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L’exception culturelle: penser au-delà de l’ALÉNA et de Netflix

Pour défendre la vitalité de la culture québécoise, les batailles de Netflix et de l’ALÉNA seront évidemment déterminantes.
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Dans un monde où toutes les manifestations se trouvent en compétition dans une même arène, le rapport de force est brutal contre les collectivités minoritaires.
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Dans un monde où toutes les manifestations se trouvent en compétition dans une même arène, le rapport de force est brutal contre les collectivités minoritaires.

Alors que les gouvernements doivent définir leurs rapports avec les multinationales telles qu'Amazon et Netflix et que le libre-échange est contesté partout en Occident, les rôles économique et politique de la culture sont à repenser. Plus précisément, le principe dit de l'exception culturelle est remis en question dans ses fondements. Mais même si on peut et doit s'indigner face au laisser-aller dont, notamment, Mélanie Joly a fait preuve dans le dossier Netflix, l'enjeu s'avère beaucoup plus profond et une bonne décision ministérielle n'aurait pas inversé la tendance. On constate une divergence fondamentale entre la vision du monde portée par l'exception culturelle et les dogmes marchands du néolibéralisme qui façonne le monde contemporain.

Concrètement, l'exception culturelle constitue un principe juridique qui avait élevé les manifestations artistiques au-dessus des autres biens et services, entre autres dans les accords de libre-échange. Cela a comme conséquence la reconnaissance que la culture ne saurait être traitée comme une simple marchandise et que ses modes d'expression revêtent une signification bien plus profonde que la valeur économique. Ainsi, il peut être reconnu que les créateurs souhaitent exprimer des idéaux et, surtout dans le cas d'un peuple comme celui des Québécois, un sentiment d'appartenance à une identité collective. Si l'exception culturelle n'existait pas juridiquement, au-delà des engagements de principe qui font souvent office de vœux louables, quoique pieux, chaque mode d'expression serait jugé en fonction de sa rentabilité. La loi du plus fort prévaudrait. Dans le cas de l'ALÉNA, les États-Unis constituent clairement le plus fort compte tenu du capital des entreprises culturelles et de l'étendue de son marché. En ce sens, juridiquement, l'exception culturelle possède une raison d'être indéniable en une ère de mondialisation qui prend souvent les traits d'une uniformisation selon le moule des puissances.

Par contre, alors que les menaces explicites à son égard s'accumulent, l'exception culturelle est menacée dans son application et sa survie à long terme semble intenable. En effet, même si cela s'est parfois effectué en sourdine, l'actuelle mondialisation s'est imposée depuis le début des années 1980 avec les idéaux néolibéraux comme moteur idéologique. L'ouverture totale des marchés possède désormais une signification nouvelle dans la mesure où ses caractéristiques principales ont été exacerbées par de nouvelles technologies qui dépassent les frontières. L'exception culturelle ne saurait cadrer parfaitement au sein de celles-ci.

Le néolibéralisme dominant suggère que la concurrence devrait être appliquée à tous les domaines. La sphère mercantile s'accroit alors de manière presque illimitée. Pendant longtemps, on estimait que la culture était fragile et qu'elle importait plus que la valeur propre des biens et des services. Mais si le marché balaye tout sur son passage, comment une exception peut-elle survivre efficacement?

Plusieurs individus de bonne volonté répondront à cette question que des engagements internationaux garantissent la diversité culturelle. C'est factuellement exact, surtout depuis l'arrivée du nouveau millénaire. Ces ententes ne possèdent toutefois pas de portée contraignante et reposent sur la bonne foi des signataires. Or, le néolibéralisme colporte aussi une vision de méfiance à l'égard des sentiments collectifs, notamment à l'égard d'une nation. De là, la culture perçue telle une marchandise a pour vocation de charmer des consommateurs ne se définissant plus nécessairement par une tradition culturelle donnée. Les produits qui seront consommés sont les seuls qui méritent d'exister. Il faut donc souhaiter bonne chance aux créateurs québécois contre ceux d'Hollywood...

Dans un monde où toutes les manifestations se trouvent en compétition dans une même arène, le rapport de force est brutal contre les collectivités minoritaires. Bien que ses créateurs s'accomplissent magistralement sans compter sur beaucoup de moyens, la nation québécoise risque de vaciller dans ce contexte de mondialisation sans l'application d'un principe d'équité tel que l'exception culturelle. Par conséquent, alors que le néolibéralisme domine idéologiquement les sphères économiques et politiques de notre temps, le monde devient un grand marché et les individus voient leurs rôles de citoyens s'étioler au profit de ceux d'agents économiques. L'exception culturelle tente de freiner cela afin de valoriser et de défendre les créations pour les peuples et pas nécessairement pour les marchés.

Pour défendre la vitalité de la culture québécoise, les batailles de Netflix et de l'ALÉNA seront évidemment déterminantes. Mais il faudra penser au-delà de celles-ci et voir la guerre entre le principe d'exception culturelle et le néolibéralisme dominant. Elle est perdue d'avance... à moins de réfléchir plus largement à ce que nous voulons comme modèle politique et économique pour les peuples. Puis c'est possible d'y arriver !

Avril 2018

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