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Une preuve expérimentale qu'Internet nous rend bête?

L'évolution de notre cerveau, dénoncée comme problématique, ne l'est pas forcément.
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Une étude menée au Canada et publiée en février 2016 semblerait démontrer que les réseaux sociaux encouragent une pensée rapide et superficielle pouvant, à terme, entraîner une «superficialité» cognitive et morale (Logan E. Annisette, Kathryn D. Lafreniere, Social media, texting, and personality: a test of the shallowing hypothesis, département de psychologie de l'Université de Windsor).

Si cette étude est la première du genre, cette accusation est récurrente. On ne compte plus les sites et les ouvrages qui visent à dénoncer les dangers d'Internet, notamment sur nos capacités d'attention.

Internet et le gâchis de l'attention

Ces dénonciations prennent trois formes. Certains auteurs ce focalisent sur la façon dont notre attention est épuisée par les sollicitations permanentes d'Internet et parlent d'«infobésité».

D'autres insistent sur la manière dont notre attention est détournée de telle façon que nous devenons moins attentifs aux autres (moins «empathiques») et moins attentifs à nous-mêmes, c'est-à-dire à nos propres désirs.

Enfin, à la suite de Nicholas Carr, d'autres auteurs encore alertent sur le changement de nature de notre attention en invoquant la plasticité neuronale et les transformations de nos câblages cérébraux en fonction des tâches auxquelles nous nous consacrons.

En effet, quand les neurones s'activent ensemble, ils sont câblés ensemble. Quand ils s'activent séparément, ils sont câblés séparément. Or, plus nous parcourons de pages de toile, moins nous lisons de livres ; plus nous échangeons de messages texte, moins nous écrivons de phrases ; et plus nous sautons de lien en lien, moins nous réfléchissons.

Du coup, les circuits assurant ces anciennes fonctions commenceraient à se démanteler. L'utilisation des médias sociaux serait responsable d'une diminution de la pensée réflexive quotidienne ordinaire. C'est là que l'étude citée plus haut semble apporter des éléments déterminants en nous invitant à sortir de la simple hypothèse pour entrer dans le domaine de la preuve expérimentale.

Les parapluies ne font pas pleuvoir

Les sujets testés sont des étudiants de premier cycle dans une université canadienne (N = 149), et l'étude porte sur les relations entre deux séries de paramètres : d'un côté la fréquence des textos envoyés et de l'utilisation des médias sociaux ; et de l'autre, la pensée réfléchie, les dimensions de la personnalité (évalués selon la grille des «Big Five») et les objectifs de vie des étudiants, notamment ceux incluant des choix moraux.

Les résultats montrent que les gros utilisateurs de messages texte et de médias sociaux sont moins susceptibles de se livrer à la pensée réflexive et donnent moins d'importance aux dimensions morales dans leurs objectifs de vie.

Mais il s'agit là de corrélations qui ne permettent pas d'affirmer une relation causale, ni dans un sens, ni dans un autre!

Prenons une comparaison dont l'évidence sautera aux yeux de tout le monde : ce n'est pas par ce que les parapluies sont ouverts quand il pleut que c'est le fait d'ouvrir les parapluies qui fait pleuvoir! Autrement dit, il est possible que l'utilisation intense des réseaux sociaux et des messages texte encourage la pensée superficielle, mais il est tout à fait possible aussi que les individus qui désirent peu se livrer à la pensée réflexive et ont peu d'objectifs de vie morale soient plus enclins à s'adonner aux réseaux sociaux et aux messages texte.

Bref, d'autres études sont nécessaires, comme on dit si souvent en sciences...

Est-ce grave, docteur?

Pourtant, il est certain que notre cerveau se modifie très vite sous l'effet des apprentissages. La meilleure façon de le savoir consiste aujourd'hui dans l'utilisation d'imageries par résonance magnétique (IRM) cérébrales. S'il n'existe pas à ma connaissance à ce jour d'étude qui ait utilisé cet outil pour étudier les modifications du cerveau suite à l'utilisation des réseaux sociaux, il en existe autour de la pratique des jeux vidéo. Il a ainsi été démontré à l'Institut Max-Planck que jouer 30 minutes par jour au jeu Super Mario 64 pendant deux mois entraîne des modifications importantes du cerveau des joueurs (Kühn, S., Gleich, T., Lorenz, RC, Lindenberger, U., Gallinat, J. (2013), Playing Super Mario induces structural brain plasticity: Grey matter changes resulting from training with a commercial video game, Molecular Psychiatry - Advance online publication, 29 octobre 2013). En comparaison avec le groupe témoin, le groupe de joueurs a en effet présenté une augmentation de la matière grise dans l'hippocampe du côté droit, le cortex préfrontal droit et le cervelet.

La question qui vient à l'esprit est alors évidemment celle-ci : «Est-ce grave, docteur?»

Bien au contraire! Ces régions du cerveau sont en effet impliquées dans la navigation spatiale, la formation de la mémoire, la planification stratégique et la motricité fine.

D'ailleurs, d'autres études utilisant d'autres jeux vidéo (appelés «FPS» pour «First Person Shooters», autrement dit des jeux de guerre à la première personne) ont montré qu'y jouer 45 minutes par jour pendant 15 jours augmentait notamment la plasticité d'attention, permettant ainsi aux joueurs de passer plus facilement d'une tâche à l'autre et de recentrer plus rapidement leur attention sur une nouvelle tâche (Daphné Bavelier, C. Shawn Green, Doug Hyun Han, Perry F. Renshaw, Michael M. Merzenich and Douglas A. Gentile, Brains on video games, Nature Review Neuroscience, vol 12, no 12, 2011).

L'acuité et l'attention visuelles, la coordination visuo-motrice et la mémoire à court terme ont également fait l'objet d'études montrant que toutes ces qualités étaient augmentées dans les mêmes conditions.

Il est également à remarquer que ces effets sont durables, qu'ils n'ont pas été retrouvés avec d'autres médias (Internet ou télévision) ou même avec des jeux vidéo éducatifs, et qu'ils sont plus prononcés chez les participants qui ont déclaré avoir le plus de plaisir à jouer.

Le défi d'un environnement attentionnel désirable

Autrement dit, l'évolution de notre cerveau dénoncée comme problématique par Nicholas Carr ne l'est pas forcément, et nous devrions cesser de dénoncer les méfaits d'Internet pour adopter une pensée plus complexe et plus conforme aux études actuelles.

Il semble en effet de plus en plus acquis que nous ayons tout intérêt à développer en parallèle la pensée linéaire, qui engage des pratiques d'attention soutenue (que Katherine Hayles appelle deep attention) et la pensée rapide et superficielle qui s'accompagne de formes d'attention concentrée et éphémère (que Katherine Hayles appelle hyper attention). Or, l'environnement qui encourage la pensée rapide et superficielle existe, c'est Internet. Il ne nous reste donc plus qu'à créer celui qui favorise la pensée linéaire complexe. Autrement dit, il nous faut créer un environnement attentionnel désirable, c'est-à-dire attrayant. C'est aujourd'hui le défi majeur de toute pédagogie et de toute esthétique.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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