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«Le Clan des Prédateurs»: le retour du croque-mitaine

Un décor idéal pour créer de ces monstres qui marqueront profondément l'imaginaire occidental.
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L'Angleterre de la révolution industrielle, la France de la Renaissance. Deux époques qui vont bouleverser totalement les sociétés humaines pour le meilleur et... pour le pire, et qui offrent des merveilleux scénarios pour des bandes dessinées d'exception.

Jack avant Jack

Londres 1865. En pleine révolution industrielle, la City, centre de l'Occident, fleuron d'un empire sur qui le soleil ne se couche jamais, brille de ses plus atours. Mais, hélas, les plaisirs et les tentations qu'offre la ville sur la Tamise ne sont que pour les riches, la noblesse ou les chevaliers de l'industrie. Pour les autres, la classe laborieuse, les pauvres, les miséreux, c'est le cauchemar du travail inhumain et mal payé des factories, des taudis, des journées sans nourriture et d'une jungle urbaine plus violente que celle de Mowgli.

C'est dans ce Londres glauque, noirci par le charbon des trains, aux effluves d'urine, de sueur, de misère, de peur, d'angoisse et de frustration qu'habite le Bogeyman, croque-mitaine local, qui assassine les exclus du mirage industriel londonien au vu et au su d'un Scotland Yard qui n'en a rien à cirer : après tout, les victimes sont à peine plus civilisées que les rats qui pullulent dans les rues sales et transversales des quartiers populaires.

Toute l'indifférence de la force constabulaire londonienne n'empêche pourtant pas Jack, petit ramoneur, d'enquêter sur ce Bogeyman qu'il soupçonne d'avoir tué son père. Hélas, pour réussir à convaincre la police de s'intéresser à cet étrange personnage, Jack doit amener Liz, jeune héritière d'un des plus notables industriels de la ville, dans le repaire du monstre. Ce qu'ils y découvriront sera bien au-delà de ce qu'ils avaient imaginé, même dans leurs songes les plus terrifiants, ceux dont on espère se réveiller avant la fin.

Première collaboration entre Valérie Mangin, scénariste d'Alix Senator, et deSteven Dupré, dessinateur de Kaamelott, Le club des prédateurs est une magnifique réussite. Utilisant à merveille sa formation d'historienne, Mangin présente un Londres aussi impitoyable qu'inquiétant, une ville où les vices côtoient les espoirs naïfs de ceux qui croient encore en l'égalité des chances dans une société croulant sous ses non-dits et ses conventions sociales figées et hypocrites. Un décor idéal pour créer de ces monstres qui marqueront profondément l'imaginaire occidental.

Plus que ce Londres pré-Jack l'Éventreur admirablement dessiné par Dupré, c'est la montée dramatique du scénario qui séduit. Page après page, Mangin augmente la tension et tisse avec la patience de l'araignée l'atmosphère nécessaire à l'élaboration d'un angoissant suspense. Comme les penny dreadfuls de jadis, ces livres bon marché publiés sur du mauvais papier - équivalents des fameux pulp magazines américains - et spécialisés dans la littérature à sensation, Le clan des Prédateurs ensorcèle et amène le lecteur à la suite de Jack et Liz dans un cauchemar dont la conclusion surprend autant qu'elle coupe le souffle.

On savait Mangin talentueuse. Ses Alix Senator sont de merveilleuses relectures de Martin et ses trois tomes d'Expérience mort sont d'excellents récits de science-fiction. Avec Le clan des prédateurs, elle vient de faire une entrée fracassante dans le monde du fantastique. Il va falloir maintenant compter sur elle pour terrifier nos nuits.

La bataille pour la Bible

Umberto Eco nous a quittés il y a quelques semaines. Écrivain et intellectuel de haute voltige, son Nom de la Rose reste un monument littéraire qui repousse les frontières du roman policier en le métissant avec la société médiévale et la crainte de Rome devant la second tome de la Poétique d'Aristote. Et c'est à cette épineuse enquête de Guillaume de Baskerville que m'a fait penser Le maître d'armes, la très belle bande dessinée de Dorison, magnifiquement illustrée par Parnotte, dont le dessin traduit avec justesse la démesure des paysages montagneux du Jura, théâtre de cette poursuite infernale pour la possession d'une bible damnée.

Même si presque deux siècles séparent ces deux histoires, on y retrouve la même fougue, la même intelligence, la même judicieuse rencontre entre la grande Histoire et la petite, et le même combat contre l'obscurantisme religieux. Chez Eco, c'est ce fameux traité d'Aristote sur le rire, chez Dorison cette vulgate, une catastrophe pour la Sorbonne, qui craint pour son influence et son ascendance sur le petit et le grand peuple. Le tout sur fond de rivalité pour l'obtention de la fonction de maître d'armes du jeune François, qui vient d'accéder au trône.

Grand cru du 9e art, riche d'informations captivantes sur la France du début de la renaissance, les progrès technologiques - fascinante confrontation entre deux types d'épées - et les conceptions religieuses, Le maître d'armes, c'est du Dorison à son meilleur.

Tout comme son Long John Silver, majestueuse relecture de L'île au trésor de Stevenson, le scénariste raconte avec brio cette impitoyable fuite vers la Suisse en utilisant tout l'arsenal de son immense talent, mêlant adroitement suspense et réflexions historiques, proposant une interprétation pertinente, à hauteur d'homme, des luttes pour la liberté religieuse et du droit inaliénable pour tous de lire et connaître les textes sacrés

Si le deuxième tome d'Undertaker m'avait laissé sur ma faim, ce n'est pas le cas ici. C'est le Dorison que j'aime.

• Mangin, Dupré, Le club des prédateurs - Tome 1 - Le Bogeyman, Casterman.

• Xavier Dorison, Joël Parnotte, Le maître d'armes, Dargaud.

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