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Notre système judiciaire peut-il contrer la culture du viol?

Faut-il envisager une justice non plus seulement punitive, mais véritablement transformatrice?
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Valerie Zink / Reuters

L'actualité nous rappelle régulièrement combien le dévoilement des violences sexuelles représente un défi pour les victimes. La récente affaire impliquant des agressions commises dans les rangs de la GRC le confirme, et nous engage du même coup à interroger le rôle de la police dans la perpétuation du problème. Plus largement, on peut se demander si notre système judiciaire est à même de contrer la culture du viol.

La semaine dernière, des dizaines de femmes et d'hommes ont accusé un ancien médecin de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de les avoir agressées sexuellement lors d'examens médicaux associés au recrutement dans ce corps policier ou aux soins de santé fournis à son personnel. Les faits se seraient produits sur une période de 22 ans, entre 1981 et 2003 à Bedford, une banlieue de Halifax. Des plaignantes surnommaient ce médecin « Dr. Fingers »... Ces allégations ressortiraient du recours collectif d'un millier de policières contre la GRC, laquelle a conséquemment reconnu sa mauvaise gestion des cas de violence sexuelle survenus dans ce milieu de travail ces 40 dernières années. Outre leur caractère massif, l'un des aspects frappants des situations associées au recours collectif contre la GRC comme à cette sordide affaire impliquant le « Dr. Fingers » est que des policières et des aspirantes-policières n'ont pas porté plainte au moment des faits.

Le défi du sous-signalement

Selon des articles de presse, plusieurs victimes auraient été réticentes à dévoiler qu'elles avaient subi de la violence sexuelle dans les rangs de la GRC de crainte d'être rejetées par leurs supérieurs, par leurs collègues. Elles ne voulaient pas être perçues comme des fautrices de troubles. On peut évidemment concevoir une telle inquiétude comme un indicateur du sexisme, des rapports de pouvoir et des relations d'autorité qui font du milieu policier un milieu inégalitaire. Il faut aussi considérer l'enjeu global du sous-signalement de l'agression sexuelle par les victimes. Selon le ministère de la Sécurité publique du Québec, près de 90 % des agressions à caractère sexuel ne font pas l'objet d'une plainte formelle. Majoritairement commis contre les enfants et les femmes, ces crimes s'avèrent les moins susceptibles d'être signalés à la police, malgré leurs conséquences souvent traumatisantes. Comme l'illustre le cas de la GRC, le dévoilement laisse craindre aux victimes des répercussions par trop négatives, en termes de stigmatisation sociale ou de perte d'emploi, notamment. De plus, il est permis de penser que plusieurs ne signalent pas faute d'avoir clairement identifié ou reconnu ce qu'elles avaient vécu comme une agression à caractère sexuel, représentant ce que des spécialistes qualifient des « unacknowledged rape victims ».

La banalisation du droit d'importuner

Bien que l'actualité des derniers mois laisse croire que la tolérance sociale va s'amenuisant, une large part de la violence sexuelle apparait banalisée, spécialement quand les gestes n'impliquent pas de brutalité physique. On remarque ainsi une tendance persistante à minimiser la portée de comportements répréhensibles à des degrés divers qui, des « blagues salaces » aux « mains baladeuses », en passant par les propositions sexuelles de tous ordres et en toutes occasions, ont pour origine le permis de chasse que s'arrogent les dominants. Les femmes et les personnes en situation d'infériorité hiérarchique doivent régulièrement composer avec le droit historique du plus fort qui les relègue au rang de choses à prendre – pour reprendre l'expression de Martine Delvaux. Ce genre de « traditions » engendre une intériorisation et une habituation parfois si puissantes qu'elles peuvent conduire des femmes à défendre la « liberté d'importuner » des hommes, comme l'illustre la tribune signée par Catherine Deneuve. Voilà pourquoi on peut parler de culture du viol, en référence à un environnement qui normalise une sorte d'appropriation permanente du corps et de la sexualité des femmes. À travers des discours et diverses pratiques - notamment institutionnelles, cette culture entraine le non-signalement des agressions à caractère sexuel. En ce sens, la culture du viol s'apparente à un dispositif de silenciation des victimes.

À travers des discours et diverses pratiques - notamment institutionnelles, cette culture entraine le non-signalement des agressions à caractère sexuel.

Que se passe-t-il quand les victimes portent plainte ?

Les affaires qui se succèdent dans l'actualité – pensons à Ghomeshi – mettent en lumière les lacunes du système judiciaire à traiter adéquatement les agressions sexuelles. Comment justifier un si faible taux de condamnation des agresseurs, de l'ordre de trois cas pour 1000 ? Les dossiers présentés à la police ou aux tribunaux sont-ils toujours traités avec le sérieux, le savoir-faire et le respect requis ? Le processus judiciaire prend souvent des airs de chemin de croix pour les plaignantes. On sait aussi que certains groupes sociaux sont surreprésentés dans les statistiques de victimisation sexuelle. Qu'en est-il du traitement réservé aux femmes autochtones et à toutes les victimes qui doivent aussi composer avec des discriminations en lien avec la couleur de leur peau, leur origine ethnique, leur statut migratoire, leur religion, leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur précarité économique ou leur handicap ? Comment sont accueillies les plaintes pour agression sexuelle des personnes ayant un passé criminel ou un vécu dans l'industrie du sexe ?

Changer les mentalités, transformer les pratiques

Au-delà des mentalités et des comportements individuels à changer, dans la police ou ailleurs, comment offrir une réponse étatique adéquate aux violences sexuelles qui affectent la vie de tant de personnes, surtout des enfants et des femmes ? Les organisations féministes et plusieurs autres acteurs sociaux demandent que cette préoccupation devienne une réelle priorité pour les gouvernements et que des changements structurels soient mis en œuvre. Le Barreau du Québec recommandait récemment différentes mesures à adopter pour garantir davantage de justice aux victimes d'agression sexuelle, à commencer par outiller la police dans la réception des plaintes. Il existe des pratiques apparemment prometteuses pour transformer les pratiques en la matière, mises en place à Philadelphie, à Baltimore ou dans des pays progressistes comme la Norvège. Au Canada, des services de police, dont la GRC, ont annoncé qu'ils procéderaient à une révision de cas d'agressions sexuelles classés non fondés. Ils tireront peut-être de ce processus des leçons profitables aux victimes, dans leurs rangs ou non. Loin d'être suffisantes, de telles initiatives sont néanmoins un pas dans la seule direction possible : l'amélioration du traitement judiciaire de la violence sexuelle.

Malgré l'importance de revoir de manière innovante la réponse judiciaire aux agressions sexuelles, une approche carcérale ne saurait être la seule solution privilégiée pour garantir un sentiment de justice aux victimes et les inciter à dénoncer.

Pour autant, les témoignages des survivantes comme les mobilisations féministes actuelles, si elles exposent les failles de notre système de justice, contribuent aussi à remettre en cause l'injonction à porter plainte. Malgré l'importance de revoir de manière innovante la réponse judiciaire aux agressions sexuelles, une approche carcérale ne saurait être la seule solution privilégiée pour garantir un sentiment de justice aux victimes et les inciter à dénoncer. #EtMaintenant, peut-on s'offrir collectivement d'autres options que la judiciarisation pour mieux appréhender et prévenir ces violences ? Pour contrer la culture du viol, faut-il envisager une justice non plus seulement punitive, mais véritablement transformatrice ?

Avril 2018

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