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Examens d'entrée au secondaire: la société à la loupe de l'école

Chers parents, avez-vous déjà pris la loupe pour regarder ce qui est demandé aujourd'hui à votre enfant?
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Dans les prochaines semaines auront lieu les examens d'entrée au secondaire. Pour des centaines d'élèves et de parents, c'est le grand moment : mon enfant est-il capable d'aller dans une bonne école ? Saura-t-il « performer » ? On cherche des tuteurs, on révise les notions, on se demande ce que c'est cet examen. Chers parents, avez-vous déjà pris la loupe pour regarder ce qui est demandé aujourd'hui à votre enfant ?

Plus besoin d'écrire, plus besoin de penser

Au primaire, les enfants apprennent à écrire, mais pas à utiliser l'écriture. Les leçons sont distribuées sur polycopiés, l'enfant ne les recopie pas comme on le faisait encore il y a quinze ans. La plupart des exercices consiste à remplir des trous, à relier, à recopier une phrase. En mathématique, on n'encourage pas les enfants à avoir un cahier de brouillon à côté d'eux pour poser le raisonnement. Ils n'ont qu'un tout petit rectangle blanc ou bien doivent faire en marge du polycopié. Pas d'espace pour écrire, donc pas d'espace pour penser. Car écrire, recopier les données, la consigne ou la leçon, c'est se réapproprier la matière, c'est la représenter à sa manière, c'est l'intégrer dans son corps.

Les enfants n'écrivent plus...et ne lisent plus. La grammaire et l'orthographe leur sont enseignées en dehors de tout contexte. C'est-à-dire en dehors de tout texte. L'enfant pourra toujours reconnaître l'imparfait du passé simple, mais il ne saura pas raconter une histoire au passé, parce qu'il n'aura pas vu ces temps en contexte. Donnez-lui un exercice où il faut souligner l'adverbe, il aura tout bon. Mais dans un texte, il ne sait plus reconnaître l'adverbe. À vrai dire, il ne sait même plus à quoi ça sert, l'adverbe, dans la vraie vie. Il faudrait des Mesdames Marguerite pour lui répondre, des professeurs qui rappellent aux élèves que tout ce qu'ils apprennent concerne leur vie, au quotidien :

Les leçons de Mme Marguerite :

Les classes de mots : 11'42

Leçon de mathématique. la division : 7'26

Pourquoi savoir : 10'42

À l'examen d'entrée en secondaire, votre enfant devra faire une composition écrite. À onze ans, on lui demande d'être capable d'écrire en dix lignes une lettre pour convaincre le directeur de le prendre à l'école. Si vous regardez les modèles proposés dans les exercices de préparation, vous constaterez que personne n'écrirait jamais une telle lettre , et que si on laissait vraiment un enfant s'exprimer dans son langage, il ferait quelque chose d'infiniment plus original et mieux écrit. Mais ne vous inquiétez pas, il suffira à votre enfant d'écrire au début de chaque paragraphe « premièrement », « deuxièmement », et il aura ses points. Cet exercice est un avant-goût du fameux « schéma narratif » qu'il étudiera au secondaire. Il apprendra par cœur qu'un texte comporte une introduction, un développement avec des péripéties et des éléments déclencheurs, et une conclusion. Mais il ne saura pas faire une petite histoire qui a du sens. Mais rassurez-vous encore, chers parents, il performera : car il saura mettre les connecteurs logiques « d'abord, ensuite, enfin ».

Vous entendrez parfois l'argument « ils n'ont pas le niveau, on doit leur donner ces exercices simples, sinon ils coulent ». C'est tout simplement une inversion du problème : ça n'est pas parce que les élèves n'ont pas le niveau qu'on doit leur donner des exercices aussi absurdes, ce sont les exercices qui les rendent incapables de se servir de la langue et d'un raisonnement. Un enfant de six ans peut comprendre un poème de Prévert ou une chanson de Vigneault. Un enfant a le cerveau le plus extraordinaire pour inventer. Mais au Québec, le but de l'école est simple : faire des gens performants qui ne réfléchissent pas trop, et qui sont capables de noircir des cases.

