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Je suis hypersensible et mon quotidien est différent du vôtre

J'ai longtemps fait semblant, j'ai longtemps supporté, pour finalement renouer avec cette magnifique part de mon être: mon hypersensibilité.
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Je me sens profondément en marge du reste du monde.
Je suis hypersensible et mon quotidien est différent du vôtre
Je me sens profondément en marge du reste du monde.

J'ai longtemps considéré que les gens qui s'autoproclamaient hypersensibles assez pompeux et énervants. Soit ils avaient des problèmes et se reposaient sur leur «maladie» en déclarant qu'ils ne pouvaient rien y faire, soit ils avaient un ego inqualifiable et évoquaient leur hypersensibilité comme une mutation extraordinaire, les classant forcément au-dessus du reste de la plèbe.

Bref, ils me tapaient sur le système.

Puis j'ai rencontré Céline. Céline m'a tout de suite profondément irritée aussi. Elle avait 14 ans à l'époque, moi 15, et son excitation perpétuelle pour les affaires quotidiennes la rendait chiante. Elle sautait partout tout le temps, elle parlait sans cesse avec une voix très aiguë et trop vite, elle manifestait beaucoup trop sa joie.

Au fil du temps, Céline est devenue l'une de mes meilleures amies, qui fait toujours partie de mon entourage aujourd'hui. Je me reconnaissais en elle, en ses goûts, en ses aspirations, en sa façon singulière de percevoir le monde et d'interagir avec lui.

Céline vivait toutes les émotions avec une intensité rare. Quand elle était triste, elle semblait se morfondre dans un abîme sans commencement ni fin. Quand elle se sentait victime d'injustice, quand elle était en colère, elle était incapable de se contenir et finissait toujours par pleurer à chaudes larmes, le visage rouge et la voix vacillante, ce qui lui valut nombre d'humiliations.

Céline avait honte de ses réactions que d'aucuns jugeaient surfaites, Céline ne comprenait pas qu'on ne la comprenne pas. Bref, elle était une véritable hypersensible qui s'ignorait. Comme moi.

Je ne sais plus quelle est la première personne à m'avoir classée dans cette catégorie à laquelle je ne souhaitais pas appartenir. Non, je n'étais pas cette personne ridicule qui fait toute une montagne de rien! Si, je savais parfaitement gérer mes émotions et sentiments! Mais si enfin, tout le monde était indisposé comme moi par le trop-plein de stimulis extérieurs!

Je n'en démordais pas. Je voulais être une personne stable et équilibrée. Une personne normale. Pas fragile. Une personne à l'aise avec ses 5 (6, 7, 8?) sens. J'ai longtemps fait semblant, j'ai longtemps supporté, pour finalement renouer avec cette magnifique part de mon être.

L'hypersensibilité au quotidien, ça se traduit comment?

Ça se traduit d'abord par mes cinq sens exacerbés. Je suis, par définition, une personne extrêmement sensible sur le plan physique, ce qui me rend particulièrement exigeante. Le quotidien peut rapidement devenir lourd à supporter, éreintant.

L'ouïe

Chez moi, le sens le plus vivant, c'est l'ouïe. Là, par exemple, j'ai dû m'isoler pour écrire, parce que mon amoureux fait du bruit en nettoyant le jardin et que c'est pénible. Les sons, les bruits en tous genres m'indisposent et m'épuisent.

À l'école, je mettais toujours un temps fou à lire les textes et à les comprendre. Chaque chuchotement, chaque grincement de chaise, chaque crayon tombé par terre me déconcentrait à un point tel que j'étais obligée de m'arrêter.

En voiture, je demandais à mes parents de baisser le son. Pour écouter de la musique ou un quelconque enregistrement, il me faut une enceinte de qualité, sans quoi je subis les petits grésillements suraigus, ces fréquences que les autres n'entendent pas, mais qui me rendent folle.

Pour que vous vous rendiez compte de l'effet que ça me fait, je pourrais utiliser cette expression: ça fait saigner mes oreilles. J'ai des acouphènes très régulièrement.

Écouter des sons harmonieux provoque en moi un profond bien-être, une paix, un amour indescriptible.

Heureusement, mon ouïe sensible est aussi une véritable source de joie. Ce n'est pas pour rien si je suis passionnée de musique! Écouter des sons harmonieux provoque en moi un profond bien-être, une paix, un amour indescriptible.

