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«Nymphéas noirs»: meurtres en couleurs

Un thriller fascinant, intelligent, bien mené, plein de nuances, de subtilités, de lumière, de parfums et d'émotions: si Monet avait été un auteur de thriller ou de BD, il aurait sans aucun doute écrit celle-ci.
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Pâques, avec son cortège d'archétypes symboliques ancrés profondément dans notre imaginaire collectif, arrive à grands pas. Parmi eux, il y a celui de Judas Iscariote, le traître par excellence, incapable de vivre avec son geste et qui va se pendre aussitôt la condamnation à mort du fils de Dieu prononcée.

Personnage dramatique au dilemme cornélien, l'apôtre maudit représente toute l'ambiguïté du traître. Le traître, et pas juste Judas, nous est souvent inconnu. Pourtant, il peut devenir un riche et troublant personnage lorsqu'on tente de le comprendre et de lui redonner l'humanité que son geste lui a enlevée.

Héros, Tyrone Mehan l'a été une bonne partie de sa vie. Un héros des patriotes catholiques de l'Irlande du Nord. Un héros qui, dès son adolescence, combat les forces britanniques qui occupent son Irlande. Un héros qui lutte contre le racisme de ses frères protestants rois et maîtres de l'Ulster. Mais un héros blessé par la violence quotidienne.

«Retour à Killybegs», Pierre Alary (Courtoisie)
Courtoisie
«Retour à Killybegs», Pierre Alary (Courtoisie)

Épuisé par un trop long séjour en prison entre les mains de gardes-chiourmes violents. Désenchanté par une guerre interminable sans espoir de paix. Déchiré entre sa foi envers la cause et ses remises en question. Mais surtout, un héros dont le rôle est de plus en plus lourd à porter et qui, sous la pression du MI5 qui détient des preuves contre lui, décide de trahir sa cause pour accélérer le processus de paix. Mais hélas, la trahison a un prix qui se paye souvent de sa vie.

Bande dessinée de l'année, Le retour à Killybegs est une véritable gifle. Une tragique complainte pleine d'émotions, de nuances, de tristesse et d'espoirs déçus, admirablement mise en image par Pierre Alary.

Adaptée du roman éponyme de Sorj Chalandon, la bédé d'Alary explore la psyché de Mehan, analyse le processus qui l'amène, lui patriote exemplaire, à tourner casaque et peint magistralement les ravages psychologiques du poids des remords que la trahison lui impose.

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Loin d'être l'archétype du mal, Tyrone est au contraire fondamentalement humain, avec ses forces, ses faiblesses, ses convictions, ses espoirs et ses lâchetés. La victime d'un démiurge insensible qui lui a réservé ce rôle, le plus inconfortable, le plus insoutenable qui soit.

Prisonnier de ses regrets, ostracisé par ses proches, par ses compatriotes, par son pays, Tyrone s'enferme et dérive peu à peu sur une mer tourmentée en attendant d'y sombrer, seule délivrance possible. Parce qu'il ne faut pas se leurrer: il n'existe aucun avenir pour lui. Si ce ne sont pas ses frères d'armes qui vont l'éliminer, c'est lui qui mettra fin à son existence.

Troublant portrait, Le retour à Killybegs se lit à petite dose tant il nous interpelle émotivement, tant il traduit à merveille la douce amertume et la triste mélancolie de ces magnifiques et poignantes ballades irlandaises.

La dame aux nymphéas noirs

Il ne se passe pas grand-chose à Giverny. À part le tourisme et la mémoire de Claude Monet, le grand maître de l'impressionnisme, le village normand regarde le temps s'égrener immuablement.

Il ne se passe pas grand-chose à Giverny. Pourtant un matin on y découvre le cadavre d'un homme visiblement assassiné. Le meurtre d'un bourgeois amateur d'art, fils aisé du pays qui aimait bien les femmes et les tableaux de Monet. Un meurtre qui plonge au cœur des secrets inavouables de ce magnifique village baigné par les couleurs et la lumière de l'impressionnisme.

Adaptation impressionnante du roman multi primé de Michel Bussi, considéré comme inadaptable, Nymphéas noirs est une réussite. Réussite scénaristique, puisque Frederic Duval reproduit le même rythme, la même richesse, la même subtilité et la même intelligence que le polar de Bussi. Réussite graphique puisque Cassegrain met en image avec émotion, élégance et délicatesse non seulement les mots de l'écrivain, mais en plus il les baigne de la lumière et des couleurs des plus beaux tableaux du peintre légendaire.

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Avec une facilité déconcertante, les deux auteurs nous guident à travers une intrigue captivante pleine de rebondissements sans ne jamais se perdre. Tout comme Michel Bussi ils savent nous raconter une histoire, nous emmener dans des sentiers insoupçonnés et tels des Thésée du 9 art attacher intelligemment tous les fils d'Ariane qu'ils ont laissé trainer un peu partout au grès de leurs pérégrinations impressionnistes. Rien n'a été laissé au hasard, tout a été préparé sans que ça paraisse.

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Un thriller fascinant, intelligent, bien mené, plein de nuances, de subtilités, de lumière, de parfums et d'émotions. Si Monet avait été un auteur de thriller ou de bande dessinée, il aurait sans aucun doute écrit Nymphéas noirs et Bussi, Duval et Cassegrain auraient dû imaginer autre chose.

Mais qui aurait peint ces magnifiques toiles?

Ça, c'est une autre histoire.

- Pierre Alary, d'après le roman de Sorj Chalandon, Retour à Killybegs, Rue de Sèvres.

- Cassegrain, Duval, d'après le roman de Michel Bussi, Nymphéas noirs, Dupuis.

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