Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La jeunesse de Staline: l'homme de sang

Avec verve et enthousiasme, Benoît Abtey et Jean-Baptiste Dusséaux élaborent une intrigue maîtrisée et précise comme une horloge suisse où les rebondissements, les coups de théâtre et les révélations sont aussi surprenants que captivants.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Dans quelques mois, octobre ou novembre selon le calendrier julien ou grégorien, ce sera le 100e anniversaire de la révolution russe, un des événements clés du XXe siècle et de l'Histoire de l'humanité, un de ces terrains parfumés de l'odeur violemment enivrante du chaos où les individus exercent leurs grandes qualités et s'aventurent dans les tréfonds les plus obscurs de leurs âmes. Face à ces théâtres, où les extrêmes s'offrent un tragique tango, les créateurs ne peuvent qu'être séduits par toutes les possibilités de narration qu'ils offrent. Bienvenue dans l'univers du coup d'État bolchevik de 1917, là où dialoguent la lumière et l'obscurité.

Le mystère Romanov.

Martyrs de la Révolution d'Octobre, pour l'Église orthodoxe et les anti-bolcheviks du moins, le sort des Romanov a longtemps alimenté les légendes urbaines les plus folles rythmées par les inspirations dramatiques de ceux qui les propageaient; certains auraient vu la famille du Tsar en Bretagne, d'autres à New York, à Londres ou Berlin cachée, vivant modestement sous une fausse identité, aux aguets, avec la peur d'être reconnue par un des nombreux assassins dépêchés par le Kremlin. Et même si désormais on connaît leur destin et qu'on peut depuis 1998 visiter leur dernière demeure à la cathédrale Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, la fascination qui les auréole continue d'inspirer les meilleurs conteurs.

Et si la famille Romanov n'avait pas été assassinée par les bolcheviks? Et si, au contraire, elle avait été sauvée par une opération conjointe de l'Angleterre et de l'Allemagne, pourtant en guerre, et cachée à Berlin? C'est l'audacieuse proposition de Benoît Abtey, Jean-Baptiste Dusséaux et Mayalen Goust dans la très séduisante et inspirante uchronie Kamarades dont le troisième et dernier tome est maintenant disponible.

Avec verve et enthousiasme, Benoît Abtey et Jean-Baptiste Dusséaux élaborent une intrigue maîtrisée et précise comme une horloge suisse où les rebondissements, les coups de théâtre et les révélations sont aussi surprenants que captivants. « Storytellers » de grands talents, Abtey et Dusséaux fusionnent brillamment, comme des Nicolas Flamel du 9e art, la grande et la petite histoire, provoquant d'improbables rencontres crédibles entre personnages fictifs et véritables acteurs de l'Histoire, dont une apparition surprise d'André Malraux, l'auteur de la Condition Humaine, saupoudrant leur scénario d'événements inventés de toutes pièces, mais teintés du vernis de la plausibilité nécessaire à la réussite d'une uchronie.

Appuyés par le dessin lumineux de Mayalen Goust, qui traduit magnifiquement le vide et la solitude des immenses paysages enneigés, froids et ensoleillés de la Russie sibérienne, les deux scénaristes nous racontent une grande aventure passionnante et romantique qui séduit autant par son rythme que par son utilisation habile de l'Histoire et qui s'inscrit parfaitement dans ces grandes aventures qui m'ont tant fait rêver plus jeune.

Le mystère Staline.

Si le sort des Romanov a alimenté les espoirs les plus fous des anti-bolcheviks, Staline, lui, a nourri leurs peurs les plus terrifiantes et les plus viscérales. Mais avant d'être ce monstre sanguinaire Staline fut aussi un jeune adulte révolté par le sort de ses semblables. Qui était Josef Staline? Qu'est-ce qui explique que ce jeune séminariste, victime d'un père alcoolique et violent et d'une mère trop sainte pour être réelle, qui voulait sincèrement améliorer le sort des damnés de la terre, est devenu cet impitoyable dictateur paranoïaque aux mains rouges du sang de ses millions de victimes?

C'est son incroyable «flirt» avec les forces du mal que racontent Delalande, Prolongeau et Liberge dans cet excellent premier tome de la Jeunesse de Staline. Audacieux, têtu, tête brûlée, opportuniste, prêt à tout pour arriver à ses fins, ce jeune Staline nous rappelle le sympathique, mais maléfique Raspoutine d'Hugo Pratt, pas encore ce monstre sanguinaire qui régnera en despote sur l'empire soviétique, mais qui laisse tout de même échapper timidement sa part d'enfer.

Portrait évocateur de cette Russie pauvre, ignorante, en proie aux pires dérives capitalistes, et écrasée par les pouvoirs politiques et religieux, qui bien souvent se confondent, déchirée par ses traditions immuables et la violence d'une société divisée, véritable poudrière sociale qui ne demande qu'à exploser, la jeunesse de Staline explore le funeste destin de ce jeune Iossif Djougachvili, qui à force de mauvais traitements, de violences, de punitions injustifiées et de privations devint le parfait reflet de sa société, la réponse violente à un monde violent.

Rythmée et dynamique, La jeunesse de Staline pourrait être une fabuleuse bédé d'aventures aux personnages romantiques, fascinants et séduisants.

Rythmée et dynamique, La jeunesse de Staline pourrait être une fabuleuse bédé d'aventures aux personnages romantiques, fascinants et séduisants. Malheureusement, le règne de Staline n'a rien eu de romantique et même si on peut à l'occasion ressentir une certaine sympathie et un attachement tout aussi timide envers lui, les effluves de la folie destructrice du monstre sanguinaire qu'il deviendra par la suite qui imprègne chacune des pages de l'album nous ramènent vite à la triste réalité historique.

Une bédé essentielle pour comprendre la naissance du mal.

De la Russie on passe au Japon, où l'excellente bédéiste montréalaise Iris entreprend une tournée de promotion. Jusqu'au 27 mars, Iris proposera aux habitants du Pays du Soleil Levant ateliers, conférences et discussions sur la bande dessinée. Une belle façon de les initier à la richesse de notre 9e art.

Abtey, Dusséaux, Goust, Kamarades, trois tomes, Rue de Sèvres.

Delalande, Prolongeau, Liberge, La jeunesse de Staline, tome 1 Sosso, Les Arènes bd.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.