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Des «moustiques» à la révolution culturelle tranquille

Si nous voulons qu'il y ait plus de gens issus de la diversité qui consomment de la culture québécoise, il faudrait alors s'assurer qu'elle représente tous les Québécois qui la consomment.
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J'aimerais apporter ma modeste contribution au débat actuel sur la représentativité de la diversité dans le domaine des médias et de la culture. À titre de député d'une circonscription qui compte plus de 25 % de résidents d'origines diverses, mais également à titre de Québécois issu de la diversité. Il m'apparait important, et même nécessaire, de prendre part à ce débat qui touche un enjeu de société majeur.

Pour commencer, dans un contexte où la «culture» sous ses différentes formes est questionnée, analysée, et débattue, il me semble pertinent de revenir à son essence. Ainsi, selon le portail de l'UNESCO :

«La culture prend des formes diverses à travers le temps et l'espace. Cette diversité s'incarne dans l'originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l'humanité. Source d'échanges, d'innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu'est la biodiversité dans l'ordre du vivant.»

Je pense que cette définition de la culture est assez explicite sur son rôle et, notamment, sur les prérogatives en terme de représentativité qu'elle implique. Alors, à mon avis, la question qui devrait se poser aujourd'hui et dans le contexte de ce que certains appellent «l'affaire moustique», serait plutôt : est-ce que la culture québécoise aujourd'hui s'incarne dans la pluralité des identités qui forment la société québécoise ?

Médias et diversité

On a souvent dit que la télé est une fenêtre de la société. Pourtant, quand nous ouvrons aujourd'hui nos fenêtres et allumons nos télévisions, nous n'y voyons pas vraiment la même chose, et ce constat est également partagé par nombre d'acteurs impliqués dans les médias.

Dans un article, paru dans La Presse, traitant de la diversité culturelle à l'écran, Sophie Prégent, comédienne et présidente de l'Union des artistes (UDA) constatait que «notre télévision n'est pas représentative».

Dans un autre article traitant des minorités «invisibles» à l'écran, le comédien Didier Lucien revenait sur sa propre expérience en livrant certaines anecdotes concernant l'«accent» qu'on lui demandait d'avoir.

Récemment le débat sur la pratique du blackface a resurgi et s'est transformé en véritable «affaire moustique», suite à un article de Louis Morissette, intitulé «La victoire des moustiques», et publié dans le dernier numéro du magazine Véro. Louis Morissette y assimilait les gens qui dénoncent le manque de représentativité dans les médias à des moustiques. J'aimerais pourtant rappeler à M. Morissette que ces «moustiques», comme il les appelle, ont toute la légitimité et le droit de se questionner sur la culture qu'ils consomment, car il s'agit bien ici de consommation.

Je pense que Louis Morissette a ouvert une véritable boite de Pandore, celle qui renferme un constat dont on ne peut être fier sur la réalité et les enjeux de la représentativité de la diversité au Québec. Mais je pense que, sans le vouloir, il a rendu un grand service en imposant ce débat tant attendu.

Je dois l'avouer, cette histoire de représentativité m'interpelle tout autant que de nombreux Québécois préoccupés par ce fossé qui se creuse entre le «nous» que nous sommes et le «nous» qui nous est imposé dans certains médias. J'ai vraiment été interpellé par l'article de Marc Cassivi, «La couleur de la télé», qui a mis en évidence une réalité navrante : «Dans nos fictions, de manière générale, les Arabes sont des intégristes, les Noirs, des vendeurs de drogue et les Italiens, tous liés d'une manière ou d'une autre au crime organisé.»

Vous imaginez si, comme député, j'avais construit ma connaissance et représentation de ces communautés sur l'image que la télévision renvoyait, sachant que certaines de ces communautés représentent une grande proportion des résidents de ma circonscription. Je ne dis pas qu'il faut aujourd'hui censurer la télévision et y proposer des séries ou «tout le monde est beau et gentil», mais je me mets à la place de toutes ces personnes qui découvrent chaque jour qu'elles ne sont représentées que par des stéréotypes. D'autant plus qu'elles passent du stade de la non-représentation et, par conséquent, de l'absence de modèle positif, aux stéréotypes et clichés. C'est quand même lourd à supporter. Est-ce notre vision du «vivre ensemble» ?

Est-ce impossible d'inclure la diversité dans les médias, au-delà de la caricature ? Est-ce un danger pour les médias d'inclure la diversité sous ses différentes formes ? Vont-ils perdre leur auditoire en proposant du contenu qui ressemble davantage à la société qu'ils tentent de couvrir ?

Je ne le pense pas, et sur ce point, il faut le dire les médias anglophones ont une longueur d'avance.

Culture et diversité

La télévision est peut-être l'un des médiums les plus présents dans nos vies, mais la culture sous ses différentes variantes participe quotidiennement à construire notre imaginaire collectif. Prenons par exemple le théâtre, qui représente une des formes d'expressions culturelles les plus affectionnées par les Québécois. Est-il soumis au même constat concernant la représentativité de la diversité ?

