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Pendant le mois d'août dernier, au square Saint-Louis à Montréal, il s'est tenu l'événement littéraire,, conçu et présenté par l'association des auteurs de la diaspora arabe et berbère (ADAB).
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Pendant le mois d'août dernier, au square Saint-Louis à Montréal, il s'est tenu l'événement littéraire, Les 2es journées du livre de la diaspora, conçu et présenté par l'association des auteurs de la diaspora arabe et berbère (ADAB). Le public a ainsi découvert que cette «fameuse» communauté n'était pas que voile et burkini. Plus d'une trentaine d'œuvres d'auteur(e)s arabes et berbères de la Province était exposée.

Je tenais le stand avec quelques collaborateurs et durant les temps morts de la journée, j'ai commencé à feuilleter quelques livres, question d'avoir au moins une idée sur le contenu et pouvoir en parler en l'absence de leurs auteur(e)s. J'avais déjà lu et apprécié le premier roman de Yara Al-Ghadban, et le premier recueil de poésie de Ouanessa Younsi ainsi que l'œuvre de Mona Latif-Ghattas, mais les autres que racontaient-ils?

Esthétique de la prédation de la Libanaise Hyam Yared m'a attiré en premier lieu par son titre qui ne sonnait pas du tout poétique, mais plutôt comme le frontispice d'un essai savant. Après avoir lu le recueil, la première phrase qui m'est venue en tête avait la texture et la fluidité d'une pluie acide liquéfiant le genre humain. Il ne faut pas avoir peur de toucher le livre, car en l'ouvrant d'étranges parfums, inconnus de votre registre olfactif peuvent vous emporter sur des territoires nus et sans fards où la parole est vraie et crue et touche et fait mouche sans détour et sans atermoiements. Comme le passage qui suit.

«La paix fait le trottoir. Elle s'est faite belle, la pute. / Elle s'est faite pute, la paix. / ''Pour dix cadavres, / dit-elle / la passe est gratuite''»

Le deuxième livre que j'ai touché s'appelle Chant à l'indien de Khireddine Mourad, le Marocain. C'est un recueil qui part à la recherche de ce qui reste de l'Indien en Amérique du Nord. «Pour le Blanc, l'Indien a cessé d'exister [...] sinon, il n'est qu'une relique, un résidu». Sa terre natale renvoie de temps en temps à la surface de ses vastes étendues quelques bribes fossilisées d'une vie ordinaire et en symbiose avec la nature, quelques repères inertes, matière d'étude, dit le poète, pour les anthropologues et les ethnologues, déplorant au passage l'extrême violence de l'homme sauvage, le destructeur d'une civilisation multimillénaire.

«Ils ne sont plus qu'une rumeur d'eau et de vent / Le rêve d'un bruissement lointain / La fugitive lumière d'une âme dérobée / L'impossible instant du regard déchiré».

Et le recueil se referme sur cet avertissement «En attendant les prochaines colères du vent» qui emporteront tout sur leur passage et les invasions barbares et l'homme civilisé.

Le troisième recueil est une œuvre de la poète et écrivaine Laure Morali, une compatriote de sol et de soleil. Son livre porte un titre qui ne laisse aucun Algérien indifférent Orange sanguine. Cette «Orange sanguine» du terroir, comme une fameuse madeleine, transporte la poète sur les terres de ses ancêtres et la replonge dans son enfance. «La chair de la nuit / libère/ un parfum / de fleurs d'orangers» qu'elle a suivi à travers «la route, le fleuve, la feuille, le pétale, le flocon, l'écume, l'air, la libellule [...]» se rendant compte que le «pouvoir de la poésie» était en train de ramener son grand-père à la vie.

«Mon grand-père avait perdu son pays [l'Algérie] et me le rendait chaque matin en me faisant boire le jus de l'orange sanguine [...] il m'offrait la terre dans un fruit.»

C'est une poésie de la mémoire qui coule lentement dans les veines de cette écriture errante. Elle respire par les pores de l'Afrique et de son printemps et par les orangers en fleurs des Aurès.

