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L'immigration et la laïcité selon Tania Longpré

J'ai rencontré Tania Longpré, qui a publié chez Stanké un petit essai intitulé. Évidemment, tout ce qui touche la question de l'intégration des nouveaux arrivants est sujet à la controverse. Ce livre ne fait évidemment pas exception à la règle.
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Il y a quelques semaines, je me suis rendu à la rencontre de Tania Longpré, une auteure montréalaise qui a publié chez Stanké un petit essai intitulé Québec cherche Québécois: comprendre les enjeux de l'immigration. Évidemment, tout ce qui touche la question de l'intégration des nouveaux arrivants est sujet à la controverse. Ce livre ne fait évidemment pas exception à la règle, et bien que pour l'essentiel je ne partage pas les vues de son auteure, je tiens d'emblée à saluer son courage et son audace de nous faire réfléchir et débattre sur ces questions essentielles pour l'avenir du Québec.

Enseignante en francisation, c'est d'abord à ce titre que Tania Longpré s'adresse à nous afin de relever les diverses difficultés et manquements auxquelles elle est confrontée au quotidien. Avec plus de 50 000 nouveaux arrivants à chaque année, le Québec rencontre des besoins immenses en matière de soutien à la francisation et à l'intégration et force est de constater que la volonté politique n'y est pas tout à fait. En dépit des beaux discours, la réalité nous montre en effet que les immigrants sont plus ou moins laissés à eux-mêmes lors de leur arrivée, si ce n'est du soutien qu'ils obtiennent - souvent difficilement - par le biais de certains organismes sociaux et communautaires qui leur sont voués. Et il en va de même de ces dits organismes, lesquels souffrent souvent de sous-financement et sur lesquels le gouvernement décharge plus souvent qu'à son tour ce qui relève pourtant de sa propre responsabilité.

L'auteure démontre avec justesse que le Québec aurait besoin d'une politique concertée et harmonisée en matière d'accueil des nouveaux arrivants. Une politique qui permettrait non seulement de les franciser, mais aussi de les intégrer à la société québécoise. Mais puisqu'on y est, quelles sont les composantes d'une intégration réussie? Et qu'est-ce qu'un Québécois? À ces questions, Mme Longpré répond en trois temps. Il faut d'abord, dit-elle, franciser complètement et obligatoirement tous les immigrants. Sur ce point, je suis on ne peut plus d'accord. Le français est la langue commune et publique du Québec et il m'apparait impératif que tous les Québécois (ce qui inclut bien entendu les Néoquébécois) puissent l'utiliser avec aisance dans leurs activités quotidiennes (au travail, par exemple). L'auteure avance ensuite qu'il importe que les nouveaux arrivants adhèrent à certaines de nos valeurs fondamentales, notamment l'égalité homme-femme. Ici encore, rien à redire, considérant que le fait de partager des valeurs communes représente un élément essentiel du «vivre ensemble».

C'est sur la question de la laïcité des institutions, qui est en fait la troisième composante de l'intégration évoquée par Tania Longpré, que mon désaccord se fait surtout sentir. Cette question constitue d'ailleurs à mon sens le point faible du livre, notamment parce qu'on y omet de définir clairement ce que constitue la laïcité et ses fins, mais aussi parce qu'on n'y fournit aucune description substantielle du type de société à laquelle on souhaite intégrer les nouveaux arrivants. Ce qui pose par ailleurs problème, c'est le choix des exemples ainsi que les nombreux jugements de valeur de l'auteure, lesquels dénotent un grave manquement à la « neutralité » qu'exige pourtant une authentique laïcité. Dans ce qui s'apparente davantage à un repli identitaire qu'à une réflexion rationnelle, force est de constater que l'auteure semble davantage préoccupée par la conservation de ses propres repères culturels que par l'intégration des nouveaux arrivants.

Dire qu'au Québec la séparation dans l'État de la société religieuse et de la société civile doit primer (p.44) ne veut en fait pas dire grand-chose, puisque c'est ne rien dire des finalités que cherche à réaliser la laïcité, qui sont en fait le respect de l'égalité morale des individus et la protection de leurs libertés de conscience et d'expression. Autrement dit, la laïcité doit assurer aux citoyens que l'État n'appuiera aucune de ses décisions sur une conception particulière du monde et du bien. Dans cette optique, contrairement à ce que laisse entendre Mme Longpré dans son livre (p.44-45), les accommodements raisonnables ne sont pas des «privilèges» qui viendraient favoriser les communautés culturelles au détriment de la majorité, mais bien des ajustements qui permettent de favoriser l'intégration des nouveaux arrivants à leur société d'accueil, une société majoritairement et traditionnellement de confession chrétienne catholique, faut-il le rappeler. Le devoir d'accommodement repose ainsi non pas sur une logique de repli sur soi des communautés culturelles, mais d'ouverture à l'autre dans sa différence.

