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La fermeture des frontières est de la politique-vaudou

Supposons que vous ayez vendu votre maison et vos biens de valeur, pour payer un passeur que vous ne connaissez même pas. Imaginons ensuite que vous ayez risqué votre propre vie ainsi que celle de vos proches pour, par une nuit noire, vous lancer sur la Méditerranée à bord d'un canot pneumatique. Que vous ayez réussi à vous extirper des griffes de l'agressive police des frontières de Macédoine, que vous ayez survécu à l'infinie tristesse du quartier de la gare centrale de Belgrade et que vous vous soyez enfin extirpé de la misère sciemment organisée à Budapest. Sérieusement: une barrière baissée à la frontière germano-autrichienne va-t-elle vraiment vous arrêter? Personne au monde ne serait assez stupide pour croire ça.
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Supposons que vous ayez vendu votre maison et vos biens de valeur, pour payer un passeur que vous ne connaissez même pas. Imaginons ensuite que vous ayez risqué votre propre vie ainsi que celle de vos proches pour, par une nuit noire, vous lancer sur la Méditerranée à bord d'un canot pneumatique. Que vous ayez réussi à vous extirper des griffes de l'agressive police des frontières de Macédoine, que vous ayez survécu à l'infinie tristesse du quartier de la gare centrale de Belgrade et que vous vous soyez enfin extirpé de la misère sciemment organisée à Budapest.

Sérieusement: une barrière baissée à la frontière germano-autrichienne va-t-elle vraiment vous arrêter? Personne au monde ne serait assez stupide pour croire ça.

Seul le gouvernement allemand croit avoir trouvé en cette mesure un moyen de résoudre les problèmes qui se sont accumulés depuis des années à la périphérie de l'Europe. La réintroduction des contrôles frontaliers au sud de l'Allemagne ne parviendra pas à endiguer le flot des réfugiés. Pour la simple et bonne raison qu'elle n'apporte pas la moindre solution aux causes profondes de cet afflux de migrants.

De la politique-vaudou pour l'électorat conservateur

Avec cette approche, le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière, qui dans son land de Saxe appartient à un groupe CDU peu renommé pour être visionnaire en matière de politique migratoire, se lance dans la politique-vaudou à l'intention de la frange droitière et conservatrice de son parti. Il veut faire la preuve de son volontarisme face à l'escalade de la crise des réfugiés. Mais il participe ainsi à un jeu extrêmement dangereux.

Bernd Lucke, leader de la formation "Alfa", issue d'une scission avec l'AfD (Alternativ fü Deutschland ou Alternative pour l'Allemagne, eurosceptique), manifeste en toute logique sa satisfaction suite à la décision de De Maizière. "Il était plus que temps de prendre une telle mesure", nous a-t-il affirmé. La dirigeante des Verts Simone Peter porte, elle, le point de vue opposé. "De nouveaux contrôles aux frontières et une course au hara-kiri national sont l'exact inverse de ce que l'UE doit faire de toute urgence pour élaborer une nouvelle politique humanitaire en faveur des réfugiés", nous dit-elle.

Ce n'est certes pas la première fois qu'un pays européen utilise unilatéralement les accords de Schengen à des fins politiques. Le Danemark a joué un peu glorieux rôle de pionnier en la matière. Mais, fait sans précédent dans l'histoire de l'UE, l'Etat qui jongle aujourd'hui avec les acquis de l'intégration européenne appartient au noyau dur de l'Union.

Il serait intéressant de savoir ce que l'ancien Helmut Kohl a à dire des errements de ses héritiers politiques. Mais à 85 ans, il est hospitalisé depuis plusieurs mois à Heidelberg, suite à une opération de la hanche. De son lit d'hôpital, on l'imagine observer comment l'œuvre de sa vie politique est aujourd'hui remise en cause.

Le dangereux jeu de Merkel sur les accords de Dublin

Car si l'ouverture des frontières s'arrête à l'absence de contrôle lors des départs en vacances et à l'exonération de droits de douane dans les échanges commerciaux, les accords de Schengen n'ont pas plus de valeur qu'un joli morceau de papier, qui un jour prendra la poussière dans le Musée de l'histoire allemande à Bonn.

Toute la folie de cette mesure se reflète aussi dans les remarques de de Maizières sur les accords de Dublin. Depuis des semaines, il existait un consensus au sein de la classe politique berlinoise selon lequel, au vu de l'afflux aux frontières sud de l'Europe, ces directives ne pouvaient rester plus longtemps lettre morte - ne serait-ce que parce que la Grèce et l'Italie ne pourront pas, à elles seules, faire face à l'arrivée de centaines de milliers de réfugiés.

Angela Merkel en personne avait assuré que les réfugiés syriens -qui ont donc trouvé le chemin vers l'Allemagne- ne seraient pas renvoyés d'où ils viennent. Ce qui a valu à la chancelière d'être célébrée dans le monde entier pour son "humanité". De premières voix s'élèvent même pour réclamer que lui soit attribué le prix Nobel de la paix.

Panique au sein de la CDU

Et aujourd'hui, tout ceci n'aurait donc été que d'inutiles bavardages, dont personne ne voudrait se souvenir ? De Maizière a déclaré dimanche soir que l'accord de Dublin restait en vigueur. "Je demande à tous les Etats membres de l'Union européenne de se tourner à nouveau vers l'avenir", a affirmé le ministre de l'Intérieur.

Tout ceci illustre la panique qui règne actuellement au sein de la CDU face à son propre électorat. C'est aujourd'hui à l'aveuglette que ce digne et grand parti tente de résoudre les problèmes. Il n'a pas su prévoir l'accroissement du nombre de réfugiés, et ses dirigeants n'ont pas su élaborer une solution qui aurait permis de résoudre cette crise.

Si de Maizière faisait preuve d'honnêteté, il affirmerait qu'il n'a absolument aucune idée de ce qu'il faut faire à l'heure actuelle.

La politique doit s'attaquer aux racines de la crise

Car les racines de cette crise s'enfoncent dans le passé. Pendant bien trop longtemps, l'Union européenne s'est contentée d'un rôle d'observateur face à la dégradation de la situation à sa périphérie. Depuis belle lurette, la guerre en Syrie relève à Berlin du "conflit oublié". Le temps est aujourd'hui venu du retour de manivelle.

Et il ne s'agit peut-être que du début. De Maizière voudra-t-il bientôt fermer la frontière avec la Pologne, lorsque la situation se dégradera en Ukraine? Ce pays abrite deux fois plus d'habitants que la Syrie d'avant-guerre. Et l'Etat y est depuis des mois au bord de la faillite.

Et devrons-nous nous isoler encore plus, à brève échéance, lorsque l'inaction d'Angela Merkel sur le climat aura des conséquences visibles de tous?

La réponse aux problèmes actuels exige que l'Allemagne assume enfin ses responsabilités en matière de politique étrangère. À défaut, les conflits du monde entier viendront à nous. C'est d'ailleurs exactement ce qui est en train de se passer.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post Allemagne, a été traduit de l'allemand par Mathieu Bouquet.

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