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Dans le secret du Khatana ou la fin d'une mutilation au Kurdistan

Dernièrement, le Kurdistan irakien s'est penché sur la question du respect des droits de l'Homme. Voilà deux ans maintenant que les mutilations génitales féminines ont été interdites.
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Le Kurdistan, c'est l'une des rares success-stories de l'Irak : autonome vis-à-vis de Bagdad depuis 1991, cette région bénéficie depuis peu du boom pétrolier qui attire les investissements étrangers, une situation inédite dans le pays.

Dernièrement, le Kurdistan irakien s'est penché sur la question du respect des droits de l'Homme. Voilà deux ans maintenant que les mutilations génitales féminines (MGF) ont été interdites avec l'introduction d'une loi globale visant à améliorer le droit des femmes et depuis, le nombre de MGF a baissé de façon draconienne.

Mais comment cela a-t-il été rendu possible ? Le Kurdistan fait plutôt figure d'exception. En effet, le nombre de MGF est encore très élevé dans beaucoup d'autres pays du Moyen-Orient et d'Afrique. Selon l'UNICEF, les pays où la pratique des MGF est la plus répandue sont la Somalie et la Guinée. L'Égypte, quant à elle, compte parmi les cinq premiers pays de la liste. Cependant, toujours d'après l'UNICEF, cette pratique est «presque inexistante» dans le reste de l'Irak.

Dans un reportage spécial de la BBC, j'ai pu en connaître davantage sur la campagne d'éducation menée sur le terrain qui a conduit à l'interdiction de cette pratique. J'ai donc voulu savoir si les mesures mises en œuvre pour faire appliquer cette loi étaient suffisantes pour en finir ainsi avec les MGF au Kurdistan.

Le petit village de Toutkhal, situé dans une zone reculée et montagneuse du Kurdistan irakien, fut l'une des étapes de mon voyage. De prime abord, la vie semble ne pas avoir été touchée par la modernité. Des petites maisons en torchis, des animaux de la ferme et des habitants vivant de la terre : il est difficile, avec ce cadre, d'imaginer comment ce village pourrait faire l'actualité. Pourtant, ce village a connu de profonds changements. Toutkhal fait partie des quelques villages du Kurdistan irakien ayant banni la pratique de la mutilation génitale féminine dès son interdiction en 2011.

Le maire du village, Sarhad Wahab, était fier de m'annoncer que quelques mois après avoir mis en application l'interdiction, le gouvernement a commencé à s'intéresser à Toutkhal, en fournissant au village une nouvelle école et l'accès à l'électricité. Mais il m'a tout de même précisé que ce ne fut pas la raison qui a motivé l'application de l'interdiction : «Nous pensons que notre corps nous appartient et le fait d'en exciser une partie constitue un acte de violence. Nous sommes très fiers d'être les premiers à mettre en oeuvre cette campagne. Nous avons interdit les MGF car nous savions que c'était mal.»

Le maire et son épouse semblent sincères dans leur engagement à cette cause. Plusieurs années auparavant, ils avaient empêché l'excision de leur plus jeune fille Dunia. Sa grande sœur Seiber a pourtant été excisée en secret, par sa grand-mère, lorsque ses parents étaient absents. Nesri m'a ainsi raconté ce qui est arrivé à sa fille aînée : «Ils savaient que je refuserais de faire exciser ma fille. Alors ils l'ont fait quand je n'étais pas là. C'était irréversible. Cela la rend malheureuse, elle me demande toujours, pourquoi as-tu pu empêcher l'excision de Dunia et pas la mienne? J'ai toujours voulu qu'aucune des deux ne soit excisée.»

Dunia et Seiber semblent mal à l'aise quand j'évoque la Khatana(1). Dunia me confie qu'elle se sent coupable vis-à-vis de sa sœur : «Je regrette qu'elle ait été excisée parce que c'est ma sœur et qu'elle a souffert, comme toutes les autres.» L'interdiction est intervenue trop tard pour beaucoup de filles de cette région, presque toutes les femmes et jeunes filles que j'ai rencontrées ont été excisées.

Deeman, une amie de Dunia, m'a raconté son expérience : «J'étais toute petite. J'étais en train de jouer avec une amie lorsque ma maman m'a prise avec elle et m'a dit que le vendeur de fruits et légumes et de bonbons était au village. Elle m'a dit que nous allions m'acheter quelque chose. Ils m'ont emmenée dans une maison et c'est là qu'ils m'ont excisée. Si je l'avais su, je me serais enfuie. [...] Je me rappelle que c'était très douloureux ... deux femmes me maintenaient à terre. Je savais que mon corps m'appartenait alors pourquoi ont-ils pris quelque chose qui m'appartenait, pourquoi ont-ils coupé une partie de moi qui était à moi?»

