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Pensée magique, distortions et sombres complots

Conversons cher Maka Kotto. J'ai lu ton billet:et je suis resté pour le moins estomaqué, malgré ton éloquence, devant la quantité de pensée magique, de raccourcis et distorsions de faits historiques au service de «la cause».
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Artist Eyes

L'objectif premier du Huffington Post selon sa créatrice est d'amorcer une conversation, alors conversons cher Maka Kotto.

J'ai lu ton billet : « La liberté et la culture québécoise » et je suis resté pour le moins estomaqué, malgré ton éloquence, devant la quantité de pensée magique, de raccourcis et distorsions de faits historiques au service de «la cause».

Tout d'abord, partout où il est écrit le gouvernement fédéral, ou, le fédéral, il aurait fallu écrire, pour être honnête: l'actuel gouvernement conservateur, ou le gouvernement Harper, comme il aime être appelé.

Car si je suis d'accord, avec de nombreux faits que tu rapportes et sur l'analyse de l'idéologie conservato-harper sous-jacente, il y a un pas que tu franchis un peu trop allégrement en assimilant le tout à l'approche de tous les gouvernements fédéraux qui l'ont précédé, toutes couleurs confondues.

Rappelons quelques faits.

Lorsque le gouvernement canadien a décidé de structurer ses interventions en matière culturelle dans les années cinquante, il avait le choix entre trois modèles: architecte (le modèle français), mécène (le modèle britannique) ou facilitateur (le modèle américain). Avec le temps, c'est un mélange des trois modèles qui s'est instauré: tout en conservant la primauté du mécénat « à distance du pouvoir », ou « arm's length » en anglais.

Louis Saint Laurent, lors de la fondation du Conseil des Arts du Canada déclara: « Le gouvernement devrait soutenir le développement culturel de la nation mais ne pas essayer de le contrôler.» En 1984, sous un gouvernement conservateur fraîchement élu, la loi C-24, sur l'autonomie des institutions culturelles fédérales adoptée dans la foulée du rapport Applebaum-Hébert est venue réaffirmer ce principe qui a été la pierre angulaire des interventions fédérales en culture jusqu'à l'arrivée au pouvoir de l'actuel gouvernement.

C'est aussi au nom de ce principe fondamental qu'en 1992, le gouvernement du Québec a créé le Conseil des Arts et des Lettres. Le gouvernement Harper a décidé de remettre en cause ce principe et de modifier les règles du jeu.

Son idéologie et ses actions ne sont pas un sombre complot contre les artistes et la culture du Québec. Elles touchent tout autant les artistes du reste du Canada, notamment dans des dossiers comme l'actuelle révision de la loi sur le droit d'auteur.

Quand tu abordes la question de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union Européenne (AECG) qui aurait pour conséquence de voir «la culture livrée à la logique du libre marché et soumis au pouvoir des investisseurs privés», tu oublies de mentionner qu'il existe un contrepoids: Le traité sur la diversité culturelle. Longtemps porté à bout de bras par le Québec, qui a convaincu le gouvernement fédéral de le signer et de s'en faire l'avocat sur la scène internationale, ce traité, sous l'égide de l'Unesco, soustrait justement les interventions gouvernementales des pays signataires de la seule logique des lois du marché. La plupart des pays européens l'ont signé, et rien n'indique qu'ils aient changé d'avis.

«Le Québec n'a pas droit au chapitre quant à l'octroi de subventions fédérales à ses artistes, artisans et institutions, puisque ce sont Téléfilm Canada et le Conseil des Arts du Canada qui détiennent, en partie, un droit de vie ou de mort sur la grande majorité des projets proposés par le Québec» poursuis-tu.

Heureusement, tu as eu la délicatesse d'écrire : «en partie».

J'aimerais te rappeler deux choses. Premièrement, la Sodec et le Conseil des Arts et des Lettres du Québec ont également ces mêmes pouvoirs, et s'il existe de nombreux cas où les institutions fédérales et provinciales tombent d'accord sur la pertinence des projets soumis, il existe d'aussi nombreux cas ou l'un accepte ce que l'autre a refusé et vis versa, tous les artistes te le confirmeront. Deuxièmement, ce n'est pas le Québec qui propose des projets, mais ses artistes et ses institutions culturelles.

Et c'est ici que ton discours dérape dangereusement vers l'apologie de la culture d'état que tu dénonces quand elle vient du «fédéral». Car ce que tu proposes: tout rapatrier au Québec, ferait en sorte que les artistes du Québec et leurs institutions se retrouveraient face à un guichet unique, une seule source de soutien financier, bref un quasi-monopole du soutien de l'état à la culture.

Même la France qui avait adopté au départ un modèle très centralisé s'est ravisée depuis, et avec l'entrée en scène de la communauté européenne, les artistes français disposent maintenant de cinq paliers de soutien public, qui consolident leur liberté artistique. D'ailleurs la multiplication des sources de financement est un phénomène généralisé à travers le monde selon les experts. Alors pourquoi un Québec moderne irait-il à contre-courant de cette tendance? Quelques chiffres avant de conclure : Patrimoine Canada accorde 33,7% de son budget au Québec pour une province qui représente 23,2% de la population totale du pays.

Une perte annuelle de 179 millions pour les artistes serait donc la seconde conséquence de ce choix, qui relève à mon avis bien plus d'un agenda politique que d'une volonté réelle d'améliorer le sort de ceux et celles qui font la culture.

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