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Considérant le malaise et l'incompréhension qui règnent autour du débat sur la laïcité, je suis d'avis qu'il est nécessaire de mieux baliser la pratique d'accommodements religieux par l'établissement de règles claires et explicites. Pour ce faire, nous n'avons pas besoin d'une charte de plus, mais la rédaction d'un «livre blanc» sur la laïcité me semble être la voie la plus prometteuse.
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Au Québec, le débat sur la laïcité n'est pas nouveau. On se souvient que dans un passé pas si lointain (entre 2006 et 2008, pour être plus précis), la «crise» des accommodements raisonnables a mené à une large consultation publique dont le résultat final fût le dépôt du fameux rapport Bouchard-Taylor. Sitôt déposé, sitôt tabletté. Les conclusions et les recommandations du rapport sont rapidement tombées dans l'oubli, si bien qu'aujourd'hui tout semble à refaire, ou à tout le moins il est évident que la commission Bouchard-Taylor n'est pas parvenue à vider la question, faute de volonté politique.

Au lendemain de son élection en septembre dernier, le gouvernement du Parti québécois s'est empressé de créer une direction en matière d'identité et de laïcité au sein du Secrétariat aux institutions démocratiques et à la participation citoyenne, dont le principal responsable est le ministre Bernard Drainville. Bien résolu à régler une fois pour toutes la question des «accommodements raisonnables», ce dernier a rapidement annoncé son intention d'aller de l'avant avec son projet de Charte de la laïcité. Depuis lors, celle-ci a été rebaptisée «Charte des valeurs québécoises», un changement qui a de quoi laisser perplexe tous ceux et celles qui espéraient un projet de loi utile et cohérent. En effet, les «valeurs québécoises» ne sont-elles pas déjà explicitées dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne?

Bien qu'on ne puisse dire précisément qu'elle en sera la teneur, la Charte des valeurs québécoises, si l'on s'en tient aux propos du ministre Drainville, tournera définitivement le dos à la laïcité dite «ouverte» au profit d'une laïcité «stricte» et à deux vitesses. D'abord, pas question selon le ministre de toucher à «nos symboles». Le Crucifix restera donc accroché au mur du Salon Bleu de l'Assemblée nationale. Par contre, le ministre Drainville entend interdire aux agents de l'État d'arborer des symboles religieux sur une base individuelle. Les tenants de cette interdiction avancent pour principal argument qu'il s'agit du meilleur moyen d'assurer la neutralité du fonctionnement des institutions.

Or, à ce jour, il m'apparaît qu'aucun argument convaincant n'a été fourni à l'effet duquel il serait nécessaire d'étendre les exigences de laïcité jusqu'aux individus afin d'assurer la neutralité de l'État. Dans les faits, pour que cet argument tienne la route, il faudrait démontrer que les croyances religieuses des individus interfèrent avec l'exercice de leur jugement professionnel. En tant que défenseur de la laïcité ouverte, je prétends au contraire que les agents de l'État ne devraient être évalués qu'à la lumière de leurs actes, non en fonction de leur apparence.

La laïcité ouverte (ou «inclusive») est profondément ancrée dans la pensée libérale, laquelle soutient qu'il existe des droits individuels fondamentaux qui doivent être mis, autant que faire se peut, à l'abri des décisions démocratiques majoritaires. Cela dit, les droits et libertés individuelles ne sont évidemment pas absolus et encore moins illimités pour autant, mais dans une démocratie libérale comme la nôtre, ils constituent néanmoins une norme de base à laquelle toute entorse ou limitation nécessite une justification forte. On prétend par ailleurs à tort que la laïcité ouverte est trop permissive et qu'elle ouvre la porte à des revendications farfelues ou déraisonnables. La laïcité ouverte n'est pourtant pas dépourvue de principes et dans les faits, une demande d'accommodement sera toujours évaluée à la lumière de sa « raisonnabilité ». Ainsi, conformément à certains principes tels que la sécurité publique ou l'égalité homme femme, une demande pourrait être rejetée, comme cela s'est déjà vu.

C'est d'ailleurs sa capacité à reconnaître et à arbitrer ces différents principes qui fait la force de la laïcité ouverte. Quant à elle, la laïcité stricte souffre d'un certain rigorisme qui l'empêche de s'adapter aux réalités auxquelles elle est confrontée. Au nom de la laïcité elle-même, devenue ici une fin en soi plutôt qu'un moyen, les tenants de la laïcité stricte prétendent que le seul et unique moyen de traiter équitablement les citoyens est de leur offrir un traitement uniforme. Mais dans les faits, les finalités que cherchent à réaliser la laïcité, à savoir la reconnaissance de l'égalité morale des individus et la protection de leurs libertés de conscience et d'expression, se trouvent souvent mieux servies par la prise en charge de l'altérité et au moyen d'un traitement différencié (un accommodement), dans la mesure où ce dernier n'impose pas de contrainte excessive par rapport aux normes institutionnelles en place.

