourrons-nous vraiment croire que notre prochain dirigeant ne sera pas un nouvel Abdur Rahman Khan ? [Émir de l'Afghanistan de 1880 à 1901, surnommé "émir de fer", il a dirigé le gouvernement afghan après la deuxième guerre anglo-afghane].

Mon espoir en l'avenir repose sur les jeunes. Ils sont instruits et possèdent un fort potentiel. Ils sont dynamiques, engagés et actifs. Cela dit, ils sont comme une maison sans toit. Je ne sais pas qui pourrait ou ce qui pourrait les soutenir, les organiser et faire en sorte qu'ils exploitent tout leur potentiel. Toutefois, l'émergence de cette génération est prometteuse.

J'ai des craintes et ce qui m'effraie le plus, c'est que l'Afghanistan manque encore de modération. Nous sommes constamment pris entre deux extrêmes. Nous sommes à la fois la plus et la moins extrême des nations du monde. Notre situation sociale et politique est tellement instable à l'heure actuelle que si les troupes militaires occidentales quittaient le pays, je suis certain que notre président deviendrait le plus grand dictateur qui soit.

L'Afghanistan doit relever des défis et chacun d'eux est la conséquence d'interprétations erronées de la tradition, de la religion et de la modernité. Au siècle dernier, nos politiciens ont été incapables de tisser de vrais liens avec la société qu'ils représentaient, simplement parce qu'ils ne comprenaient pas leur propre société. Ce processus historique nous a conduit à la situation actuelle. Une nation que l'on a toujours maintenue dans les ténèbres de la pauvreté, de l'illettrisme et de l'ignorance est vouée au fondamentalisme religieux. Pendant ce temps, nos politiciens profitent du cercle vicieux de la guerre et de la violence pour accroître leur pouvoir et leur prospérité au détriment de leur peuple en souffrance. Notre ignorance a fait naître notre intransigeance qui elle-même a engendré notre violence.

De fait, le peuple afghan est méfiant à l'égard de la politique et de ses arrangements. Les Afghans sont écœurés par les talibans, l'extrémisme et la violence. Cela dit, ils sont aussi plongés dans un état léthargique. Une hypothèse d'explication pourrait être l'influence exercée par les médias qui ont projeté tant de terreur et de violence que les gens sont tout simplement dépassés et épuisés de tout, et de la guerre en particulier. Je crains que cette léthargie ne permette aux talibans de reprendre le pouvoir et que le peuple soit trop meurtri pour résister. D'où la menace tangible d'interdire de nouveau aux filles d'étudier et d'exclure les femmes de la vie sociale. Notre mémoire collective est faible et faillible, ce qui est un réel danger pour nous.

L'usage et l'interprétation impropres de la religion ont eu un effet dévastateur sur notre société. Même les coutumes non religieuses antérieures à l'islam perdurent de façon nuisible. Prenez la notion d'"honneur" par exemple. Vous pouvez parfaitement comprendre l'étendue de la violence et des dégâts au sein de notre société quand vous voyez que quelqu'un est prêt à tuer simplement parce que sa fille est tombée amoureuse. Dans ces conditions, comment les femmes peuvent-elles participer pleinement à la vie de la société ?

La demande la plus fondamentale des femmes est le réexamen et la révision des décrets et des enseignements religieux. Les femmes sont en quête de leur identité et de leur statut au sein de la religion. Nous devons combattre les interprétations religieuses fondamentalistes et misogynes qui persistent.

Les femmes veulent également assainir la structure du pouvoir politique afin de progresser vers un système représentatif, au lieu de factions et de dirigeants uniquement soucieux des intérêts de leur seul entourage. Ceux qui sont actuellement aux commandes du pouvoir politique afghan sont le principal facteur du maintien du patriarcat.

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Deux mois avant les élections présidentielles Afghanes, Armanshar/OPEN ASIA et la FIDH se mobilisent et lancent une campagne intitulée "Levons le voile sur l'Afghanistan : les voix inaudibles du progrès". Durant 50 jours, 50 interviews d'acteurs sociaux, politiques et culturels influents de la société civile Afghane seront publiés sur le site du Huffington Post aux États-Unis et dans le grand quotidien Afghan, 8 Sobh. Le Huffington Post Québec a décidé de publier un échantillon de ces témoignages poignants, où il est question de droits humains et de la place des femmes. Toutes les interviews sont disponibles en anglais sur le site du Huffington Post US et de la FIDH, et en farsi sur le site d'Armanshahr/OPEN ASIA.

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