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«Nick Cave mercy on me»: l'insoutenable sensualité du spleen

J'ai eu beaucoup de difficultés à m'y plonger, jusqu'au moment où elle s'est imposée en moi.
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Une fois la surprise déstabilisante assimilée, une fois le pacte entre le biographe et le lecteur signé, une fois la confiance établie, une fois notre abandon aux méandres les plus obscurs de la personnalité tourmentée de Cave assumé, la lecture de la bédé de l'Allemand devient jouissive.
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Une fois la surprise déstabilisante assimilée, une fois le pacte entre le biographe et le lecteur signé, une fois la confiance établie, une fois notre abandon aux méandres les plus obscurs de la personnalité tourmentée de Cave assumé, la lecture de la bédé de l'Allemand devient jouissive.

Quelques fois, certains livres se font désirer. Quelques fois, certains livres nous font passer d'incroyables épreuves avant de se laisser apprivoiser, de nous permettre découvrir leurs richesses. Quelques fois, certains livres exigent des preuves pour savoir si nous les méritons.

Pendant des années, j'ai eu de la difficulté à lire Tardi, je détestais profondément Adèle Blanc-Sec. Et puis un jour, je suis tombé sous le charme d'Ici Même et, dès ce moment, j'ai su que j'avais trouvé la clé pour m'aventurer dans l'univers du génial bédéiste. Depuis je me délecte de chacune de ses bédés.

J'ai ressenti exactement la même chose avec le dernier Reinhard Kleist, une biographie dessinée de Nick Cave. J'ai eu beaucoup de difficultés à m'y plonger, jusqu'au moment où elle s'est imposée en moi.

Le crooner des ténèbres

Il faut bien le reconnaitre, cette biographie n'est pas facile d'approche. Kleist s'amuse à brouiller les pistes, à défaire la linéarité chronologique, à faire intervenir les protagonistes des chansons de Cave, à nous proposer des sentiers qu'il n'arrête pas de modifier à mesure que nous nous y engouffrons.

Nick Cave, Murder Ballads
Courtoisie
Nick Cave, Murder Ballads

Mais une fois la surprise déstabilisante assimilée, une fois le pacte entre le biographe et le lecteur signé, une fois la confiance établie, une fois notre abandon aux méandres les plus obscurs de la personnalité tourmentée de Cave assumé, la lecture de la bédé de l'Allemand devient jouissive.

Bien sûr, l'auteur aurait pu être plus traditionnel, en adoptant par exemple la forme classique et linéaire de la biographie sans surprise ou encore en privilégiant une incessante valse entre les retours en arrière et le présent. Mais jamais ces procédés n'auraient rendu justice au musicien à l'imaginaire peuplé de personnages sombres et tordus, de références à la littérature mythique anglaise et de citations bibliques héritées d'une enfance marquée au fer rouge de l'anglicanisme.

«Nick Cave & the bad seeds: The boatman's Call»
Courtoisie
«Nick Cave & the bad seeds: The boatman's Call»

À travers les conversations que le musicien noue avec les héros de ses chansons— dont le troublant condamné à mort de The Mercy seat, dont Johnny Cash a fait une magnifique interprétation, ou l'inquiétant protagoniste de Red Right Han — Kleist s'immisce dans la psyché du chanteur où s'entre-mêle constamment ses délires imaginaires la réalité. Comme si la frontière entre les deux n'existait plus et qu'ils s'enlaçaient dans une danse mélancolique au parfum du spleen gothique des rues détrempées d'une Londres automnale quand le froid venu du nord fait planer son ombre.

Brillant exercice, malgré un dessin quelques fois paresseux, Nick Cave Mercy on me, est une œuvre puissante, audacieuse — un peu comme la biographie filmée de Todd Haynes, I'm not there consacrée à Bob Dylan — qui se laisse difficilement aborder, mais qui s'impose tant le bédéiste s'est parfaitement fondu dans l'esprit de ses chansons.

«Nick Cave, Mercy on me»
Courtoisie
«Nick Cave, Mercy on me»

Plus ça change, plus c'est la même chose

Il y a quelques semaines, je vous parlais de La Guerre des autres et de cette parole proche-orientale que les expatriés tentaient de se réapproprier. Eh bien une nouvelle bédé qui fait partie de cette mouvance, sans être toutefois celle d'un exilé, vient d'arriver dans nos librairies: Après le printemps, une jeunesse tunisienne d'Hélène Aldeguer.

Auréolé du prestigieux prix Raymond Leblanc de la jeune création Après le printemps se consacre à la jeunesse tunisienne trahie par les idéaux de la contestation de janvier 2011. Celle qui forcera la fuite du président Ben Ali et la fin de son régime. Mais, si ce mois de janvier a laissé entrevoir les plus beaux espoirs, force est de constater que plusieurs années après ce départ historique l'instabilité économique, le chômage endémique et le manque de perspective en l'avenir continuent d'accabler la jeunesse tunisienne. Manifestement, les promesses révolutionnaires en des lendemains qui chantent ont laissé la place au désespoir.

C'est cette jeunesse aux espoirs confisqués que raconte la très belle bande dessinée chorale d'Aldeguer. À travers le destin de quelques jeunes adultes, la bédéiste observe avec un regard implacable comment les forces de l'immobilisme ont assassiné la révolution et une jeunesse trop dérangeante.

Et même si la bande dessinée n'est pas exempte de défauts — le dessin pourrait être plus dynamique et le scénario un peu monocorde plus serré — Après le printemps reste une bande dessinée fascinante qui nous permet de mieux saisir la déception et le désabusement de cette jeunesse qui avait tant investi dans les mirages d'une révolution rapidement kidnappée par les bonimenteurs professionnels du pouvoir et du contre-pouvoir.

«Après le printemps: une jeunesse tunisienne»
Courtoisie
«Après le printemps: une jeunesse tunisienne»

Une œuvre qui laisse entrevoir une belle carrière.

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Quelle belle nouvelle pour les fêtes qui approche, Delcourt vient enfin de se décider à publier l'Intégrale de l'Ostie de chat, l'incontournable trilogie d'un tandem de rêve, Zviane et Iris. Portrait hilarant, décapant et juste des milléniaux, l'Ostie de chat est tout simplement irrésistible.

Réalisée par deux grandes bédéistes qui se complètent à merveille, la trilogie est un fabuleux instantané sur les milléniaux d'ici. Sans contredit l'une de mes trois bédés humoristiques québécoises préférées de tous les temps.

L'Ostie de chat
Courtoisie
L'Ostie de chat

Reinhard Kleist, Nick Cave, Mercy on me, Casterman.

Hélène Aldeguer, Après le, une jeunesse tunisienne, Futuropolis.

Zviane, Iris, L' de chat, l'intégrale, Delcourt.

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