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Je ne peux pas être souverainiste, ça fait trop mal

Pardon d'y revenir encore: le Québec n'est pas un pays. Huit millions d'habitants, des ressources naturelles à s'en faire vomir, un territoire à perte de vue. Une langue. Une culture. Le Lichtenstein, gros comme le Plateau Mont-Royal, ça c'est un pays, un vrai. Le Lichtenstein, c'est pas compliqué, tu mets sa population au complet dans le Stade Olympique, et il te reste encore 20,000 billets à vendre.
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Pardon d'y revenir encore: le Québec n'est pas un pays. Huit millions d'habitants, des ressources naturelles à s'en faire vomir, un territoire à perte de vue. Une langue. Une culture.

Le Lichtenstein, gros comme le Plateau Mont-Royal, ça c'est un pays, un vrai. Le Lichtenstein, c'est pas compliqué, tu mets sa population au complet dans le Stade Olympique, et il te reste encore 20,000 billets à vendre.

Le Québec me fait penser à mon père.

Il est mort, Dieu merci. Non pas que je ne l'aimais pas, bien au contraire, mais sa vie était un trop grand calvaire. Il est des souffrances à ne pas faire durer.

Dernier de quatre enfants de bonne famille, il en fut le triste mouton noir. Et ce ne fut la faute de personne. Quand ses frères devinrent ingénieur, expert-comptable ou enquêteur, il ne fit que défaillir, très tôt. Quand ma jolie mère passa dans sa vie, il n'eut que le temps de me semer, puis de nous regarder partir, incrédule.

Les trente-cinq années suivantes, de cures de désintoxication en pertes d'emplois, ce ne fut que le long et pénible spectacle de la déchéance quand elle s'en prend à l'homme.

Tout a toujours été plus fort que lui.

Mais il était un honnête homme. Un homme bon. Certes, il y eut bien des années où il ne savait pas trop en quelle classe j'étais, mais il m'aimait. Mal, mais il m'aimait.

Mon père est mort tôt, bien sûr, puisqu'il ne sut prendre soin de lui, pas plus qu'il ne sut faire grand-chose d'ailleurs. Les dernières années de sa vie, il les vécut sous tutelle. Sous curatelle même. Il avait échoué à prendre quoi que ce soit en charge, pas même lui.

Pourtant il était beau comme ses frères, aussi fort, aussi intelligent, aussi aimé. Rien n'explique le destin de cet homme qui mourut comme il était né, en pleurant.

Plusieurs années plus tard, rien n'est venu encore expliquer son histoire. Il avait tout ce qu'ont les hommes forts, mais il ne fut qu'un roseau, plié très tôt, et qui ne se redressa jamais.

Mon père, c'est le Québec. Pas plus qu'il ne réussit à être un homme, le Québec ne réussit à être un pays. Et pourtant, si beau, si fort, si aimé.

Il manque au Québec ce qui a manqué à mon père et qui est indéfinissable et incompréhensible. Est-ce chimique? Organique? Mystique ?

Pour ma propre santé mentale, j'ai dû cesser de chercher. Pour survivre, j'ai dû renoncer à comprendre pourquoi le père de mon voisin, laid, petit, con comme un dimanche, avait tenu sa famille au bout de ses bras de petit homme fort et digne. C'est comme ça le Lichtenstein : laid, petit, con comme un dimanche.

Je ne peux pas être souverainiste, ça fait trop mal. Je ne peux que le rêver, le regretter, le pleurer en silence. Pas plus que je ne pus m'attendre à ce que mon père, un jour bâtisse, ne serait-ce, qu'un cabanon.

Nous sommes les enfants d'un roseau plié par un destin immuable, condamnés à aimer notre père comme il est, parce qu'on a que lui.

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