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En dernière analyse, je dirais que la supériorité de la conception ouverte de la laïcité tient à son pragmatisme. Elle n'accorde d'emblée aucune priorité absolue à une valeur ou à un principe particulier, préférant se plier à une étude sérieuse et approfondie de l'environnement normatif qui accompagne les demandes d'accommodement. Cela peut évidemment donner lieu à des jugements plus complexes que ceux qu'exigerait une laïcité stricte, mais il s'agit là du prix à payer pour s'offrir une justice à la mesure d'une société libre et démocratique comme la nôtre, laquelle est par ailleurs caractérisée par le fait du pluralisme. La vertu de simplicité dont fait preuve la laïcité stricte est certes louable, mais la simplicité, aussi désirable soit-elle généralement, devient dangereuse lorsqu'elle tend à simplifier à outrance la réalité morale dans laquelle elle s'inscrit.

Un cas qui illustre particulièrement bien les vertus du pragmatisme lié à la laïcité ouverte est celui de cette jeune femme ontarienne à qui la Cour suprême a autorisé le port du niqab lors de son témoignage en cour. La jeune femme en question portait plainte contre un oncle et un cousin pour agression sexuelle, mais refusait obstinément de se « dévoiler », et ce pour des motifs religieux. Quelle attitude adoptée alors? Lui refuser le recours aux tribunaux au nom de la sacro-sainte laïcité ou lui accorder un accommodement au nom de l'accès au droit et à la justice? Je crois personnellement que dans ce cas-ci, la justice était un motif supérieur à la neutralité des institutions (neutralité apparente, qui plus est) et qu'il était préférable d'accommoder cette femme afin que justice puisse être faite. Je ne cherche évidemment en aucune façon à faire l'apologie du niqab, même qu'ultimement je ne peux que souhaiter qu'elle accepte de le retirer. Seulement, il convient de se demander quel effet aurait bien pu avoir le refus obstiné d'accommoder cette femme, si ce n'est de la marginaliser davantage et de la laisser à la merci de ses bourreaux.

La capacité à bien intégrer les nouveaux arrivants est évidemment une composante essentielle de la pérennité et de la vitalité d'une société pluraliste. La laïcité ouverte, de par sa prise en charge de l'altérité, invite au dialogue et à l'approfondissement des valeurs démocratiques telles que la tolérance et la compréhension mutuelle. Ce sont là des points de ralliement qui permettront aux nouveaux arrivants d'intégrer efficacement la culture civique de leur société d'accueil. Et contrairement à ce que semblent croire les tenants de la laïcité stricte, la coercition apparaît comme étant de peu d'efficacité, voire carrément contre-productive, pour qui l'intégration (et non l'assimilation) est le réel objectif. À cet égard, j'en reviens au cas de la jeune femme mentionné plus haut, car il me semble important de souligner qu'en dépit des apparences, celle-ci a surtout fait preuve d'une quête d'émancipation en cherchant ainsi à se libérer du joug de la violence sexuelle. Il y a là à mes yeux un signe évident d'intégration des valeurs fondamentales de la société d'accueil, à savoir le principe d'égalité homme femme dans ce cas-ci.

En dépit de la tentation de la simplicité et de la rigidité idéologique qui caractérisent la laïcité stricte, il me semble plus judicieux pour le Québec de maintenir sa trajectoire dans celle de la laïcité ouverte. La conception ouverte de la laïcité n'est en aucune façon caractérisée par l'absence de principes et il y a dans les faits plusieurs limites reconnues aux accommodements. Seulement, elle exige en contrepartie de ne pas imposer de limites excessives aux libertés civiles individuelles au nom d'une neutralité chimérique.

Cela dit, considérant le malaise et l'incompréhension qui règnent autour de ce débat, je suis d'avis qu'il est nécessaire de mieux baliser la pratique d'accommodements religieux par l'établissement de règles claires et explicites. Pour ce faire, nous n'avons pas besoin d'une charte de plus, mais la rédaction d'un «livre blanc» sur la laïcité me semble être la voie la plus prometteuse. Espérons que pour le ministre Drainville, l'été portera conseil.

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