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Le Sénat recommande un abattage massif de phoques gris : le bon, le moins bon et le terrible

Une fois qu'on a compris qu'un abattage massif de phoques gris ne peut pas être mené comme une « expérience » et qu'il est impossible de le justifier d'un point de vue scientifique, on en revient à la question de la souffrance animale. On exterminerait des milliers et des milliers de phoques à l'arme à feu et au gourdin, on infligerait toute cette souffrance... uniquement pour satisfaire des intérêts politiques.
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Le Sénat du Canada - notre Sénat - vient tout juste de publier un rapport sur la « gestion » des populations de phoques gris de la côte Est du pays. Ce rapport recommande de dépenser des millions de dollars provenant des contribuables pour faire une « expérience » tellement mal ficelée dès le départ que les résultats, quels qu'ils soient, ne voudront strictement rien dire.

Mettons de côté pour l'instant les détails du fonctionnement de l'abattage et ses coûts (en argent et en répercussions éthiques) et rappelons l'essentiel de la proposition : abattre 70 000 phoques. Le chiffre fait frémir. La compassion pour les animaux est au coeur de notre travail et il est difficile d'imaginer l'ampleur des souffrances qu'un abattage aussi massif engendrerait.

Cela dit, prenons un moment pour analyser cette proposition d'un autre point de vue, celui de la science.

La première recommandation du Comité est bonne : on dit que le ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO) devrait fixer des objectifs de rétablissement et un échéancier pour les stocks de poissons en difficulté. Jusqu'ici, les efforts du Canada pour favoriser le rétablissement des stocks de morue ont été - disons-le clairement - pathétiques. On le reconnaît dans le rapport du Sénat et le grand spécialiste des sciences de la mer, Jeff Hutchings, l'avait décrié vigoureusement dans son témoignage. Prenons le cas du stock de morues du sud du golfe du Saint-Laurent, par exemple - celui-là même qu'on pense favoriser en abattant les phoques. À chaque année ou presque depuis 10 ans, le MPO accorde délibérément dans ce secteur des quotas et des prises plus élevés que le seuil considéré comme viable dans une perspective de développement durable par les scientifiques spécialisés dans les pêches. Autrement dit, on maintient la pression de la pêche commerciale sur ces stocks de morue depuis une décennie, au lieu de l'alléger. Compte tenu qu'on a laissé ce stock en état d'épuisement perpétuel, et qu'on n'a pas de stratégie de rétablissement digne de ce nom, le simple fait d'envisager un abattage massif de phoques est déjà totalement contraire à l'éthique.

La seconde recommandation du Comité est intéressante aussi : on reconnaît qu'il y a d'importants manques dans nos connaissances scientifiques et on ajoute qu'il faudrait y remédier. Le problème, c'est qu'on ne dit pas clairement qu'il faudrait y remédier avant de procéder à un abattage.

Plusieurs autres recommandations du rapport ont déjà abondamment critiquées par la communauté scientifique. Au premier chef, on critique sévèrement l'idée de faire un abattage de phoques gris en le considérant comme une « expérience » scientifique.

Pensez à toutes le variables en jeu. Il y a les morues, les phoques gris, et tous les autres animaux de l'océan. Des animaux qui se nourrissent de morue, de phoques gris, d'aliments dont se nourrissent les morues et les phoques gris, de plantes, d'autres animaux, etc. Il y a aussi les variables environnementales : les courants océaniques qui transportent la nourriture de la morue, la pollution, les maladies, les changements climatiques. Ce réseau alimentaire est d'une grande complexité et dès qu'on modifie une ou plusieurs variables - ce qui est inévitable - toute cette « expérience » tombe à l'eau.

Plus loin dans le rapport, il y a de quoi devenir de plus en plus perplexe : on dit que la chasse commerciale serait préférable à l'abattage et qu'il faudrait élaborer un plan basé sur un marché local et international rentable pour les produits tirés des phoques gris. Apparemment, les membres du Comité dormaient sur leurs deux oreilles pendant plusieurs témoignages, dont ceux du MPO, des chasseurs, et des associations représentant l'industrie de la pêche. Tous ont souligné ce que plusieurs d'entre nous savaient déjà : il n'y a PAS de marchés rentables pour le phoque gris depuis qu'on a cessé d'éclairer nos villes avec des lampes à l'huile de phoque. Voilà près de 20 ans que le gouvernement dépense des millions de dollars en fonds publics pour des plans d'affaires, des stratégies d'adaptation, et des projets de marketing pour la peau et la viande des phoques gris - tous ont échoué. L'an dernier, le quota de chasse commerciale aux phoques gris avait été fixé à 60 000 têtes, et le nombre de captures s'est élevé à... zéro. Le fait de croire qu'un abattage de phoques gris pourrait un jour servir à alimenter un marché rentable n'est que pure chimère.

Les deux dernières recommandations sont encore plus déroutantes.

On propose d'ajouter l'huile de phoque non réglementée comme supplément alimentaire dans la prochaine édition du Guide alimentaire canadien. Si jamais on prend cette proposition au sérieux, vous pouvez être certain qu'elle soulèvera une vive controverse.

Dernière recommandation - et certainement pas la moindre - le Sénat propose de relancer le projet révoltant d'abattre et d'incinérer des dizaines de milliers de phoques sur l'île de Sable et dans l'est du plateau néo-écossais. Le Sénat fait cette recommandation même si on a clairement dit au Comité que « le prélèvement et l'élimination de milliers d'animaux de l'île de Sable trouveraient peu d'appuis auprès du public ». Ironiquement, même si c'est dans ce secteur que l'on retrouve les plus importantes populations de phoques gris, c'est aussi un des endroits où on commence à observer un rétablissement des stocks de morue. Cela s'explique peut-être par le fait qu'on n'a pas rouvert la pêche commerciale dans ce secteur depuis l'adoption du moratoire.

À mon avis, le seul résultat sûr de cette « expérience » est le suivant : dans quatre ans, nous serons encore plus fortement convaincus que le fait de mener une telle expérience en pleine nature avec l'argent des contribuables est une idée tellement mauvaise qu'on peine à trouver les mots pour en décrire la folie.

Une fois qu'on a compris qu'un abattage massif de phoques gris ne peut pas être mené comme une « expérience » et qu'il est impossible de le justifier d'un point de vue scientifique, on revient à la question de la souffrance animale. On abattrait des milliers et des milliers de phoques à l'arme à feu et au gourdin, on infligerait toute cette souffrance... uniquement pour satisfaire des intérêts politiques.

Si vous êtes aussi choqué que nous par ces recommandations, svp Envoyez un message à Gail Shea, la ministre des Pêches et des Océans du Canada. Demandez-lui de rejeter intégralement tout projet d'abattage des phoques gris.

Vous pouvez aussi consulter le rapport de l'IFAW

sur les implications d'un abattage massif de phoques gris.

Des images choc de la chasse aux phoques compilées par nos collègues du HuffPost Canada

Canadian Seal Hunt

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