La vue

Mon vilain petit canard. Je n'ai pas une excellente vue, je suis un peu myope et porte des lunettes pour conduire et aller au cinéma.

On voit grâce à la lumière, et c'est précisément là que le bât blesse. La lumière, lorsqu'elle est «mal dosée», est un véritable facteur de gène. Je ne supporte pas les néons ni les LED des supermarchés. Je règle toujours les ordinateurs au minimum. Je me fatigue très vite. Chez moi, les sources de lumière sont principalement diffuses, dites d'ambiance.

La lumière crée de violentes migraines ophtalmiques, et je suis incapable de dormir si je ne suis pas plongée dans le noir complet.

Le soleil que j'aime tant est une véritable source de souffrance, surtout ici, en Provence! Dès que je sors, ça me handicape. La lumière crée de violentes migraines ophtalmiques, et je suis incapable de dormir si je ne suis pas plongée dans le noir complet. Un vampire!

L'odorat

Chez moi, vous ne trouverez aucune source de senteurs non naturelle. Les parfums d'ambiance? Quelle horreur! L'encens? Sortez-moi de là! Les Febrez' et autres purificateurs? Hors de question! Ça pue comme ce n'est pas permis.

L'odeur peut s'avérer violente pour moi. Je sens tout. Si vous avez embrassé votre cher et tendre deux heures avant de me dire bonjour, vous pouvez être sûrs que je reconnaîtrais son parfum sur vous. La moindre trace d'une quelconque fragrance parvient toujours à mes narines. Parfums, savons, shampoings, crèmes, lessives... Mon passage au naturel est un soulagement sans nom!

Je vous laisse imaginer ce que ça donne dans le métro, ou bien dans une parfumerie. Même combat, c'est insoutenable. Ce n'est pas tant l'origine de l'odeur qui m'indispose – bonne ou mauvaise – que son intensité. Là aussi, les migraines sont fulgurantes.

J'adore me parfumer le matin, j'ai toujours su dénicher des perles de délicatesse, et être entourée d'une odeur salvatrice me fait sourire tout au long de la journée.

Mais c'est également une source de sentiments très positifs. J'adore me parfumer le matin, j'ai toujours su dénicher des perles de délicatesse, et être entourée d'une odeur salvatrice me fait sourire tout au long de la journée. De la même façon, je demande toujours à mon amoureux un T-shirt porté pour pouvoir dormir paisiblement. Ça me rassure infiniment.

Le goût

Là, par contre, c'est une source de jouissance rare!

Ce qu'il y a de bien avec le goût, c'est qu'il est le seul sens qu'on peut choisir ou non de solliciter. Si je ne peux rien contre les sons et les odeurs, je peux décider de ce que je donne à découvrir à mon palet. C'est génial!

Sans rire, je jouis vraiment en mangeant des plats raffinés.

Je ne peux pas manger ni piment, ni épices, ni poivre, ni sel, en trop grande quantité. La majorité du temps, je n'assaisonne rien. Ce qui est insipide pour vous est vraiment goûteux pour moi. Les légumes ont beaucoup de goût sans rien. En fait, je ne connais aucun aliment (proprement produit) ayant besoin d'un exhausteur.

Tout ce qui est saturé me déplaît (presque) tout ce qui est issu de l'industrie me laisse de marbre. Je suis difficile à contenter. Par contre, les produits «purs» m'offrent une satisfaction sans nom. Je me régale. Manger est un grand moment de plaisir. J'adore ça!

Le toucher

Aaah, le toucher! Pour faire court, je peux dire que je supporte particulièrement mal la douleur. Avoir faim est insupportable. Combien de fois ai-je entendu que j'étais trop douillette? Que je pleurais pour rien? ... En réponse à ma perception, mon corps marque pour un rien. Je suis pleine de bleus, tout le temps.

Je frissonne beaucoup. Je suis très sensible aux écarts de température. J'adore les caresses du bout des doigts, ainsi que les massages profonds. J'ai souvent l'impression qu'on m'agresse en me touchant.

J'atteins difficilement l'orgasme parce que la limite entre trop fort et pas assez est très ténue. C'est compliqué. Si je sens un souffle dans mes oreilles, ça me coupe. Si sa barbe chatouille mon cou ne serait-ce qu'une seconde, ça me coupe. Si mes tétons sont stimulés par les poils de son torse, ça me coupe. Et je ne vous parle même pas des sensations de mon clitoris ni de celles plus intérieures ...

