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Je fais partie de ces 5 ou 6 % de la population qui souffrent de dépression saisonnière. Une maladie de riches, une maladie imaginaire pour enfants gâtés qu'on appelle aussi trouble affectif saisonnier.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Je souffre de dépression saisonnière, appelée également trouble affectif saisonnier. C'est une maladie qui touche une petite partie de la population de l'hémisphère nord.

Les symptômes

La dépression saisonnière se manifeste par une perte de motivation, des difficultés de concentration, et une certaine passivité. Un état proche de la mélancolie, non pas dans le sens psychiatrique du terme puisqu'on parlerait alors de dépression sévère, mais plutôt dans son acceptation poétique. Victor Hugo parlait du « bonheur d'être triste ».

Chez moi, la mélancolie se manifeste deux fois par an. La première est en automne. Pas l'automne qui précède immédiatement l'été, ce moment doux et coloré qui nous fait sourire de plaisir au coin du premier âtre avec aux lèvres un vin délicat, non, l'autre automne, celui de novembre, celui où, à travers une fenêtre humide, on regarde le monde se désoler dans une gamme infinie de gris interminables. Cet automne-là, ce novembre-là. Le novembre de Dédé Fortin.

Mon autre peine arrive fin janvier. C'est un classique, on y retrouve le fameux blue monday, le jour le plus triste de l'année. Une formule complexe permet d'identifier ce jour de janvier comme le pire de tous : mauvaise température divisée par manque de lumière, élevé au carré sur manque d'activités extérieures, auquel on additionne le ralentissement des relations sociales, le portefeuille martyrisé par Noël, et la proximité lointaine des prochaines vacances... autant de facteurs aggravants qui vous décrissent le plus vaillant des courageux.

Les traitements

Pour s'endurer l'existence et revoir un jour le printemps, les médecins recommandent en général une consommation frénétique en magasin, ou une forte médication. Non pas qu'ils soient convaincus que d'intoxiquer ses semblables soit la solution la plus efficace pour soulager les peines de janvier, mais un bon niveau de prescription leur garantit de la part de leurs fournisseurs des récompenses en Air Miles suffisantes pour aller se dorer la pilule dans un pays pauvre, mais chaud. C'est bien connu, la dépression des uns fait le bonheur des autres.

Le voyage est d'ailleurs un traitement recommandé au déprimé hivernal. Plutôt que de s'user le restant de bonheur à se demander la meilleure façon de survivre à janvier, une petite cure de rhum et de chaleur loin des responsabilités oppressantes du quotidien devrait l'éloigner temporairement de ses idéations suicidaires provoquées par une succession de déneigements hypothétiques aux alentours du Mont-Royal. Dans ce cas, le séjour tout inclus est vivement recommandé.

Le séjour tout inclus est un voyage dans le temps. Grâce à Régression Airlines, retour au temps chaud, humide et perdu de notre petite enfance.

Le vrai objet du voyage, c'est la dé-responsabilisation, au sens psychanalytique du terme. Pendant une semaine, le vacancier dépressif va abandonner tout ce qui caractérise sa vie d'adulte : il ne travaillera pas, on le transportera, on fera son lit, on le fera jouer, son déjeuner sera prêt, toujours prêt. Comme le nouveau-né, il sera identifié par un petit bracelet de couleur. Il n'aura d'horaire autre que celui de ses désirs primitifs.

Ses désirs de bouche d'abord. La tétée est au coeur de la vie de notre suicidé balnéaire. C'est le stade oral. Pendant sa semaine chaude, il trottine un biberon à la main en permanence. En sept jours, il boit plus que son corps n'en réclame. Comme quand il avait cinq mois, sa bouche est redevenue érogène : il tète. Son sein est le bar, arrondi.

Très vite, l'angoisse du 8emois. À l'instar du nourrisson, les visages familiers lui déclenchent de beaux sourires, et les visages étrangers des réactions de méfiance. Aussi, il évitera de sortir de son hôtel, au risque de croiser des indigènes hostiles, et il restera tout près du bar (le sein), certain d'y retrouver ses semblables, voire son médecin. Au besoin, il demandera au serveur de mettre la télévision au 32. En janvier, c'est La Voix.

Le carencé bronzé vit aussi, comme tous les nourrissons, ce qu'on appelle le clivage de l'objet. L'objet visé par les pulsions primaires (la mère, le lait, le sein) est divisé en deux parties : une bonne et une mauvaise. Par exemple, le clivage entre le bon lait et le mauvais lait, qui construira plus tard la symbolique de l'élixir et du poison, fait que notre résident en couches aura une forte propension à dénigrer le buffet de l'hôtel.

Enfin, tout au long de son séjour, le régressé estival aura à coeur de marquer son affirmation de soi. C'est le stade anal. Dans la nécessité d'affirmer sa toute-puissance dans une relation ambivalente d'amour-haine, l'enfant décide de donner ou de ne pas donner ses matières fécales. Le visiteur en gougounes en fait autant, avec le pourboire. La rétention anale est l'arme de pouvoir absolue dans les mers du sud.

Le dernier jour de son voyage, sur le chemin du retour, le dégénéré rassasié retrouve peu à peu son autonomie, voire le langage. Toutefois cette phase peut-être plus ou moins progressive, et il n'est pas rare de le retrouver à Dorval, par - 10 degrés, en shorts, le cul en l'air, en train de chercher les clés de sa voiture dans le fond de sa valise. À ce moment-là, le sacre constitue le premier retour au langage normatif.

Dans cette ultime étape de re-responsabilisation, il est donc à noter que l'élégance n'est pas la faculté qui se récupère la plus vite. Et selon plusieurs observations, dans de nombreux cas, elle ne se récupère jamais.

Alternatives

Je fais partie de ces 5 ou 6 % de la population qui souffrent de dépression saisonnière, cette maladie de riches, cette maladie imaginaire pour enfants gâtés. Entouré des gens que j'aime, vautré dans le luxe et gavé de divertissements tout aussi aliénants que déprimants, je n'ai à la vérité besoin ni de pilules, ni de voyages exotiques. Je n'ai qu'à ouvrir les yeux, et les détourner de mon nombril. Tourner un peu la tête, et regarder le monde. Regarder le monde et me réjouir d'être né sur le meilleur de ses flancs.

Regarder le monde et attendre doucement que sa rotation fasse repasser, devant ma porte, le printemps.

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