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Sous l'ombre menaçante de Staline

Il est difficile d'imaginer l'Union Soviétique des décennies 40 et 50 sans sentir son regard perçant et inquisiteur aux coins des rues, dans les stations de train et de métro ou dans l'ombre des bâtiments. Encore aujourd'hui son nom exerce une fascination pour les auteurs et la bande dessinée ne fait pas exception.
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Même s'il est disparu depuis plus de 60 ans Staline est toujours aussi présent dans la mémoire collective. Archétype de la folie destructrice, le dictateur soviétique s'est imposé comme une de ses figures du mal qui continuent d'alimenter l'imagination des auteurs. Il est difficile d'imaginer l'Union Soviétique des décennies 40 et 50 sans sentir son regard perçant et inquisiteur aux coins des rues, dans les stations de train et de métro ou dans l'ombre des bâtiments. Encore aujourd'hui son nom exerce une fascination pour les auteurs et la bande dessinée ne fait pas exception.

L'enfer de Stalingrad

L'année 2013 aura été l'année de commémoration du 70e anniversaire de la tristement célèbre bataille de Stalingrad, un des affrontements les plus violents qu'ont connu les troupes soviétiques et allemandes. Véritable guerre urbaine, chaque parcelle de rue fut défendue avec l'énergie du désespoir autant par les Soviétiques que par les nazis. Et si les tireurs embusqués et les unités d'arrière-garde - chargées de tirer sur les soldats qui fuyaient les combats - ont fait des ravages, les soldats des deux camps et les civils ont dû aussi composer avec l'impitoyable hiver russe, un acteur important de la bataille.

La bataille est grandiose, mythique, un théâtre parfait pour ces épopées de bravoure à la Robert Redford dans A Bridge too far ou à la Robert Mitchum dans The longest day. Pourtant ce n'est pas la voie qu'ont adopté Bourgeron et Ricard dans leur Stalingrad Khronika. Loin d'exploiter l'enfer des combats de rue, les auteurs ont préféré aborder l'horreur «stalingradienne» dans un huis clos particulièrement réussi où la complexité des relations humaines prennent une nouvelle dimension sous l'influence de la furie et de la violence incontrôlable engendrées par le chaos de la guerre.

Kazimir, Yaroslav, Simon et Igor parcourent les rues de Stalingrad et filment les combats qui s'y déroulent. Mandaté par le petit père des peuples lui-même, ils doivent réaliser un documentaire, ode au courage des armées soviétiques. Ces 4 hommes au passé trouble, aux motivations et aux ambitions très différentes s'affrontent constamment entre eux tout en tentant de survivre autant à la ville elle-même qu'aux patrouilles allemandes, qu'aux tireurs isolés et qu'aux détrousseurs de cadavres qui voient dans cet étrange quatuor la possibilité de s'enrichir.

Stalingrad devient le théâtre d'une confrontation humaine et d'une critique symbolique d'un régime où la terreur et la délation font parties du quotidien. Appuyé à merveille par un dessin aéré, aux parfums de Will Eisner, qui traduit à merveille la désolation et le vide d'une ville qui implose, Stalingrad Khronika nous donne une vision plus humaine de cette bataille, très loin de l'image froide des livres d'histoire. Stalingrad Khronika nous rappelle que si la guerre a su transformer des gens ordinaires en héros immortels elle à aussi exacerbé les cotés les moins agréables, les plus condamnables et les plus petits de l'essence humaine.

Staline, encore Staline

2013 a aussi été marqué par le 60e anniversaire de la mort de Joseph Staline un des plus sanglants personnages du XXe siècle. Une occasion parfaite et un théâtre fabuleux pour y camper des thrillers d'espionnage, de paranoïa et d'angoisse, typique de la guerre froide et du monde post-Yalta. C'est exactement ce qu'on fait avec L'enfant Staline Régic et Thierry Robberecht, les nouveaux animateurs du célèbre Guy Lefranc, création de l'immortel Jacques Martin.

Reporter français affecté à la couverture d'une tournée d'écrivains occidentaux en URSS en 1953, Lefranc se trouve malgé lui au centre d'une étrange histoire où il est question d'enfants clonés, d'imposture scientifique, de transfuges, de complot, sur un fond de guerre froide, de peur nucléaire, de délation, de secrets cachés et de mort de Staline.

Les auteurs nous proposent ici un thriller d'espionnage, classique mais efficace, comme on aimait les raconter avant l'imposition par le 9e art de l'image « james bondienne». Pas question ici de gadgets, de voitures extravagantes, de beautés sculpturales, non au contraire, nous sommes dans la quotidienneté d'individus qui se méfient autant des étrangers que de leurs compatriotes, qui n'accordent jamais leur confiance, qui risquent la visite de la police et des services secrets à tous moments et qui vivent dans une paranoïa extrême. Les auteurs ont plongé avec succès dans ce climat de tension, de méfiance et de guerre symbolique où toute avancée technologique, scientifique, culturelle, artistique devient une arme de propagande.

Tout comme l'avait fait Nury et Robin dans leur grandiose Mort de Staline aux éditions Dargaud, Régric et Robberecht présente un monde angoissant où les citoyens sont isolés, un monde de miroir aux alouettes - ou aux espions pour paraphraser John Le Carré- où la réalité n'est jamais celle à laquelle on s'attend, un monde factice où rien n'est réel et tout n'est qu'illusion, un monde où la vérité est tellement protégée par un mur de mensonges, que plus personne ne la connaît et ne sait où elle se cache.

Eh bien! Qui aurait dit que Lefranc, un témoignage de la guerre froide, saurait encore nous séduire au XXIe siècle.

Bourgeron/Ricard, Stalingrad Khronia,édition intégrale, Dupuis

Jacques Martin, Régric/Robberecht, L'enfant Staline, Casterman.

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