Noircissez des cases

Il y a deux semaines, une petite fille de 11 ans a posé la question à son professeur : « Pourquoi à l'examen c'est des questions à choix multiples ? » Le professeur répond rapidement : « Parce que ça coûte moins cher », et passe à autre chose, comme si c'était quelque chose d'absolument normal.

Les examens à choix multiple permettent d'identifier les élèves qui ont absorbé le plus de matière, et non les élèves qui savent analyser, remettre en question, raisonner ou imaginer. Le but de ce questionnaire est d'être efficace : c'est ce qu'on explique aux enfants. Si tu vois que tu ne peux pas répondre, tu passes. Pendant les deux dernières minutes, tu réponds au hasard. Quoi, tu veux t'appliquer à bien faire en prenant le temps nécessaire ? Tu couleras !

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ces examens comportent une grande part de hasard et sont beaucoup moins objectifs qu'un exercice de rédaction en français ou de résolution de problème avec démarche en mathématiques. Car dans le questionnaire, un élève peut répondre bon par coup de chance, décaler ses réponses, ou savoir identifier la bonne réponse sans savoir la trouver par lui-même. La manière dont la question est posée peut être ambiguë et peut entraîner une autre interprétation. Alors que quand on a sous les yeux le texte d'un enfant, on sait tout de suite s'il a intégré la logique de la phrase, s'il sait ordonner ses idées, s'il a développé les réflexes d'attention pour écrire sans fautes, s'il maîtrise l'usage des différents temps des verbes.

Alors, pourquoi ne pas faire des examens à développement ? La réponse est très simple : corriger une copie prend plus de temps que de corriger des réponses vrai/faux, donc coûte plus cher. Pour les examens d'entrée, les questionnaires sont corrigés par une machine. Rendez-vous compte, chers parents, non seulement c'est plus avantageux de fabriquer des gens qui ne font que recracher la matière, mais en plus, ça coûte moins cher que de fabriquer des gens qui réfléchissent ! C'est tout bénéfice ! On achète ! En espérant que les enfants arrêtent de demander pourquoi :

« C'est quand qu'on va où ? » Renaud

Chers parents, vous n'y êtes pour rien

Chers parents, l'école est le prolongement et l'antichambre de la société... que vous fabriquez.

Continuez donc à mettre dans les mains de vos enfants des tablettes alors que les fabricants de tablettes eux-mêmes ne le font pas avec leurs propres enfants.

Continuez à encourager vos enfants doués à faire des mathématiques, continuez à vouloir que votre enfant soit performant.

Continuez à vous étonner que votre enfant ne respecte pas les consignes, si à la maison, il ne range pas sa chambre quand vous le lui demandez.

Continuez à vous satisfaire de ses bonnes notes sans vous demander ce qu'on est en train de faire de votre enfant.

À la veille des examens, on explique aux enfants les avantages qu'ils auront à intégrer une bonne école : ce sera dur, ça ne sera pas amusant, mais ils seront bien meilleurs que les autres quand ils arriveront au CÉGEP. Voilà l'argument principal qui leur est donné. Avons-nous pensé à leur dire qu'on peut aimer apprendre, et prendre du plaisir à travailler ?

Composition écrite à développement pour les parents d'élèves : « Le rôle de l'école est de fabriquer la société de demain ». Discutez cette affirmation et dites quelle société est en train de se fabriquer aujourd'hui.

«Des scènes au quotidien» est une chronique qui décrit chaque semaine une scène de notre vie quotidienne, apparemment banale, et en retire des questionnements sur nos habitudes, nos valeurs, nos préjugés, nos attentes. Parce qu'une société se comprend et se change d'abord par ses petits gestes. Et parce que les évidences sont faites pour être retournées.

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