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Parce que le cégep n'est pas une marchandise

TEXTE COLLECTIF - Les cégeps appartiennent, faut-il vraiment le rappeler, à la population (qui les finance du reste) et non aux entreprises. Est-ce bien à ce nouveau fanatisme marchand que nous voulons livrer la jeunesse?
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Ce blogue est une lettre ouverte à la ministre responsable de l'Enseignement supérieur, Mme Hélène David, dont la liste des signataires se trouve à la fin du texte.

Nous, professeurs de philosophie des collèges et membres de la Nouvelle alliance pour la philosophie au collège (NAPAC), manifestons notre opposition au projet de création d'un Conseil des collèges. La lecture des documents produits pour la présente consultation ministérielle en vue de la constitution d'un Conseil des collèges, d'un Conseil des universités et d'une Commission mixte de l'enseignement supérieur, nous permet de constater que ce projet promeut sans nuances des orientations utilitaristes visant un arrimage de plus en plus total de l'école au marché, au détriment de la mission éducative des cégeps.

Depuis deux ans, suite à la parution du rapport Demers, la NAPAC a dénoncé cette insistance à vouloir dénaturer l'institution collégiale et s'est inquiétée de la remise en cause de la formation générale. Vous vous êtes récemment engagée, madame la Ministre, à maintenir la formation générale dans son intégralité, ce qui est d'une importance cruciale pour les professeur-e-s soucieux que nous sommes d'assurer l'initiation de la jeunesse québécoise aux valeurs de la citoyenneté et à la culture qui libère. Ceci dit, les orientations du projet de création d'un Conseil des collèges continuent de soulever l'inquiétude.

L'enseignement supérieur y est considéré travers le seul prisme réducteur de l'arrimage de l'école à l'industrie. Aux demandes d'abolition de la Commission d'évaluation de l'enseignement collégial (CEEC), réclamée par le milieu de l'enseignement, on répond par la proposition de créer un Conseil des collèges et une Commission mixte de l'enseignement supérieur qui reprendraient à leur compte la mission de la CEEC, en l'élargissant. Ce nouveau Conseil aurait ainsi pour fonction d'évaluer les collèges du Québec sur leur capacité à intégrer des pratiques importées de l'international dont la finalité est la reconversion de l'éducation en biens de consommation, import-exportables, et les étudiants en «capital humain» à consommer.

Depuis le rapport Parent et la création du ministère de l'Éducation du Québec, les normes encadrant l'enseignement supérieur sont déterminées politiquement et nationalement. Or, on propose maintenant de décentraliser et de dépolitiser la production de ces normes. D'une part, on propose de soumettre les collèges à l'évaluation en continu (l'assurance-qualité, un concept provenant du management privé) d'un nouvel organisme dont la tâche serait d'arrimer «l'évolution» en continu de l'école au «progrès continu» de «l'environnement» technico-économique, c'est-à-dire du marché international.

Ce nouvel organisme aurait de plus pour mission de recopier au Québec les «meilleures pratiques», c'est-à-dire subordonner tous impératifs politique et culturel nationaux aux pratiques des systèmes d'éducation contre lesquels nous serions en compétition dans un marché tourné vers les seules cibles de la rentabilité et de la productivité. Est-ce bien à ce nouveau fanatisme marchand que nous voulons livrer la jeunesse? D'autre part, on propose d'assouplir et modifier plusieurs dispositions du Règlement sur le régime des études collégiales (RRÉC) afin que les collèges puissent offrir de la formation à la carte, écourtée et adaptée aux «besoins» de l'industrie locale; outre que cela pose des problèmes de cohérence nationale et de reconnaissance des diplômes, nous pouvons nous demander dans quelle mesure une école conçue sur l'idée de l'obsolescence planifiée de ses étudiants est souhaitable.

Les cégeps appartiennent, faut-il vraiment le rappeler, à la population (qui les finance du reste) et non aux entreprises.

On présente de plus en plus l'enseignement supérieur britannique ou américain comme modèle à imiter, pourtant ces systèmes sont poussés vers des hausses vertigineuses de frais de scolarité (et conséquemment un endettement étudiant croissant), la gouvernance managériale, le désintérêt de plus en plus affiché pour la recherche fondamentale non exploitable dans un horizon de cinq ans, la concurrence inter-établissements... Ces systèmes d'enseignement supérieur n'agissent donc plus comme services publics, mais comme un marché opérant au détriment de l'égalité des chances, de l'accessibilité aux études et de toute idée de solidarité.

Les cégeps appartiennent, faut-il vraiment le rappeler, à la population (qui les finance du reste) et non aux entreprises. Ils sont un bien commun et une spécificité québécoise. Il n'est dans l'intérêt ni des étudiants, ni des professeurs, ni de la population de chercher à les réusiner pour complaire au modèle anglo-américain, où la mesure de la pertinence de l'école se fait selon des paramètres économiques, généralement aveugles aux impacts sociaux et moraux, et où la régulation de l'enseignement supérieur est de plus en plus dépolitisée pour être confiée à des mécanismes managériaux, commerciaux et à des entreprises-conseils privées. Nous nous opposons donc à la création d'un Conseil des collèges, tant qu'il sera inspiré par une telle mentalité et de telles orientations.

Nous enjoignons le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur à reprendre ses responsabilités et son autorité politique en matière d'éducation plutôt que de confier le pilotage du réseau des collèges à une mécanique inféodée aux dynamiques hégémoniques de la mondialisation marchande impulsée par les grandes institutions économiques internationales (OCDE, Banque Mondiale, etc.). S'il devait y avoir création d'un Conseil des collèges, digne de ce nom, nous pensons, madame la Ministre, qu'il devrait recevoir pour premier mandat de faire le point de manière critique sur les effets du néolibéralisme éducatif qui a cours depuis quelques décennies, et qui détruit notamment l'équilibre entre la technique et la culture qui est pourtant au fondement de la mission institutionnelle des collèges. Nous pensons qu'il faut défendre l'intégrité des cégeps, leur sens et leur finalité. L'école n'est pas une entreprise, ni une marchandise.

Le mémoire de la NAPAC est disponible ici.

La NAPAC tiendra un Cabaret pour l'adéquation école-culture le mercredi 16 novembre au Lion d'or.

Les signataires: Hugues Bonenfant, Amélie Hébert, Eric Martin, Sébastien Mussi et Annie Thériault, professeurs de philosophie et membres du comité exécutif de la Nouvelle alliance pour la philosophie au collège (NAPAC).

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