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La loi des seigneurs: Astérix dans l'eau chaude

Ce n'est pas parce que nous sommes dans l'univers des «petits Mickey» que la vie y est toujours rose et que les aspects les plus abjects de l'homme y sont absents.
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Ce n'est pas parce que nous sommes dans l'univers des «petits Mickey» que la vie y est toujours rose et que les aspects les plus abjects de l'homme y sont absents. Au contraire, le succès de certains héros de papier attire autour de leurs créateurs une volée de rapaces séduits par les profits qu'ils peuvent tirer de ces personnages et de leurs parents vieillissants. Comme plusieurs des bédéistes légendaires nous ont quittés ces dernières années, laissant orphelin des héros mythiques au potentiel commercial certain, il est normal de voir surgir dans ce petit monde « bédéesque » ces vautours qui par toutes les manœuvres possibles tentent de se les accaparer.

Scandale dans la famille

C'est peut-être ce qui est arrivé à Uderzo? C'est du moins ce que croit sa fille Sylvie et son gendre Bernard de Choisy qui depuis plusieurs années tentent tout pour empêcher les profiteurs qui tournent autour du célèbre bédéiste de faire main base sur l'irréductible village gaulois. La loi des Seigneurs présente donc la version de Sylvie Uderzo et de son conjoint Bernard De Choisy qui ont été salis plus d'une fois dans la presse et qui sont, au fil des attaques, devenus les Yoko Ono de la bande dessinée.

De Choisy nous guide à travers les coulisses, quelques fois malodorantes, de cette affaire juridique qui dépasse de loin la planète bédé. Comme John Densmore qui s'opposa à ses collègues des Doors Robbie Krieger et à Ray Mazarek pour l'utilisation du nom et du logo du célèbre groupe - qu'il raconte dans son excellent The Doors; les portes claquent - l'auteur présente les dessous d'une interminable et triste saga judiciaire qui ne laisse personne indemne et surtout pas Albert et Ada Uderzo qui semblent totalement sous le contrôle d'un entourage proche du vampire.

Bien sûr il s'agit du point de vue d'un des plaignants, la distance externe nécessaire au jugement plus objectif n'existe pas. Mais ce témoignage de première main reste fondamental et nous en apprend beaucoup sur l'épineuse, mais fondamentale question des droits de propriété des créateurs et des ayants droit.

Page après page, le gendre d'Uderzo raconte cette pathétique sotie, grossièrement cousue de fil blanc, tellement énorme avec ses nombreux coups de théâtre, sa collusion et l'incompétence crasse du système judicaire qu'on en vient presque à ne plus y croire. Pourtant son écriture transpire la sincérité. Et même s'il exploite un peu trop l'émotivité et la victimisation, s'il fait trop souvent l'étalage de sa grande culture - il cite souvent des romans, des films et des écrivains qui n'apportent rien - et qu'il use à profusion des détestables anglicismes à la mode dans les salons branchés de Paris - il fait une véritable fixation sur le « storytelling » comme si aucun équivalent français n'existait - La loi des seigneurs reste un ouvrage captivant, pas toujours facile à lire, essentiel pour comprendre les enjeux de ces personnages de papier qui ont depuis longtemps acquis le titre d'icônes culturelles.

Les années Pilote

Si l'affaire Uderzo ne montre pas les aspects les plus séduisants du 9e art, ce n'est pas le cas de l'excellent bouquin Révolution Pilote 1968-1972 consacré au rôle de René Goscinny dans le légendaire magazine et dans le passage des « petits Mickey » vers la maturité. À partir des témoignages de Fred, Gotlib, Mandryka, Brétecher, Druillet et d'extraits des confidences de feu Giraud - parti vers les prairies éternelles depuis longtemps- Aeschimann et Nicoby dressent le portrait d'un 9e art en pleine mutation dans une époque nourrie au rythme des espoirs de Mai 68 et d'un homme au cœur de cette révolution qui en deviendra aussi la victime. Comme si dans leur désir de s'affranchir des conventions les « petits Mickey » devaient tuer celui qui les libérait.

C'est ce parricide symbolique qu'expliquent les auteurs en faisant témoigner ces créateurs, à la fois initiateurs et instruments de cette révolution « bédéesque ». Le résultat est fascinant et réjouissant autant pour ceux qui comme moi ont grandi en lisant un Pilote-Mâtin (quel journal!) - influencé par Fred, Gotlilb, Reiser et tous les autres qui étaient au cœur de l'explosion bédé, que pour ceux qui n'ont connu que sa légende.

Aeschmann et son compère Nicoby, qui avait réalisé la très belle entrevue dessinée de Fournier, ont visiblement eu beaucoup de plaisir à rencontrer ces dessinateurs mythiques et à reproduire leurs propos dans de magnifiques dessins qui illustrent l'atmosphère des entrevues.

À la façon d'Hunter Thompson, qui avec ses techniques scénaristiques, sa posture de participant et non plus de témoin distant et désincarné, redonnait au journalisme de la vie, de la passion et de l'émotion, le duo réinvente l'art de la confidence, la resituant dans l'imaginaire de l'interviewé - l'entrevue avec Druillet est un moment d'anthologie tellement ils ont bien cerné l'imposant et intimidant bédéiste, un sentiment que j'avais expérimenté lors d'une rencontre avec le père d'Urm le fou.

Ce qui en ressort c'est une fantastique appropriation par le lecteur de l'entrevue, une fabuleuse mise en scène qui nous transforme en témoin de ces rencontres privilégiées, qui transpire l'admiration que ces mythiques créateurs avaient pour le père d'Astérix et qui porte un regard critique, 40 ans après, sur cette période charnière et fondamentale de l'évolution de la bande dessinée franco-belge.

Bernard de Choisy, La loi des seigneurs, Michalon. Aeschimann, Nicoby, La révolution Pilote 1968-1972,Dargaud.

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