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Il est aussi utile de se demander à quel genre de société nous souhaitons intégrer les nouveaux arrivants. À cet égard, force est de reconnaitre que la société québécoise est, à l'instar de la majorité des démocraties libérales occidentales, une société pluraliste, c'est-à-dire caractérisée par une pluralité de doctrines morales religieuses ou séculières qui cohabitent dans un espace politique commun. Le fait du pluralisme, pour reprendre l'expression de John Rawls, est ni plus ni moins une réalité indépassable des sociétés libres et démocratiques, puisque le résultat du libre exercice de la raison dans le cadre de nos institutions démocratiques. Est-ce à dire que le Québec serait une société sans valeurs où chacun fait ce qu'il veut jusqu'à se renier au nom de la diversité (p.51), comme semble le croire l'auteure? En fait, il s'agit simplement d'affirmer le droit à la différence, d'autant que celle-ci ne contrevient pas aux valeurs fondamentales de la société québécoise (lesquelles sont enchâssées dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec).

Cet espace de liberté dont jouissent les individus montre bien qu'il y a différentes façons d'être Québécois. C'est d'ailleurs une erreur de ne noter que les différences ethniques ou religieuses, car en réalité il se trouve à y avoir à l'intérieur même du groupe qu'on appelle les Québécois «de souche» une grande diversité de croyances, de valeurs et de mœurs. Bien entendu, les libertés individuelles ne sont pas absolues, mais elles constituent tout de même une norme de base à laquelle toute entorse ou limitation nécessite une justification forte. Contrairement à ce que laisse entendre madame Longpré, le fait de porter un signe religieux ne constitue pas un « caprice » au même titre que refuser de retirer sa casquette en classe (p.73), mais bien un élément constitutif de l'identité morale d'une personne basée sur sa conviction de conscience. Le comparatif ici m'apparaît donc reposer sur une incompréhension fondamentale du fait religieux, voir comme une insulte envers celui-ci. La religion est un élément structurant dans la vie de certaines personnes (de millions de personnes en fait), elle doit donc être prise au sérieux, et surtout il nous faut éviter que la laïcité ne devienne en pratique une morale antireligieuse.

Est-ce à dire que tout accommodement est raisonnable? Bien évidemment que non. Seulement, il faut prendre en compte le fait qu'en vertu de la reconnaissance des libertés de conscience et d'expression, l'accommodement est un droit qui ne saurait être limité pour d'autres motifs que ceux liés à la sécurité et/ou à une entrave excessive aux finalités de la collectivité. À cet égard, l'auteure a raison de noter que le cas de la petite fille musulmane à qui on avait permis de porter un casque d'écoute antibruit afin qu'elle ne soit pas exposée à de la musique occidentale (p.75) était déraisonnable, le rôle de l'école québécoise étant justement d'intégrer les enfants à la réalité sociale et culturelle du Québec. Rappelons par ailleurs que la situation a été rapidement corrigée.

C'est d'ailleurs là un problème récurrent que j'ai noté dans le choix des exemples auquel se livre l'auteure. Elle se concentre en effet davantage sur les mauvais exemples que sur les bons alors qu'en réalité les mauvais exemples ne représentent qu'une infime minorité de cas. Difficile de ne pas y percevoir un fond de mauvaise foi.

Un élément qui revient constamment dans le livre est que le fardeau de l'intégration devrait reposer essentiellement sur l'immigrant et non pas sur la société d'accueil. À ce titre, le fameux proverbe «À Rome, fais comme les Romains», semble être le leitmotiv de l'auteure. Je suis plutôt d'avis que la responsabilité de l'intégration est également partagée entre les deux parties, le premier ayant pour devoir de faire les efforts nécessaires pour comprendre et adhérer au « contrat social » qu'il a moralement signé en acceptant de s'établir au Québec, le second devant faire en sorte de créer des conditions favorables à l'intégration, notamment par le biais d'une bonification du programme de francisation pour en faire un véritable programme de connaissances du Québec, comme le propose d'ailleurs elle-même madame Longpré dans son livre (p.148). Difficile donc, de leur reprocher ce que nous ne leur donnons même pas les moyens de faire. Qui plus est, j'affirme que pour être Québécois, les immigrants n'ont pas à se conformer à la lettre à nos mœurs et à nos coutumes.

Au final, on notera que le livre de Tania Longpré se veut un exercice très constructif et révélateur de nos lacunes en matière de francisation et d'accueil des nouveaux arrivants. Nous ne pouvons qu'espérer que son appel soit entendu afin que d'importants correctifs soient apportés. En ce moment, nos politiques d'intégration ne sont que des politiques de courte vue. Nous aurions pourtant tout à gagner à bien intégrer nos immigrants, mais force est de constater que la volonté politique n'y est pas. Espérons aussi que nous saurons collectivement aménager une place de choix à nos immigrants, et ce en dépit de leurs différences, car contrairement à ce que laisse tristement entendre l'auteure dans certains passages de son livre (notamment à la page 177), nous ne pouvons, ni ne devons comparer les immigrants à des «invités» que l'on reçoit «chez nous». Ils sont ici chez eux au même titre que «nous».

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