Je fais très attention aux matières de mes vêtements, je ne les supporte pas toutes. À leur taille aussi. Une étiquette oubliée et c'est l'enfer. Une simple couture peut me préoccuper.

Je suis très sensible à tout ce que je touche au quotidien: objets, meubles, linge, matières organiques. Faire la cuisine à mains nues m'a toujours déplu. J'ai détesté ça longtemps – ça me révulsait – et suis à peine en train d'apprivoiser cet état de fait, maintenant que je comprends d'où il vient.

Au-delà des sens physiques?

L'hypersensibilité ne s'arrête pas au physique, vous le savez. C'est aussi et surtout là dans l'émotivité, dans les sentiments, dans notre perception de l'autre, de l'univers.

L'impression que le monde entier m'en veut

Comme mon amie Céline, je prends de plein fouet mes émotions et celles des autres. J'ai souvent eu l'impression que tout était personnel, que les gens m'en voulaient personnellement. Je me suis sentie sans cesse attaquée et, en réponse, je suis devenue une personne à forte susceptibilité. Je prenais tout mal. Je me vexais pour des broutilles. J'étais pleine de ressentiment à l'égard des autres. Un pas de travers de la part d'un ami et c'était fini, je lui en voulais éternellement. Ce n'est plus le cas à présent.

Je suis très attentive aux détails, j'enregistre tout. Avant de comprendre que l'autre avait ses propres démons à combattre et que ses réactions étaient muées par ses propres problématiques, j'étais persuadée d'être la source de tous les problèmes.

L'empathie

Sans que je m'en rende compte, mon empathie me jouait des tours. Mon humeur s'adaptait toujours à celle de la personne avec laquelle j'étais, sans que je ne puisse le contrôler. Je fusionnais littéralement avec elle, en particulier avec mon père. Mon père, cet homme génial, mais aussi cet être torturé, triste et désabusé.

Ses regrets, ses remords, sa vision noire de la vie sont devenus miens. Je prenais tout sur mes épaules. Je détestais les fêtes sans savoir pourquoi, c'était plus fort que moi. Tout ce qui le faisait souffrir, sans qu'il ne le formule, me torturait aussi.

J'avais l'impression de ne pas avoir de personnalité, de dépendre des autres pour vivre et pour ressentir, pour décider si j'étais heureuse ou pas

Les gens heureux, voire euphoriques, m'emplissaient d'une énergie nouvelle, qui s'affaissait dès que je n'étais plus en contact avec eux. J'avais l'impression de ne pas avoir de personnalité, de dépendre des autres pour vivre et pour ressentir, pour décider si j'étais heureuse ou pas. Les gens malades me rendaient malade. Quand on me parlait de cancer, je le ressentais en moi.

Je pleurais de joie aux mariages, l'angoisse de ma soeur me parasitait le coeur, le désespoir d'une chanson écroulait tout mon monde. Je ressentais tout très très fort, et n'avais qu'un exutoire: chanter.

Comme si quelque chose partait de moi, une antenne, et allait se connecter directement au coeur de l'autre. Je sens généralement quand on me ment, quand c'est à fleur de peau, quand une personne est sournoise. J'ai la larme à l'oeil facile, et j'ai besoin de montrer à l'autre que je comprends et que je suis là pour lui.

Cette empathie fait aussi de moi une personne très indignée par l'injustice, une personne qui souhaite, sinon guérir, aider.

S'émouvoir de rien

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été profondément bouleversée.

Bouleversée par ce poème, bouleversée par le baiser que déposait mon père sur mon front, bouleversée par la cruauté du camarade de classe qui écrasait les fourmis, bouleversée d'avoir à manger de la viande, bouleversée par les gouttes d'eau qui tombent du ciel.

Une véritable drama-queen! Je gardais toujours pour moi ces sensations et n'en parlais à personne. Tout le monde semblait trouver tout ça banal: passer pour une hystérique était contraire à l'image de stabilité, de roc, que je souhaitais donner au monde.

Ca se traduit par des périodes de désespoir dingue: pensées suicidaires, automutilations (rares, heureusement!), dormir 15 heures par jour, pleurer tous les soirs, imaginer un monde monstrueux dont on ne peut se sortir, et j'en passe.

