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Hermann: l'interminable crépuscule de l'Amérique

Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui n'a plus rien à perdre.
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Les jours allongent, les crépuscules aussi. Certains n'en finissent plus de finir, refusant de céder la place à une nuit bienfaitrice et réparatrice. D'autres, au contraire, sont trop courts, beaucoup trop courts, laissant trop rapidement la place à une nuit obscure et inquiétante.

L'interminable crépuscule

Mississippi, 1952, deux ans avant la décision de la Cour suprême américaine qui invalidait la politique ségrégationniste du système scolaire. Old Pa Anderson, usé par la vie, le labeur, l'alcool et le sexe, se réveille un matin, sa femme morte à ses cotés. Si la médecine conclut à un malaise cardiaque, Old Pa, lui, sait très bien que c'est la disparition, 8 ans auparavant, de leur petite-fille Lizzy qui a achevé sa vieille épouse.

Avec le chagrin, les langues se délient et le vieux travailleur agricole apprend qu'un témoin a vu sa Lizzy quelques minutes avant sa disparition. Pour Old Pa, l'heure de la vengeance à sonné. Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui n'a plus rien à perdre.

Nouvelle collaboration de Hermann et d'Yves H, Old Pa Anderson fait partie des bons albums du duo. Pas le meilleur certes - on est quand même loin de Station 16 ou de Sans pardon -, mais supérieur à la majorité de leur production.

Comme à son habitude, mais cette fois avec plus de succès, Yves H a concocté un scénario efficace, économe, et sur mesure pour le légendaire dessinateur maître des silences, de la lenteur et des atmosphères crépusculaires.

Véritable orfèvre de la quotidienneté, Hermann sait traduire avec brio ces quelques instants d'une vengeance impulsive, improvisée, faite d'erreurs, de hasards, de violence, sans démonstrations héroïques ou morceaux de bravoure.

Et si on pourrait reprocher au scénariste d'avoir écrit une histoire manichéenne, sans grandes nuances psychologiques, loin du souffle des grandes œuvres du genre qui viennent nous bouleverser, c'est peut-être parce que le moralisme, l'indignation et l'intellectualisme de bon aloi n'ont pas leur place dans cette vendetta.

Au contraire, loin d'être motivé par la noble cause des droits civiques, Anderson veut avant tout assouvir sa soif de vengeance, en finir avec la honte qui le tenaille depuis 8 ans - celle de ne pas avoir mis de pression sur un corps policier indifférent à la disparition de Lizzy - et retrouver la paix et l'estime disparues depuis que sa lâcheté avait pris le dessus.

Mais la justice du Mississippi est bien étrange, et encore plus pour un vieux Noir qui décide d'administrer sa propre justice.

Un destin tragique qui sert à merveille les deux bédéistes, qui y voient une métaphore de l'interminable crépuscule d'une Amérique raciste qui refuse de mourir.

Le dernier crépuscule

Si les morceaux de bravoure et d'héroïsme sont absents du dernier Hermann, ce n'est pas le cas de Yggdrasil, nouvel opus du Crépuscule des dieux.

Album de bruits et de fureur, où l'éclat des lames, le rouge écarlate du sang et l'écho du choc des armées qui s'affrontent avec violence et folie résonnent à chaque page, Yggdrasil propose un spectaculaire dernier tour de piste musclé à la légende la plus importante des hommes du nord. Exit les confrontations entre les hommes et les dieux! Exit l'affrontement entre les anciens dieux nordiques, qui sont en train de s'effacer de la mémoire des hommes, et le nouveau dieu chrétien qui s'impose sur la planète. L'heure est à la collaboration, seule arme efficace contre le Ragnarök et ses hordes de l'enfer qui, après avoir dévasté Asgard, s'attaquent maintenant au monde des hommes.

Si, graphiquement, l'album impressionne et nous en met plein la vue grâce au dynamique et puissant trait de Djief, force est de constater que le scénario, lui, est moins solide que d'habitude. Il faut toutefois reconnaître que la tâche était imposante, même pour un conteur aussi talentueux et aguerri que Jarry. C'est que depuis 2009, le bédéiste en a semé, des fils, tout au long de ses albums. Et même si certains ont été reliés dans les tomes précédents, les plus importants devaient être joints dans ce dernier opus, au risque de nuire à la fluidité, la linéarité et la compréhension du récit. Et c'est exactement ce qui s'est passé.

Effectivement, tout va trop vite dans cet ultime baroud d'honneur. Les ellipses, les trop nombreuses intrigues et les différents théâtres de l'action finissent par avoir raison de ce qui devait être une conclusion mémorable digne de cette excellente série. Il y manque ce petit souffle, cette petite respiration, ces petits silences qui permettraient au scénario de vivre au lieu de donner l'impression d'une locomotive folle, sans contrôle.

Avec un album supplémentaire, Jarry aurait mieux ficelé ses intrigues et guidé tout doucement le lecteur vers un chaos final plus grandiose, plus proche de la magnifique bataille du Gondor ou de la confrontation finale des hommes libres et des forces du Mordor proposées par Tolkien dans son Retour du roi.

Peut-être que Soleil n'a pas voulu d'un album de plus? Peut-être que Jarry n'avait pas de matériel pour faire un dixième tome? Je ne sais pas, mais il certain que je suis sorti perplexe de cette conclusion, impressionné par ses grandes qualités graphiques, essoufflé par la rapidité de son déroulement... et déçu parce que j'aurais aimé qu'elle aille plus loin.

Un excellent album, mais incomplet, loin de mes espérances.

• Hermann, Yves H, Old Pa Anderson, Le Lombard.

• Jarry, Djief, Héban, Le crépuscule des dieux - Tome 9 - Yggdrasil, Soleil.

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