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«Les voyages d'Ulysse»: There is no place like home

Ulysse fait rêver. Tout comme son odyssée, la Grèce antique et la Rome républicaine ou impériale. Bon an, mal an, des dizaines de BD se nourrissent directement ou indirectement de ces grandes civilisations, de leurs figures légendaires et de leurs mythes. Si l'intelligence et l'originalité ne sont pas toujours au rendez-vous, la fascination, elle, l'est toujours. Alors imaginez quand ces trois éléments sont enfin réunis.
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Ulysse, son nom fait rêver. Tout comme son odyssée, la Grèce antique et la Rome républicaine ou impériale. Bon an, mal an, des dizaines de bandes dessinées se nourrissent directement ou indirectement de ces grandes civilisations, de leurs figures légendaires et de leurs mythes. Si l'intelligence et l'originalité ne sont pas toujours au rendez-vous, la fascination, elle, l'est toujours. Alors imaginez quand ces trois éléments sont enfin réunis, vous êtes certain de vivre un grand moment «bédéesque». C'est ce qui est arrivé avec Les voyages d'Ulysse la plus récente bande dessinée d'Emmanuel Lepage qui rappelle combien ces mythes sont pertinents, séduisants et évocateurs.

Heureux qui comme Ulysse...

Salomé Ziegler, jeune capitaine de l'Odysseus, a été nourrie toute sa jeunesse par les exploits d'Ulysse, racontés journée après journée par sa mère, disparue dans un imprévisible et tragique accident et peints avec talent, conviction et obsession par Ammôn Kasacz, un peintre en résidence chez elle. Incapable d'accepter l'inexorable pied de nez du destin, la jeune Salomé fugue loin de ce domicile hanté par la présence oppressante du souvenir de sa mère. Pour Salomé commence alors une interminable quête à la recherche de ce foyer bienveillant, disparu lors de cette tragédie déchirante.

Auréolée du Grand prix de la Critique 2016 de l'Association des Critiques et Journalistes de Bande Dessinée, la nouvelle création d'Emmanuel Lepage, en collaboration avec Sophie Michel et René Follet, séduit dès la première page, par la beauté de son trait émotif et élégant et par l'intelligence d'un scénario qui conjugue poésie, aventure et mystère.

Tout séduit dans cette bande dessinée; que ce soit ses fabuleuses scènes maritimes qui résonnent du bruit incessant des vagues, du fracas des tempêtes, des piaillements tonitruants des oiseaux, de la chaleur du soleil imperturbable et de l'immensité du bleu de la mer qui se confond avec celui du ciel, son utilisation judicieuse du récit d'Homère ou encore la présence des magnifiques illustrations de René Follet empreintes de l'obsédante fascination de Kasacz pour le roi d'Ithaque.

Lepage nous guide avec passion à travers cette quête identitaire et maritime qui n'est pas sans rappeler, autant par la précision de son trait, que par la force, la richesse et les nuances de ses personnages - Salomé m'a beaucoup fait pensé à Isa -, les mythiques Passagers du vent de Francois Bourgeon. Tout comme dans la légendaire série, le bédéiste à su traduire avec nuances non seulement l'irrésistible appel d'une mer qui fascine autant qu'elle inquiète, mais aussi cet urgent besoin de retrouver son foyer après une vie d'errance.

Une œuvre poétique, onirique et symbolique et un vibrant témoignage d'amour pour la Grèce antique, la mer et le retour vers son foyer.

... n'a pas été en Corée du Nord

Tout comme Salomé Ziegler, Jun-Sang jeune nord-coréen, réfugié illégalement en Chine, rêve aussi de retrouver ce foyer que la dictature de Kim-Jong Il a détruit. Avec l'aide d'un prêtre catholique et d'un réseau de Coréens du Sud opérant illégalement en Chine, Jun-Sang aide les évadés nord-coréens à passer en Corée du Sud. Si Jun-Sang se donne cette nouvelle raison de vivre, c'est qu'il a perdu graduellement au cours des 8 dernières années, au fil des privations, de la propagande et de la méfiance d'un régime autant inhumain qu'autoritaire, son foyer.

Surprenante bédé signée Ducoudray et Allag, L'anniversaire de Kim Jong Il raconte cette longue descente aux enfers de la famille de Jun-Sang victime anonyme de la folie d'un régime dégénéré.

Il n'est pas ici question de résistance héroïque pour cette famille respectueuse des règles et des lois, qui acceptait avec résilience les sacrifices «nécessaires » à la construction du paradis socialiste, mais de la vie quotidienne d'un pays isolé, sans nouvelle de l'extérieur, gangréné par la jalousie, la surveillance ordinaire et la délation. Le retour à la maison de sa sœur Kyung-Soon, partie étudier la comptabilité à Pyongyang, l'insupportable famine et le racisme dont est victime la famille - le père de Jun-Sang est un Sud-Coréen - les poussent, malgré tous les dangers, à fuir vers la Corée du Sud en passant par la Chine.

Une longue déchéance de 8 ans que Ducoudray décortique avec la précision d'un chirurgien. Si la bande dessinée commence avec des airs d'innocence, celle du jeune Jun- Sang qui nous raconte son quotidien dans cette mystérieuse Corée du Nord, rapidement elle se transforme en un cauchemar où chaque parole, chaque pensée et chaque geste, même anodin, peut valoir un billet aller seulement pour un des terrifiants camps de concentration nord-coréens.

Appuyé par le très beau trait faussement ingénu d'Allag, Ducoudray métamorphose subtilement ses personnages. De témoins passifs, ils deviennent de ceux qui sans le savoir, ou par dépit, résistent, se révoltent et décident de faire le grand saut vers l'inconnu, seule option envisageable devant l'impossibilité de vivre dans un endroit où la mort est la seule délivrance.

Une bédé troublante.

Emmanuel Lepage, Sophie Michel, René Follet, Les voyages d'Ulysse, Éditions Daniel Maghen;

Ducoudray, Allag, L'anniversaire de Kim Jong-Il. Delcourt.

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