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Sommes-nous (dé)connectés?

J'étais contente de prendre le métro pour observer les gens s'affairer. Les lire eux plutôt que mon livre. Je lis la dépendance des esprits à la technologie du tout et maintenant.
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Je suis assise dans le métro de la ligne verte. Je compte 12 personnes debout devant moi. Aucune n'a les oreilles inhabitées. Vingt-quatre écouteurs blancs greffés grossièrement. Certains pendent. D'autres, trop enfoncés, rougissent des pavillons malmenés. Les gens tanguent et basculent au gré des freinages brutaux d'un conducteur zélé. Où sont-ils vraiment ces gens-là? J'ai l'air d'une intruse à simplement regarder. Anachronique. Je lis les affiches publicitaires. «Êtes-vous déprimés? Participez à notre étude clinique». L'écran me le demande au moins cinq fois. Hésitation. Qu'est-ce que j'ai manqué? Suis-je restée derrière la barrière? J'ai juste un livre dans les mains.

Berri-UQAM. Dix descendent. Six montent. Casque rouge, écouteurs blancs, cellulaire vissé à l'oreille, jeux vidéo sur tablette, livre sur liseuse. Un homme âgé se met à courir vers les portes automatiques. J'observe la scène avec impuissance. Il tire un chariot d'épicerie et manque de trébucher. Les portes se ferment. Il me fixe l'air abattu. Les autres n'ont rien vu, mais c'est à moi qu'il en veut. Sa silhouette s'efface avec la vitesse. Tout le monde a la tête baissée. J'ai levé la main en guise de fausse protestation.

Je retourne à mon livre quand quelqu'un hausse la voix. Une grosse dame engoncée dans un manteau rouge tire un gosse pleurnichard à bout de bras. D'abord, on ne le voit pas, puis il émerge au milieu de deux grands hommes baraqués. L'un, portant un casque deux fois plus gros que sa tête, fait un pas de côté. L'autre texte avec furie. Il ne voit rien. La mère tire, le gamin crie. Une autre dame tapote l'épaule du bras de la main qui texte. Moment de gêne et de sourires contrits. La grosse dame et son garçon passent entre les sièges. Ses fesses écornent mon livre. Je laisse ma place au gamin et me retrouve prise au piège d'une toile de fils blancs.

Un iPhone tombe. Les têtes se penchent vers le sol dans un mouvement parfait de synchronisation. Coup de chaud sous le barda de l'hiver. Un soupir collectif de soulagement couvre presque le brouhaha ambiant. «C'est pas le mien».

Personne ne se voit. Si, je vois que le gars devant moi est en train de perdre à Candy Crush.

Où sont-ils tous perdus? Le rythme des ombres virtuelles qui débarquent et embarquent fluctue, station après station. À certains moments, la promiscuité est intense. Ça sent la vieille barbe, le tabac froid, la salle de gym et la frustration de cols blancs. On se colle presque. Et pourtant. Personne ne se voit. Si, je vois que le gars devant moi est en train de perdre à Candy Crush.

J'étais contente de prendre le métro pour observer les gens s'affairer. Les lire eux plutôt que mon livre. Je lis la dépendance des esprits à la technologie du tout et maintenant. Musique, jeux, chat... Deux ados hésitent entre une duck face ou un fish gap sur Snapchat. Elles rient en regardant leurs écrans. Elles sont leur propre vedette. Je me sens isolée. Et les autres?

On annonce ma station. Il n'y a plus grand monde. Je débarque. Je referme mon manteau, enfile mes gants. Merde. Mon cellulaire. J'enlève un gant. Je cherche dans une des quatre poches. Je fais les quatre poches. J'ai chaud. « Attends le haut de l'escalier», me dis-je. Je le retrouve au fond de mon sac à la moitié des escaliers. J'ai trébuché. Ça me pique partout tellement j'ai chaud. Je prends l'escalier roulant, les yeux rivés sur l'écran. Cinq messages. 1- «faut du pain?». 2- «?». 3- «?». 3- «?». 4 - «pain???». 5- «ok!!». L'impatience. Je réponds «oui. T'es où?». Vibration: «pas loin». Sur ce, je m'élance sur le chemin de la maison déterminée à marcher consciemment.

Je regarde Facebook, Instagram et la météo. Je n'ai pas bien senti qu'il faisait très froid. Un rayon de soleil couchant s'infiltre à travers les mailles d'un grillage et fait scintiller la glace tenace de février. Je dégaine mon appareil photo, après tout j'ai passé 40 minutes sans y toucher. #slowlife #winter #coldAF #mtl #sunset #ice #mtlmoments #photooftheday....

Je n'ai pas vu la plaque de verglas.

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