«à l'épaule / un pays un autre / dans le ventre»

Si Laure avait ramené son grand-père à la vie, Ouanessa, elle, retenait de toutes ses dents la bride de l'amnésie qui dévore la mémoire de sa grand-mère dans son ouvrage Emprunter aux oiseaux. Elle ne voulait plus la lâcher pour que le souvenir du passé refleurisse comme du temps où «[la] petite-fille épelle / l'effondrement / des cathédrales». Elle «plaide la nécessité de la poésie qui plonge là où la science recule» interpellant «la durée qui ne dure plus», l'instantané d'une vie dorénavant déclinée au présent du présent. Elle accuse «l'oubli carnivore» de cette vie qui «commence par une clameur» et qui «s'éteint par un mutisme».

«Aujourd'hui rêver / est une mue / trop grande» dit la poète presque en chuchotant pour ne pas trop peser sur une destinée toujours insaisissable. Ouanessa touche, ici, le lecteur par sa fibre humaine et par une écriture frêle et souple qui emprunte aux oiseaux la gracilité et aux mots, la finesse et la justesse.

«le frêle / fomente / une révolution

la tendresse/ manifeste/ nue».

Un autre recueil que j'ai touché et qui m'a immédiatement souhaité la bienvenue est le livre du Djiboutien, Abdourahman A. Waberi Les nomades, mes frères, vont boire à la grande ourse. Ce recueil m'est familier par son «vent calligraphe» et par «l'élixir de l'exil», par les symboles «du fil blanc et du fil noir» et, aussi, par les repères d'une culture de mille et quelques années où on croisera le premier muézin de la religion islamique, Bilal al Habashi (Djiboutien) et où on écoutera le vibrato de la diva égyptienne Oum Kalthoum. Et où on assistera, surtout, à l'hommage rendu au poète assassiné, Tahar Djaout, mon compatriote.

«L'aube dépose son manteau de velours cendré / sur mes jours / et je pleure Tahar Djaout [...]».

Le poète nous confie, ici, ses «poèmes discrets et secrets» loin «des moulins de la mode» pour les tenir à l'abri du «brasseur de marchandises» et pour qu'on les garde au fond de nous et qu'on les regarde en silence.

«C'est ici / où l'on entend le vibrato d'Oum Kalthoum / où l'on soupçonne un brin le Bon Dieu / et les voisins anonymes / et l'on me jurera avoir ouї le fantôme du / voyageur heureux / en attendant de noyer son mal-être / dans des verres / couleur de pus.»

L'appétit vient en mangeant dit l'adage, sur ma lancée, j'ai ouvert le livre de Rachel Bouvet Le vent des rives que je n'ai lâché qu'à la dernière page. C'est que le décor et le relief du récit me sont, ici aussi, très familiers, de la France à l'Égypte et de l'Égypte au Maroc et du Maroc jusqu'au Québec en passant par l'Espagne et son passé andalou. L'auteure nous prend par la main et nous fait voyager avec elle sur les deux rives et nous laisse dériver entre «les langues» dont la proximité enfante des «mots créolisés, porteurs de poésie à leur insu» et nous fait sentir, «Grâce au parcours réel, aux portes franchies, aux sons entendus, aux émotions ressenties», l'intime battement du cœur des villes du Caire, de Fes, de Meknes, de Rabat et de Grenade ou Gharnata en arabe et de leurs habitants d'aujourd'hui et d'hier comme Hassan ou Léon l'Africain et Boabdil, le poète et dernier roi andalou. «Le vent des rives» est un livre devant lequel «les horizons s'ouvrent» pour que les «les tensions s'apaisent» entre les peuples du bassin méditerranéen.

Et qu'ont-ils en commun ces livres? Ils sont tous publiés chez «Mémoire d'encrier». Une maison d'édition née en 2003, spécialisée dans la publication des auteurs de la diaspora, elle s'est imposée, en quelques années, dans le paysage littéraire québécois par la qualité de ses ouvrages et par l'énergie et l'abnégation de son directeur et fondateur, le poète et membre de l'Académie des lettres du Québec, Rodney Saint-Éloi.

Esthétique de la prédation, Hyam Yared, Mémoire d'encrier, Montréal, 2013

Chant à l'indien de Khireddine Mourad, Mémoire d'encrier, Montréal, 2004

Orange sanguine, Laure Morali, Mémoire d'encrier, Montréal, 2014

Emprunter aux oiseaux, Ouanessa Younsi, Mémoire d'encrier, Montréal, 2014

Les nomades, mes frères, vont boire à la grande ourse, Abdourahman A. Waberi, Mémoire d'encrier, Montréal, 2013

Le vent des rives, Rachel Bouvet, Mémoire d'encrier, Montréal, 2014

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