Sa mère, Talaat, a fait exciser ses cinq filles, dont Deeman. Elle m'a précisé n'avoir jamais voulu faire de mal à sa fille, elle a simplement fait ce qu'elle pensait être le mieux pour elles. Assise près de sa mère, Deeman semblait contrariée. Je lui ai demandé si elle était en colère contre sa mère : «Être en colère contre ma mère ne sert à rien. C'était une pratique largement répandue et nous aimons notre mère. Si nous devions être en colère contre quelqu'un, ce serait contre ceux qui ont répandu cette pratique au nom de la religion.»

L'une des raisons de la prévalence du Khatana ou des MGF réside dans le fait que beaucoup croient encore que cette pratique fait partie de l'islam. Le mollah Omar Chngyani, un érudit musulman, a abordé ce sujet à travers de nombreux écrits : «Cette pratique n'est pas liée à l'Islam, il s'agit d'une pratique traditionnelle et non religieuse. C'est une forme d'oppression exercée sur les femmes.» C'est une tradition transmise de génération en génération. Omar Chngyani précise que «certaines personnes décident de suivre une certaine interprétation de l'Islam à la lettre, sans vraiment en comprendre les enseignements. Mais avec une lecture et une compréhension approfondies, on sait que l'Islam ne pourrait jamais nous enjoindre à faire souffrir l'autre».

Le profond changement qu'a connu le village de Toutkhal s'inscrit dans la campagne financée par une ONG locale, WADI, qui lutte pour mettre fin à la MGF au Moyen-Orient. Lorsque les MGF ont été révélées au grand jour, cela a créé une onde de choc qui a touché toute la société. Ce qui est singulier, c'est que les MGF ont été découvertes par hasard. En 2004, suite à la chute de Sadam Hussein, le Kurdistan se préparait à l'afflux de réfugiés provenant du reste de l'Irak. L'ONG WADI a donc dépêché des équipes dans les villages en soutien. Les membres de l'ONG sont revenus avec des récits de petites filles victimes d'excision.

Falah Muradkan est le responsable de l'ONG WADI et l'un des plus fervents promoteurs de la campagne : «Un membre de notre équipe dans la région de Gamiyan nous a informé que des personnes posaient des questions sur les mutilations génitales féminines, cherchant par exemple à savoir comment procéder à l'excision s'ils décidaient d'exciser, ce qui nous a fort surpris. Nous savions que de telles pratiques existaient, mais nous ignorions qu'elles étaient toujours d'actualité.»

Falah Muradkan en a informé les autorités qui ont été choquées à l'idée que les MGF étaient toujours pratiquées au Kurdistan : «Lorsque ces récits ont été rendus publics, le gouvernement régional du Kurdistan les a niés. Une sorte de défi s'est alors instauré entre nous, et nous devions prouver que ces pratiques existaient toujours.»

Ce fut le début d'une campagne de sept ans menée avec d'autres ONG et des réalisateurs de film. De village en village, ils ont recueilli des témoignages de femmes. Après des années de campagne publique, une loi a finalement été adoptée pénalisant les MGF.

Gasha Dara était à la tête du Comité des droits des femmes lorsque cette loi a été adoptée. Elle a contribué à faire adopter cette interdiction par le Parlement : «Ce sujet a été difficile à faire accepter par les membres du Parlement, voire par la société dans son ensemble. Souvent, nous nous entendions dire «N'avez-vous rien d'autre à faire que de vous occuper des MGF ?» Nous savions ce chemin semé d'embûches dès lors que nous évoquerions les MGF en raison des sensibilités culturelles. Nous avons donc décidé d'inclure les MGF dans une proposition de loi plus large contre les violences domestiques.»

Avec cette loi, c'est un pas de géant dans la lutte contre les MGF qui a été accompli, mais elle n'est pour autant pas terminée. Lorsque la loi a été modifiée en 2011, certains avaient mis en garde contre le fait que l'interdiction de ces pratiques pouvait tout simplement conduire à ce qu'elles soient réalisées dans la clandestinité.

Gasha Dara m'a indiqué que «cette loi vise à changer une culture établie depuis longtemps. Il est donc normal qu'elle n'ait pas encore été intégrée dans les mentalités. L'étape suivante de notre action consiste à appréhender les problèmes que posent cette loi et les raisons qui empêchent sa mise en œuvre. Est-ce un problème purement juridique ou cela tient-il à la façon dont elle est contrôlée ? Nous devons nous assurer que cette loi empêchera les MGF».

Le gouvernement régional du Kurdistan a promis le lancement d'une enquête complète sur tous les aspects des MGF, dont les conclusions sont attendues pour ces prochaines années.

Le coût humain de ces pratiques reste toutefois difficile à quantifier.

Le documentaire de BBC Arabic, Dans le secret du Khatana ou la fin d'une mutilation au Kurdistan, a été diffusé sur BBC World News le samedi 26 octobre à 12h30. Un documentaire en coproduction avec le quotidien britannique The Guardian.

(1) N.d.t. : excision en langue kurde

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