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«La tragédie brune»: le prix du silence

Le silence est une arme redoutable qui contribue à l'érection des régimes totalitaires.
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Le silence! Rien n'est pire que le silence, surtout celui de la personne qui sait, mais qui se tait... par peur, par aveuglement volontaire, par indifférence, par complaisance ou tout simplement parce qu'elle y voit un profit. Le silence est une arme redoutable qui contribue à l'érection des régimes totalitaires.

Le son du silence: les bottes qui claquent sur le macadam

En 1934, Xavier de Hauteclocque, grand reporter, ami de Joseph Kessel, héros de la guerre de 14-18, cousin de Philippe Leclerc de Hauteclocque – le libérateur de Paris – publie La tragédie brune, un reportage inquiétant sur la chape de plomb qui est train de recouvrir l'Allemagne.

Hauteclocque

Germanophile, le journaliste multiplie depuis 1932 les voyages dans le pays de Goethe pour comprendre le régime de l'intérieur. Fréquentant autant les dignitaires et les partisans du parti que les intellectuels et les Allemands moyens, de Hauteclocque observe, dissèque et témoigne du kidnapping de la démocratie allemande. Des observations qui dérangeront le régime qui finira par l'empoisonner lors de son ultime voyage en 1935.

Le bouquin de Hauteclocque aurait pu être totalement oublié en ce XXIe siècle amnésique, n'eût été la volonté des Arènes BD, qui ont eu la brillante idée de confier à Thomas Cadène et Christophe Gaultier l'adaptation bédé de son ouvrage phare.

Et quelle adaptation! Les deux auteurs nous amènent sur les pas du journaliste qui préfère fréquenter l'Allemand anonyme que les bonzes du gouvernement. Avec ténacité, il présente les aspects les plus sombres d'un régime encouragé par le silence d'une population terrifiée à l'idée de se retrouver dans ces camps d'internement inhumains qui commencent à pousser sur le territoire.

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Malgré ce silence et malgré la paranoïa des Allemands, il réussit tout de même à prendre un polaroid inédit du régime. Ce cliché inquiétant, magnifiquement rendu par les deux bédéistes qui ont su restituer une ambiance très proche de la trilogie berlinoise de Phillip Kerr, très loin de l'image glorieuse que Goebbels tentait de vendre aux démocraties occidentales complaisantes ou silencieuses, qui préféraient regarder ailleurs. Le véritable ennemi n'était-il pas l'URSS, plutôt que l'Allemagne d'Herr Hitler?

Si j'étais professeur en journalisme je ferais lire cette Tragédie brune, un plaidoyer essentiel sur le métier de journaliste dont le rôle comme le soulignait le grand Albert Londres «ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie

La froideur du silence

Le silence des secrets est aussi très présent dans la tranquille Suède. Bien sûr, il y a le spectaculaire, celui qui ébranle les fondements de la société. Mais il y a aussi l'autre, celui qui cache nos petitesses quotidiennes en espérant qu'il ne revienne jamais à la surface.

C'est justement ce silence, celui qui gangrène l'âme suédoise, qui nourrit les polars de Camilla Läckberg. Extrêmement populaire sur la planète polar, que notre collaborateur Daniel Marois décrit comme une auteure de polar de cuisine, tant elle analyse avec acuité et verve le quotidien de ses différents protagonistes, elle connait maintenant un succès dans le monde de la BD grâce aux excellentes adaptations signées Leonie Bischoff et Olivier Bocquet qui viennent de publier Le tailleur de pierre, leur nouvelle rencontre avec Läckberg.

casterman

Patrik Hedström, toujours policier à Fjällbacka est appelé d'urgence au port où un pêcheur vient de retrouver le corps d'une fillette, apparemment morte noyée. Apparemment parce que l'autopsie découvre de l'eau du robinet dans ses poumons et des hématomes sur sa nuque. Le hic c'est que la jeune noyée est la fille d'une des très bonnes amies de sa conjointe Erica Falk. À la recherche de la vérité, le policier et sa femme mettront au jour des secrets qui ébranleront la vie de la petite communauté.

La 3 adaptation des romans de Läckberg le Tailleur de pierre est une véritable réussite. J'avais beaucoup aimé le tome précédent Le prédicateur et cette nouvelle enquête est à sa hauteur.

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Avec ce nouvel opus, les bédéistes évoluent avec une facilité déconcertante dans le monde de l'auteure. Ils connaissent tellement bien son univers qu'ils s'y promènent avec une assurance notable, sans hésitation repoussant ses frontières, proposant une nouvelle lecture sans les détails inutiles et en misant avant tout sur son écriture dynamique.

Et croyez-moi, ce n'est pas une tâche simple de l'adapter. Ses polars sont de véritables briques qui font souvent plus de 600 pages. Ils contiennent une multitude de détails qui peuvent assommer quelques fois, mais qui contribuent à l'humanisation et à la véracité de l'intrigue qu'elle échafaude.

Avec respect, intelligence et un sens du récit exceptionnel, Bocquet élague la matière originale pour ne garder que les informations pertinentes, sans pour autant trahir l'esprit Läckberg, le tout appuyé par le magnifique trait d'une Léonie Bischoff de plus en plus mature graphiquement.

Si les polars de l'auteure peuvent en décourager plus d'un, les adaptations bédés, très séduisantes, sont une merveilleuse porte d'entrée à son univers. À vrai dire, les propositions des deux bédéistes sont peut-être même plus intéressantes que les romans originaux, parce qu'ils vont directement à l'essentiel et perdent le côté «téléroman» de ses écrits.

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Bref une très belle réussite, sans doute la meilleure des trois, qui donne envie d'en lire une 4. J'espère que le duo Bocquet, Bischoff vont encore nous nourrir longtemps de leurs adaptations.

Thomas Cadène, Christophe Gaultier, La tragédie brune, les Arènes bd.

Léonie Bischoff, Olivier Bocquet, d'après le roman de Camilla Läckberg, Le tailleur de pierre, Casterman.

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