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L'homme en questions

Chaque automne, je vais m'exposer à la misère du monde et son esthétique troublante à l'expositionqui fait escale à Montréal. Invariablement, je sors de là décrissé, découragé, désillusionné, plein de questions sur l'humanité que j'habite, sur l'humanité qui m'habite. Guerres, viols, tortures, amputations, infanticides, génocides, chaque année je regarde avec désolation mon monde ne pas progresser
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C'est comme un rituel, une pause dans mon bien-être. Chaque automne, je vais m'exposer à la misère du monde et son esthétique troublante à l'exposition World Press Photo qui fait escale à Montréal jusqu'au 29 septembre au marché Bonsecours.

Invariablement, je sors de là décrissé, découragé, désillusionné, plein de questions sur l'humanité que j'habite, sur l'humanité qui m'habite. Guerres, viols, tortures, amputations, infanticides, génocides, chaque année je regarde avec désolation mon monde ne pas progresser. Chaque année, je reprends la mesure de l'impuissance, la faiblesse et la banalité des pensées, des mots, de leur écho. Et vous vous ennuyez sans doute déjà à me lire.

Après une heure et demie à regarder mon espèce dans ce qu'elle a de plus indigne, je rejoins mon amie dehors pour une cigarette qui se fume les yeux dans le vague, en silence. Au bout d'une minute, elle dit: "Ce sont les hommes qui font ça". Je réponds évidemment par un oui impuissant de la tête. Hommes décharnés, femmes brûlées à l'acide, enfants ensanglantés et empilés, la mort folle n'a ni sexe ni âge, et c'est l'humanité toute entière qui agonise. Son bourreau, c'est bien là le plus confrontant, est de notre espèce. Il est bien des nôtres. Au bout d'une autre minute, elle me regarde, et elle ajoute: "Pas les Hommes, les hommes!". Puis elle serre son poing devant son bas-ventre, mimant de saisir un pénis avec virulence, rompant soudainement l'élégance et la douceur qu'elle promène depuis toujours.

Celles et ceux qui ont la gentillesse de me lire à l'occasion savent que j'ai peu de patience avec les raccourcis malhonnêtes et militants, particulièrement ces temps-ci où il est de bon ton d'arborer un féminisme de guérilla, polarisé, sans nuances, idéalisant l'une, dénigrant l'autre. C'est pourquoi je taquine à l'occasion une Monique ou une Judith, soldates quotidiennes et sans joie d'une guerre inutile et sans vainqueur.

Mais mon amie a raison. Le bourreau de mon humanité, s'il me confronte par son appartenance à une espèce qui est la mienne, il me confronte encore plus par son appartenance indiscutable à mon sexe, à mon genre. Oui, la violence indicible et abjecte qui défile sous nos yeux au World Press Photo, si elle fait peu de cas du genre de ses victimes, elle est réellement et presque exclusivement le fait des hommes. Constat pénible duquel il est difficile de se dissocier quand on doit assumer ce qui est incontestable. Mais malgré l'évidence, la nuance est de mise, et il faudra se rappeler des hommes bons, et l'autoflagellation serait de toute façon sans issue.

Restent mille questions, toutes complexes, la plupart sans réponses, sur ce qu'est un homme. Pourquoi est-il envahi d'autant de violence et de cruauté? Quand se déclenche-t-elle? Pourquoi? Quelle est la part de cette violence qui m'habite, moi? Suis-je une bête contrôlée? Jusqu'à quand?

Bien humblement, la seule pensée qui me vient, plus comme une parade que comme une réponse, est de rendre hommage à la femme. Non pas dans une idéalisation idiote et dichotomique d'une sainte inventée qu'elle n'est pas, mais simplement dans la reconnaissance de la paix qui l'habite, et de sa générosité de continuer à vouloir aimer l'homme coûte que coûte, tandis qu'il trucide ses frères et ses petits.

Rodrigo Abd

Quelques photos du World Press Photo 2013

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