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Nam-bok, la marche de la modernité

Une belle bédé sur les chocs des civilisations et qui nous rappelle combien les écrits de London, témoin de son époque, sont toujours aussi pertinents et actuels.
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Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime le Grand Nord. Scénaristiquement, il y a quelque chose de dramatique dans ces imposants paysages rudes et impitoyables, magnifiques et impressionnants, comme si la nature pouvait atteindre une cruauté à la hauteur de sa grandeur.

La ballade «groenlandaise»

Georges Benoît-Jean est un dessinateur maladroit, angoissé, en quête d'inspiration pour sa nouvelle BD. En pleine séance d'autodénigrement, le bédéiste reçoit un courriel du capitaine Magnus Kuller qui lui offre la possibilité de participer à l'installation d'une monumentale œuvre d'art signée Ulrich Kloster, artiste contemporain de renommée internationale, au cœur du parc national du Nord-Est-du-Groenland et de son réseau de fjords, le plus grand au monde. Pour le bédéiste, grand amateur des romans nordiques de Jørn Freuchen, véritable Hemingway scandinave qui fait aussi partie de l'expédition, l'appel de l'aventure nordique est trop excitant pour lui résister.

Casterman

Comme je suis un fan fini de ces aventures dans ces pays de l'extrême, j'étais, dès le début, presque gagné à la cause de cette bédé de Tanquerelle qui carbure autant au Hergé de l'Étoile Mystérieuse, qu'aux poignants récits de explorateurs des pôles à la Ernest Henry Shackleton. Je l'étais d'autant plus que le créateur avait véritablement vécu cette expédition arctique. En effet, pendant trois semaines le dessinateur, qu'on connait pour ses trois remarquables adaptations chez Sarbacane des Racontars de l'écrivain bourlingueur Danois Jørn Riel, avait eu l'opportunité de vivre non plus le Groenland par procuration, mais concrètement avec ses images, ses parfums, ses goûts et ses impressions.

Si des anecdotes sans liens entre elles s'insèrent à merveille dans un carnet de routes, c'est beaucoup plus difficile dans une fiction qui, elle, a besoin de ce fil rouge unificateur.

Tous les éléments étaient donc là pour en faire une BD d'exception. Malheureusement au lieu d'en faire un carnet de voyage autobiographique, par exemple l'incontournable Nunavik de Michel Hellman, Tanquerelle a décidé de l'aborder sous le regard d'une douce comédie-tranche de vie, un choix qui, hélas, ne rend pas justice à son aventure. Si des anecdotes sans liens entre elles s'insèrent à merveille dans un carnet de routes, c'est beaucoup plus difficile dans une fiction qui, elle, a besoin de ce fil rouge unificateur. Or même s'il tente d'en créer un, il reste qu'on le sent artificiel, comme s'il n'existait pas vraiment. Avec le résultat que Groenland Vertigo semble un navire sans gouvernail qui espère que les vents l'amèneront à bon port.

Sarbacane

Et on pourrait dire la même chose de ses personnages qui de prime abord s'annoncent truculents, mais qui au fil de pages se révèlent des figurants sans intérêt à mesure que se développe l'amitié entre Benoît-Jean et le baroudeur de la plume Jørn Freuchen.

Manifestement, Groenland Vertigo n'est pas une œuvre finie. Il lui manque un souffle épique, qu'on retrouve pourtant dans l'épisode où Freuchen et Benoît-Jean recherchent dans les montagnes rocailleuses du Fjord des Bœufs musqués d'Hoelsbu la Cabane des Anglais et sa mythique caisse de whisky cachée depuis 1913. Une anecdote qui donne un aperçu de ce qu'aurait pu être sa bande dessinée s'il avait décidé de mieux baliser sa trame narrative.

Sarbacane

«Qui embrasse trop, mal étreint», soutient le proverbe qui s'applique à merveille à ce Groenland Vertigo qui peine à respecter son postulat de départ et qui s'engouffre sur trop de pistes à la fois. Malgré tout, elle reste une BD honnête et amusante, mais pleine de promesses non réalisées.

L'appel de la modernité

Par une journée de tempête, Nam-bok a pris le large dans son kayak, il n'est jamais revenu. Du moins, c'est ce croit sa petite communauté inuite bien surprise de le voir soudainement de retour après plusieurs années de disparition. Mais est-ce vraiment lui? Et si c'était plutôt une ombre qui fuit le monde des ancêtres? Pendant une soirée Nam-bok tentera de convaincre ses pairs qu'au-delà des mers il y a d'autres peuples qui vivent dans d'immenses villes avec des coutumes inconnues de sa communauté, un monde tellement différent qu'il n'existe pas de termes inuits pour l'expliquer. Ébranlé par les inconcevables révélations le conseil du village décide de le bannir à jamais du village.

Futuropolis

Adaptée de Nam-Bok Le Hâbleur de Jack London, la bande dessinée de Thierry Martin est une troublante rencontre entre la modernité et les modes de vie ancestraux. Par l'entremise de l'enfant prodige, la modernité fait une entrée fracassante dans la vie de la petite communauté isolée au nord du Nord yukonnais.

Avec son acuité habituelle, London avait saisi l'importance cruciale de cette première rencontre entre ces deux cultures avant que le rouleur compresseur de la modernité blanche écrase définitivement la société traditionnelle inuite. Et si l'écrivain a su la mettre en mot, Martin, lui, l'a très bien traduit avec son trait économe, mais impressionniste et son habile utilisation du silence qui amplifie l'isolement des populations de ces régions froides, grandioses et superbes.

Hachette

Avec respect et discrétion, Martin relate cette rencontre civilisationnelle à hauteur d'homme, sans grands discours, sans manichéisme primaire. La communauté de Nam-bok a peut-être réussi à repousser les ombres et à intégrer temporairement son retour dans leur système de protection culturelle, mais le germe du doute est semé et l'implacable marche de la civilisation blanche, de plus en plus inexorable.

Une belle bédé sur les chocs des civilisations et qui nous rappelle combien les écrits de London, témoin de son époque, sont toujours aussi pertinents et actuels.

Tanquerelle, Groenland Vertigo, Casterman.

Thierry Martin d'après la nouvelle de Jack London, Nam-bok, Futuropolis.

Avril 2018

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