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Des barbus. J'en avais bien croisés quelques-uns sur le Plateau, ou aux abords des agences de pub, munis d'une chemise à carreaux, d'une fille à toupet et des lunettes d'Elvis Costello, mais j'étais loin de m'imaginer que c'était une génération tout entière qui était en train, sous mes yeux sans voix, de se rebûcheronner l'élégance. Barbu du Plateau, grâce à toi, notre tête se redresse, les toupets vont s'allonger, et les filles vont redevenir jolies.
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the man with a big beard and...
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J'étais vendredi dernier à l'église Saint-Jean-Baptiste à Montréal au spectacle tant attendu d'Avec pas d'casque et de Philippe B. Moi non plus je n'avais pas d'casque, et après m'être gelé les oreilles et les joyeuses pendant près d'une heure dans un vent glacial, moi qui croyais que les églises accueillaient jour et nuit l'humanité tout entière quelque soit sa condition, j'ai cependant passé une agréable soirée, que vous me permettrez de ne pas vous raconter, vous n'aviez qu'à y aller. Par contre, je veux bien vous parler du monde que j'y ai vu là.

D'abord, j'ai fait pipi avec Pierre Lapointe, à l'entracte, au sous-sol. Quel homme accessible.

Sur le chemin du retour, tandis que Chouchou, dans le blizzard, me faisait part des émotions poético-mystiques qui l'avaient pénétrée jusqu'à l'intime et à deux doigts du sacré, j'écoutais d'une oreille distraite et les narines collées, ne pensant qu'à mon statut Facebook où j'allais raconter cette minute unique à l'urinoir, deux par deux rassemblés.

Alors que j'aurais dû n'avoir en tête que les refrains mélodieux et mélancoliques d'Astronomie, je me surprenais à fredonner Le lion imberbe en attendant le métro. Et c'est à ce moment-là que j'ai changé d'idée. Je ne raconterais pas mon aventure urino-ecclésiastique sur Facebook, mais plutôt ce phénomène étrange que j'avais observé plus tôt, et ça donnerait ce statut, lumineux, vous me connaissez:

À l'église St-Jean Baptiste, au spectacle de Avec pas d'casque, il n'y avait que moi et Pierre Lapointe avec pas de barbe.

C'était d'une douce subtilité, c'était moins gênant pour le chanteur, mais surtout c'était vrai. 1 500 personnes étaient venues applaudir les artistes, et cette foule sympathique était exactement composée comme ceci: sept-cent-cinquante filles avec le toupet très court et très droit, et sept-cent-cinquante barbus, enfin sept-cent-quarante-huit puisque Pierrot et moi étions les deux seuls lions imberbes de la chapelle. Barbus, lions imberbes, Pierre Lapointe, ça va? Je fais de gros efforts pour que tout cela se recoupe et pour faciliter votre compréhension, j'espère que vous l'appréciez.

Des barbus. J'en avais bien croisés quelques-uns sur le Plateau, ou aux abords des agences de pub, munis d'une chemise à carreaux, d'une fille à toupet et des lunettes d'Elvis Costello, mais j'étais loin de m'imaginer que c'était une génération tout entière qui était en train, sous mes yeux sans voix, de se rebûcheronner l'élégance.

Mais ne croyez pas que ça m'a dérangé, bien au contraire. C'est même avec un regard tendre et envieux, moi qui viens de heurter la quarantaine contre mon gré, que j'ai regardé défiler dans l'église cette nouvelle race d'hommes que je n'attendais plus.

Ma génération, débalancée par nos tantes, avait vu naître de bien curieuses créatures, peu flatteuses, en quête d'accommodements, et pour tout dire assez ridicules. Et si nos tantes en étaient fières, nous cousines étaient bien découragées, à s'en saccager le toupet. Les plus virils étaient devenus des machos infâmes, les plus sensibles manquaient cruellement de virilité, et les plus intelligents étaient forcément puceaux et boutonneux.

Après quatre trop longues décennies à se demander, jour et nuit, comment passer l'aspirateur tout en ayant l'air de David Beckham et Mathieu Bock-Côté réunis, la lumière est enfin apparue, ce vendredi soir là, en l'église Saint-Jean-Baptiste de Montréal, irisant le sourire assumé et velu du sauveur carotté.

Barbu du Plateau, beau, jeune, intelligent, sensible, cultivé et à la virilité enfin retrouvée, je veux te dire merci. Tu mets fin à quarante années de disgrâce, d'errements, de honte... Mon espèce a souffert, mais grâce à toi, notre tête se redresse, les toupets vont s'allonger, et les filles vont redevenir jolies.

Avec pas d'casque

Spectacle à l'église Saint-Jean-Baptiste

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