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Rosinski: la grande évasion de «Thorgal»

42 ans d'errance pour le mythique voyageur l'auront conduit vers l'infini et plus loin encore: un retour à la maison qui marque aussi les adieux de son créateur Rosinski.
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Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Jamais des vers n'auront mieux décrit Thorgal que ce poème de Joachim de Bellay. Et même si le poète a mentionné Ulysse, on peut facilement le remplacer par Thorgal. Puisque tout comme le héros d'Homère, il rentre enfin à la maison après son très long voyage. 42 ans d'errance pour le mythique voyageur qui l'auront conduit vers l'infini et plus loin encore. Un retour à la maison qui marque aussi les adieux de son créateur Rosinski, 12 ans après ceux de Van Hamme. À l'occasion de la sortie de son 36e Thorgal, Aniel, nous lui avons téléphoné. Discussion avec un nouveau retraité.

Courtoisie

«Je ne suis pas vraiment à la retraite. Je suis à la retraite de la bande dessinée, oui, mais pas de l'illustration. Je vais continuer à explorer le langage de l'image, que ce soit comme peintre et illustrateur, mais plus à partir de la bande dessinée, du moins plus à temps plein», explique-t-il au bout du fil, avec un ton empreint d'un mélange de douce fermeté et d'assurance.

42 ans avec le même héros, c'est tout un bail. Un bail qui, on l'imagine, a dû être difficile à rompre, chaque case, chaque planche devait être trempé dans l'encre de la nostalgie et du souvenir. «Pas du tout, affirme le bédéiste, pas du tout. À la différence de beaucoup de bédéistes, je ne considère pas Thorgal comme mon enfant. C'est un personnage de bande dessinée, il n'est pas vivant.»

Un aveu emblématique de la franchise, de l'authenticité d'un bédéiste qui s'exprime sans filtre et sans faux-fuyant et qui laisse même transpirer même un certain soulagement. «J'ai eu quelques ennuis de santé ces dernières années et j'ai dû restreindre mes activités.» Ne plus s'occuper de Thorgal, un travail à temps plein, devrait lui permettre de souffler un peu.

Mais il n'y a pas que la santé qui a justifié sa décision. Il y avait aussi un besoin de retrouver une liberté créatrice qu'il avait peut-être perdue avec toutes ses années au côté de son héros baraqué aussi droit et tranchant qu'une épée forgée par les terribles dieux du nord. Comme si Thorgal était devenu au fil du temps une cage dorée.

«Oui c'est la bonne expression. Comprenez-moi bien j'ai adoré travailler toutes ces années sur Thorgal. Je ne regrette pas ce que j'ai fait et je recommencerai demain le même parcours. Mais ça me prenait beaucoup de temps et je n'avais pas vraiment le temps de faire autre chose», souligne celui qui a quand même eu le temps de réaliser d'autres séries, comme la géniale Complainte des Landes Perdue ou encore La Vengeance du comte Skarbek.

Courtoisie

«J'aurais aimé l'amener graphiquement plus loin. Mais les lecteurs ne me laissaient pas beaucoup de latitude. Aussitôt que je bifurquais un peu, ils me le faisaient savoir», rajoute le dessinateur qui garde quand même une certaine nostalgie de ses premiers pas dans l'univers de la fantasie franco-belge. «J'ai adoré cette période. Je faisais mes classes, je découvrais les techniques et le langage de la bande dessinée. Je me donnais la liberté d'expérimenter. Avec le temps Thorgal est devenu une cage dorée. Une cage qui m'a permis de bien vivre ma vie certes, mais une cage dorée quand même», confie celui qui a littéralement inventé le métier de bédéiste dans sa Pologne communiste natale.

«Ça n'existait pas quand j'étais gamin. Mes professeurs à l'Académie des beaux-arts de Varsovie ne considéraient pas la bande dessinée comme de l'art. Personne ne pouvait donc m'aider ou me servir de modèle. J'ai dû trouver moi-même les réponses à mes questions.»

Ce qui ne l'empêche pas de se forger une excellente réputation d'illustrateur en Pologne qui lui permet de rencontrer Carlos Blanchart, éditeur belge de cartes de vœux en visite en Pologne à la recherche de nouveaux talents. Ce dernier impressionné par sa virtuosité, qui toutefois ne convenait pas pour les cartes de vœux, le met en contact avec Jean Van Hamme, jeune scénariste en quête de dessinateur, qui le rencontre en Pologne.

Rosinski lui présente quelques planches dont une qui raconte l'histoire d'un Viking. L'aventure Thorgal commençait. «À l'origine, Van Hamme ne s'intéressait pas à la fantaisie, ce n'était pas sa tasse de thé. Il a créé Thorgal pour moi.» Ce qui explique peut-être pourquoi après 29 albums le scénariste quitte le bateau. «Il considérait qu'il n'avait plus rien à dire, qu'il avait fait le tour du jardin.»

Courtoisie

Le tour du jardin, Sente le fera aussi après cinq albums cédant sa place à Dorison, le temps d'un album, et à Yann pour ce nouvel opus. Si le dessinateur ne tarit pas d'éloges sur le travail de Van Hamme et Sente, il reste toutefois silencieux sur celui de Dorison. La légende raconte qu'il y aurait eu quelques différends artistiques entre les deux créateurs.

Mas que ce soit Van Hamme, Sente, Dorison ou Yann, Thorgal reste indissociable du graphisme de Rosinski et on peut se demander comment son héros survivra à son départ.

Bah, qui vivra verra. D'ici là, on attend avec impatience les prochains travaux du légendaire dessinateur. Et qui sait, peut-être qu'un jour, pour le plaisir, il se frottera de nouveau à Thorgal.

On ne sait jamais, ça ne coûte rien de rêver.

Rosinski, Yann, Thorgal:Aniel, Le Lombard.

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