Ça se traduit aussi par un bonheur si intense qu'on le sent venu tout droit de contrées divines : soulèvement du coeur, chaleur dans la cage thoracique, sourire qui décrocherait la lune, confiance inébranlable, certitude, paix profonde. Tout ça en étant tombée par hasard sur une abeille les pattes pleines de pollen. Dans mes phases de bonheur, comme actuellement, c'est un émerveillement de tous les instants.

Être instable, réagir trop fort

Comme Céline, je réagis très fort. Mes colères sont brutales, violentes. Elles ne durent que quelques minutes, voire secondes, pètent comme un éclair pour «rien». Une tâche sur un papier important, un petit truc qui foire. L'instant d'après, tout le monde est tétanisé, mais moi, je suis passée à autre chose et je ris. Mon amoureux trouve ça particulièrement déstabilisant.

Je suis instable dans le sens où je passe d'une émotion à l'autre sans prévenir, ce qui est particulièrement fatigant pour moi, et pour ceux qui me côtoient intimement.

J'aime intensément, à la folie. Je fais tout ce qui revêt de l'importance à mes yeux à fond.

Comme je le disais plus tôt, c'est quelque chose que j'ai particulièrement renié. En façade, je suis très calme, très zen. C'est une demi-façade parce que c'est aussi vrai, je suis d'un naturel calme. Mais je cache le plus possible à la société mes tornades internes.

Nervosité, incapacité à ne «penser à rien»

Quand Ornella m'a dit que j'étais nerveuse, je n'ai pas compris. Depuis, j'ai fait du chemin, et j'ai accepté que ça fasse partie de moi. Je ne laisse plus mon ego me donner une fausse image de moi-même (du moins j'essaie!).

Je suis nerveuse, et l'hypersensibilité fait de mon esprit un endroit dénué de pauses. Je pense à mille choses en même temps, de façon non linéaire. Mon mode de pensée fonctionne plus comme un arbre à multiples branches qui se côtoient et interagissent, que comme une pyramide dont les étages se succèdent logiquement et sont distincts.

Je suis en constante ébullition. Je mets du temps à m'endormir. Mes rêves sont peuplés de myriades d'évènements sur lesquels je réfléchis sans cesse. Je ne connais pas de moments de répit. Méditer m'apporte beaucoup, même si j'y arrive très (vraiment très) peu.

J'ai soif d'apprendre. Je ne peux pas m'arrêter d'apprendre.

Souffrir d'être seule et différente, mais accentuer mon «originalité»

Je me sens profondément en marge du reste du monde. C'est un sentiment qui n'a jamais changé. J'ai mis du temps avant de rencontrer d'autres personnes avec lesquelles partager ça, et je me demande même si j'y suis vraiment arrivée.

Cette différence m'isole et me fait souffrir. J'aimerais être quelqu'un qui n'a pas de problème pour s'intégrer, qui est animé par des sujets de conversation normaux. J'aimerais être quelqu'un de moins "profond", parfois.

Mais d'un autre côté, je cultive cette différence, j'en fais mon étendard. J'aime être originale, j'aime casser les standards et montrer qu'on peut faire autrement, ouvrir les portes, creuser de nouveaux passages. Si j'en parle ici, c'est parce que j'ai constaté que c'est quelque chose que les hypersensibles expérimentent beaucoup. Ça me rassure.

On peut le vivre comme un fardeau – je crois que nous l'expérimentons tous de cette façon les premières années – ou comme un splendide cadeau.

Je crois avoir fait le tour de ce que l'hypersensibilité apporte et génère au quotidien. On peut le vivre comme un fardeau – je crois que nous l'expérimentons tous de cette façon les premières années – ou comme un splendide cadeau. Aujourd'hui, c'est de cette façon que je choisis de le vivre, que je me teste. Je vois que grâce à ça, je peux apporter beaucoup autour de moi et vivre en harmonie.

C'est un article beaucoup plus long et différent des autres. Il était nécessaire. Il me fallait vous expliquer ça pour ensuite vous parler de mon éveil, pour vous raconter quels enjeux se jouent désormais dans ma vie, pour vous décrire ce que c'est que de mettre un pied dans ce qu'on appelle la spiritualité.

Et vous? Dites-moi, comment gérez-vous votre sensibilité? Comment ressentez-vous? De quelle manière vibrez-vous?

Ce billet est également publié sur le blogue Rozie & Colibri.

(le nom d'utilisateur de l'auteur a été modifié)

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