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J'ai le cancer

La mort est venue frapper à ma porte. J'adore cette métaphore, je l'utilise beaucoup dans les cinq à sept, ça me donne un air mystérieux et temporaire, ce qui suscite chez la femelle une urgence de rapprochement. Donc j'allais mourir. Plutôt que d'enfiler un t-shirt blanc frappé de logos commerciaux empathiques et d'aller marcher la nuit avec des plus cancéreux mais plus optimistes que moi, j'ai dit d'accord. Mourons.
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Enfin j'ai eu le cancer. Hier, il y a quelques années. Mais ça va mieux. Ça va même plutôt bien je crois. Je suis vivant. Mieux, il se peut même que je sois guéri. En tout cas, à me regarder la mine dans le miroir, ce reflet d'une rare beauté laisse fort à penser que la science a reporté mon départ. À moins que l'autobus de la CAQ ne me frappe, ce qui est toujours possible. Faut que ça change, après tout.

J'avais juste vingt ans, et je me déniaisais, au bordel ambulant, d'une armée en campagne. Non c'est pas vrai, pardon, j'avais cette chanson-là dans la tête. Je reprends. J'avais juste trente ans, un peu plus. J'étais déniaisé depuis longtemps, et tellement que j'avais déjà offert un enfant à notre bonne vieille humanité. Un petit crapaud à la Pagnol, qui avait forcément besoin de moi puisque, outre cette beauté évoquée ci-dessus, je me préparais aussi à devenir formidable, donc indispensable au devenir de mon excroissance.

Mais la mort est venue frapper à ma porte. J'adore cette métaphore, je l'utilise beaucoup dans les cinq à sept, ça me donne un air mystérieux et temporaire, ce qui suscite chez la femelle une urgence de rapprochement.

Donc j'allais mourir. Plutôt que d'enfiler un t-shirt blanc frappé de logos commerciaux empathiques et d'aller marcher la nuit avec des plus cancéreux mais plus optimistes que moi, j'ai dit d'accord. Mourons. C'est un peu tôt, c'est vrai, mais mon enfant était déjà si beau (pas besoin de vous expliquer pourquoi) que je me disais que ça lui donnerait une petite touche de romantisme supplémentaire s'il devenait orphelin. Ma veuve à venir était encore jolie, et j'ai toujours trouvé que le noir lui allait bien.

Je partais donc tranquillement vers une mort prématurée qui me permettait, tout de même, de rentrer dans la légende. J'avais fermé tous mes dossiers, mis mon avenir sur Ebay, et préparé ma valise.

L'idée de sa propre mort est insupportable, et elle n'a aucun sens quand on a trente ans. La seule chance de prendre les derniers apéros qu'il me restait la conscience tranquille était de m'en faire une amie. Et de me convaincre: la vie est ridiculement longue. J'ai trente ans, et j'ai déjà tout connu, tout goûté! Le chaud, le froid, l'amour, l'amitié, la peur, le travail, l'amour, l'ivresse, l'orgasme, l'enfant, la vitesse, l'amour, l'angoisse, la beauté, la contemplation, la peine, la mer, la montagne, l'amour... qu'est-ce qu'il me reste? Répéter tout ça, pendant cinquante ans encore? Dieu m'en préserve, ça va être interminable, et sans saveur. Jésus merci, j'ai le cancer.

Et c'est là que ça s'est gâté. Ce système de santé dysfonctionnel a décidé de s'occuper de moi. Gratuitement en plus. Médecins, examens, analyses, traitements, interventions, sourires... ils m'ont sauvé la vie, les cons. À grands coups d'humanité, et avec nos taxes, ils ont réussi à neutraliser le méchant, celui qui me donnait ce charme si éphémère et si insaisissable.

À l'hôpital, visite après visite, on me confirmait le pire: vous allez vivre Monsieur, et voir grandir votre enfant. Adieu air mystérieux et touchant d'un jeune homme de passage, adieu l'orphelin romantique. De retour chez les vivants, je devais prendre des REER, et ne jamais entrer dans la légende.

Quand on a embrassé la mort avec la langue, qu'on lui a caressé les fesses de confiance et de certitude, la vie est une salope sans promesse. La mort a quitté mes cellules, et je suis condamné à vivre.

Pourtant je suis encore malade. J'ai le cancer. Le cancer de l'avenir. La médecine m'a re-signé mon bail, mais j'arrive pas à défaire mes boîtes. Je l'aime bien notre maison, mais j'arrive pas à la décorer, parce que quand on a une amie comme la mienne, demain est une hypothèse, après-demain un défi, la semaine prochaine une fiction.

Et c'est une amie fidèle.

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