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«La troisième population»: Vol au-dessus d'un nid de coucou

Cette fascinante bédé anthropologique capte, comme un appareil photo, un polaroid de la vie de ces écorchés de la vie.
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«À la Chesnaie on marche... beaucoup... On trottine, on cavale, on carapate, on traine du pied. On clopine, on flâne, on trépigne, on tourne, on retourne, on détourne. À la Chesnaie il n'y a pas de cul-de-sac, alors si on veut, on peut marcher toute la journée... Certains marchent seuls, certains en groupe, certains dans le même sens... D'autres se croisent, certains jamais et d'autres trop souvent... À la Chesnaie on marche...»

La Chesnaie est une clinique psychiatrique, en milieu ouvert, accueillant une centaine de bénéficiaires, venant aussi bien du Loir-et-Cher que des autres départements français et de la francophonie. L'institution se démarque par la place qu'elle laisse à ses usagers dans sa mission, son organisation, son fonctionnement et ses activités. Inspirée, dès sa création en 1956, par les nouvelles visions humanistes et progressistes qui nourrissent la psychanalyse et la psychiatrie, la Chesnaie est presque un ovni dans le milieu médical français conservateur.

Si la clinique fait bande à part dans le paysage des instituts psychiatriques, on peut en dire autant de cette fascinante bédé anthropologique qui capte un polaroid de la vie de ces écorchés de la vie.

Séduits par cette institution et son approche, Aurélien Ducoudray et Jeff Pourquié décident de la fréquenter, histoire de faire un reportage sur le quotidien de ses résidents. C'est cette expérience que les deux créateurs racontent avec verve et émotion dans l'étonnante La troisième population que les éditions Futuropolis viennent de publier.

Futuropolis

Pendant une semaine, les deux bédéistes vont partager le vécu de ces patients, s'intégrant dans les différents comités de vie, participant aux ateliers, aux activités et aux séances thérapeutiques, mangeant à la cafétéria, interviewant aussi bien le personnel soignant que la clientèle elle-même.

Si la clinique fait un peu bande à part dans le paysage des instituts psychiatriques, on peut en dire autant de cette fascinante bédé anthropologique qui capte, comme un appareil photo, un polaroid de la vie de ces écorchés de la vie.

L'oeuvre nous propose son choix éclairé d'anecdotes évocatrices, ses entrevues inspirantes, entres autre celle de son fondateur Claude Jeangirard qui nous sert une fascinante leçon d'histoire sur la psychose. Avec son utilisation judicieuse de l'immense richesse de la palette de Pourquié, La troisième population nous émeut autant qu'elle nous fait réfléchir sur la maladie mentale et la réintégration de ceux qui en souffre ou qui en ont souffert un temps.

Bande dessinée troublante, pas du tout «dark» et fondamentalement optimiste, La troisième population est un formidable cri du cœur, un coup de poing au cœur de nos conceptions désuètes, indifférentes et très stéréotypées de la maladie mentale, aux personnages sympathiques et criants de vérité.

Une grande réussite de Ducoudray et Pourquié qui ont réussi à traiter un sujet aussi difficile avec un regard frais, plein d'humour, de respect, sans jamais tomber dans le pathos à outrance et le misérabilisme.

Une bande dessinée plus qu'essentielle.

Le diable au cœur

Le diable au cœur! C'est ainsi que l'éditeur René Julliard avait publicisé Bonjour Tristesse, le mythique roman de Françoise Sagan, lors de la sortie en 1954, en référence à un autre roman qui avait fait aussi scandale, plus de 30 ans auparavant, Le diable au corps, de Raymond Radiguet.

Cécile, lycéenne parisienne, BCBG, désabusée de bon aloi, passe l'été de ses 17 ans sur la Côte d'Azur. Elle vit avec son père Raymond, avec qui elle a une relation fusionnelle, et la maîtresse de ce dernier à peine plus âgée qu'elle. La vie paradisiaque se déroule parfaitement, partagée entre les bains de soleil, la baignade, la lecture, les sorties mondaines et les discussions nocturnes, jusqu'au moment où Anne, une amie de sa défunte mère, se pointe le bout du nez. Sérieuse, moralisatrice, cultivée, intelligente et extrêmement séduisante la nouvelle venue va rapidement saborder l'équilibre du trio.

Pocket

Roman emblématique d'une jeunesse française d'après-guerre qui rêve de bouleverser le conservatisme de la société française et qui revendique une appartenance et une culture à des années-lumière des générations précédentes, Bonjour Tristesse a fait scandale dès sa sortie en présentant un portrait de l'adolescence moins idéalisé et moins naïf que celui de la «culture officielle». Loin d'être un ange, la jeune Cécile s'avère cruelle et prête à tout pour garder ses avantages et la stabilité réconfortante de son univers - n'hésitant pas à se servir de son amoureux et de la maîtresse de son père pour le rendre jaloux et lui faire quitter Anne - le tout sur fond de soleil réjouissant, de Méditerranée enivrante et de dolce vita.

Si l'adaptation cinématographique d'Otto Preminger en avait déçue plus d'un, cette version bédé, elle, répond aux attentes. Frédéric Rébéna a traduit à merveille la magie et le rythme de mots de Sagan. Loin de figer l'essence du roman, le talentueux bédéiste nous permet de la réinterpréter et de vagabonder sur les plages de la Côte d'Azur et dans ses magnifiques villas à la recherche de cette Cécile aussi séduisante qu'insaisissable, telle une beauté inatteignable.

Rue de Sèves

Et bien que le roman ait plus de 50 ans, il reste autant d'actualité comme si la fin de l'adolescence et l'entrée dans le monde adulte n'avaient pas tellement changé depuis les années 50.

Et ne serait-ce que pour cette constatation, le Bonjour Tristesse de Sagan doit absolument être relu et l'adaptation de Rébéna est une merveilleuse porte d'entrée pour découvrir ou renouer avec cette œuvre emblématique d'une jeunesse française.

Bonne nouvelle. Pour fêter les presque 20 ans de son roman Aliss, Patrick Sénécal, Jeik Dion, les studios Lounak et les éditions Alire s'unissent pour l'adapter en roman graphique. Et on ne peut rêver d'un meilleur dessinateur que Jeik Dion pour illustrer l'univers glauque et dérangeant de l'écrivain. Si vous voulez participer au financement du projet, vous pouvez le faire en visitant le site dédié.

AOL

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Aurélien Ducoudray, Jeff Pourquié, La troisième population, Futuropolis.

Frédéric Rébéna, d'après le roman de Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, Rue de Sèvres.

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