Selon l'étude menée par le Conseil québécois du théâtre (CQT) et publiée dans le cahier participant interactif de son 13e congrès, qui a eu lieu en novembre 2015, on apprend qu'entre le 1er septembre 2014 et le 31 août 2015, seulement 11 % des artistes de la scène au Québec étaient issus des communautés culturelles ou autochtones.

Le journaliste Hugo Pilon-Larose, qui revient sur cette étude dans un article paru en novembre 2015, rapporte que :

Selon le CQT, les principales difficultés auxquelles font face les artistes autochtones sont :

- le caractère stéréotypé des rôles qu'on leur offre ;

- le sentiment d'exclusion qu'ils ressentent face aux artistes québécois dits de souche ;

- le sentiment d'être fréquemment sollicités pour jouer le rôle de « l'Indien ».

Il faut également rappeler que le théâtre a connu son «épisode blackface», avec l'affaire du Théâtre du Rideau Vert. En effet, il y a un an, le comédien Marc St-Martin s'était maquillé en Noir pour incarner P.K. Subban lors du traditionnel spectacle de fin d'année, l'organisme Diversité artistique Montréal (DAM) avait dénoncé le recours au blackface, et Denise Filiatrault, directrice artistique du Rideau Vert, s'était indignée de cette accusation. Cet épisode n'a malheureusement pas ouvert la porte au débat, mais a plutôt créé un froid entre les parties...

On change de médium, mais on ne change pas nos habitudes. Cette sous-représentativité ne touche donc pas que les médias, mais également un de nos fleurons, «la culture». Cette culture qui est pourtant notre fierté à nous, Québécois. Nous lui avons toujours consacré une place importante dans nos vies. Nous voulons en être fiers collectivement, nous voulons la porter collectivement, mais dans les faits, nous la soumettons à un certain filtre.

Vers un changement ?

Il semble pourtant qu'aujourd'hui nous assistions à une véritable prise de conscience, mais surtout une réelle volonté de débattre, de dialoguer, de comprendre et d'agir. Mon avis est que ce n'est pas par médias interposés que l'on initiera le dialogue, mais en invitant à la table de discussion toutes les parties concernées.

Et c'est dans cette optique que j'aimerais saluer l'initiative des Rendez-vous du cinéma québécois, qui organisent dans le cadre de leur 34e édition une table ronde sur la «Diversité culturelle à l'écran».

C'est ce genre d'initiative qui permettra d'offrir la parole autant aux acteurs du secteur culturel qu'à ses consommateurs, car elle leur offre la possibilité de se questionner ensemble sur les pratiques en matière de production culturelle, mais également en terme d'habitude de consommation.

Et si j'ai souvent évoqué le terme «consommation», ce n'est pas fortuit, mais bel et bien voulu, car la culture est un produit qui, au-delà de sa valeur patrimoniale, est également soumis à la réalité du marché de l'offre et de la demande.

On a trop souvent dit que les personnes issues de la diversité ne consommaient pas assez de culture : peut-être était-ce une manière de se dédouaner ou d'expliquer leur absence ou leur sous-représentation ?

Si c'était le cas, laissez-moi vous dire que si nous voulons qu'il y ait plus de gens issus de la diversité qui consomment de la culture québécoise, il faudrait alors s'assurer qu'elle représente tous les Québécois qui la consomment. Lorsqu'on met un produit sur le marché, on fait en sorte qu'il réponde aux attentes des consommateurs ciblés. Si on restreint son offre à un seul, il ne faut pas s'étonner de voir les autres consommateurs ne pas y porter d'intérêt.

Je pense également que nous avons toutes et tous un rôle à jouer. À l'heure où le débat s'impose dans les différents agendas, l'initiative et la démarche politique doivent s'inscrire en ce sens. Si nous voulons aujourd'hui que la culture québécoise dans toute sa richesse et sa diversité représente la société québécoise dans toute sa richesse et sa diversité, nous devons poser des gestes concrets qui permettront aux différents acteurs du milieu culturel de s'ouvrir à l'inclusion culturelle.

En tant que politiciens, nous avons une double responsabilité : renforcer la cohésion sociale, et respecter notre devoir, qui est de veiller aux intérêts et représenter toutes les Québécoises et tous les Québécois.

Aujourd'hui, nous avons un choix. Soit nous nous enfermons dans un mutisme en prétextant que ce débat n'est pas une affaire politique. Nous devrons alors faire face à nos responsabilités et assumer les conséquences de notre passivité, si demain cette crise du milieu «culturel» se transforme en crise sociale. Ou alors nous agissons, en prenant part à ce débat, et en offrant des pistes de solutions et de réflexion. La démarche du ministère de la Culture, qui vient d'annoncer la mise en place d'une nouvelle politique culturelle du Québec, va dans ce sens. Les consultations publiques sur le renouvellement de cette politique culturelle offriront, je l'espère, un espace de dialogue et de réflexion collective, car la culture, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous.

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