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«La guerre des autres»: le chant de l’exil

Renouant avec ses souvenirs, Boulad raconte, avec verve et humour, sa vie quotidienne dans une capitale sur le point d'imploser, Beyrouth.
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«Si on trouve de plus en plus de BDs qui parlent de notre mémoire, c'est peut-être parce que nous sommes plus nombreux et que nous avons trouvé les conditions idéales pour raconter nos histoires.»
La boîte à bulles
«Si on trouve de plus en plus de BDs qui parlent de notre mémoire, c'est peut-être parce que nous sommes plus nombreux et que nous avons trouvé les conditions idéales pour raconter nos histoires.»

Depuis quelques années, la bande dessinée laisse une place importante à la parole des fils du Proche-Orient. Dans la foulée des Riad Sattouf (l'irrésistible Arabe du futur), Brigitte Findakly (le magnifique Coquelicots d'Irak) et Joël Alessandra (le lumineux Petit-fils d'Algérie), de plus en plus d'exilés s'approprient une parole et une histoire confisquées.

«L'Arabe du futur»
Allary Éditions
«L'Arabe du futur»

Le dernier en date est Bernard Boulad, qui vient de publier La Guerre des autres, rumeurs sur Beyrouth, une chronique de son quotidien d'adolescent dans un Liban déchiré par la guerre civile et l'insatiable appétit de ses puissants voisins: Israël et la Syrie. À l'occasion de sa tournée de promotion québécoise, nous avons rencontré l'auteur.

Rencontre avec l'éternel apatride

«Si on trouve de plus en plus de BDs qui parlent de notre mémoire, c'est peut-être parce que nous sommes plus nombreux et que nous avons trouvé les conditions idéales pour raconter nos histoires. Vous savez, dans les sociétés du Proche-Orient, la communauté est plus importante que l'individu. Ce dernier a difficilement la possibilité d'exprimer sa singularité, tant la pression de la communauté est importante. En exil, nous sommes loin de nos sociétés. Nous avons un regard détaché sur elles. Nous pouvons nous réapproprier notre individualité», explique-t-il. «Mais attention, ça ne veut pas dire que nos sociétés sont des blocs monolithiques. Au contraire, il y a une diversité d'opinions et d'idéologies beaucoup plus importante que ce que les médias occidentaux dépeignent.»

Et cette mémoire d'exilé, l'ancien critique cinéma, jadis membre de la mythique équipe des premières années de l'hebdomadaire Voir la porte en lui depuis très longtemps. «Je devais la mettre sur papier. Je n'avais pas le choix. Je me devais de témoigner de mon parcours, ne serait-ce que pour expliquer les raisons de mon départ.»

Parce qu'inconsciemment, l'auteur ressentait peut-être le besoin de se faire pardonner sa fuite alors que le pays s'enfonçait dans ses heures les plus sombres. «Je ne me sentais pas à l'aise au Liban, je rêvais depuis toujours de le quitter, mais pas de cette façon», précise l'auteur qui a dû suivre sa famille qui n'était plus la bienvenue au pays du cèdre. «Même si nous avons été obligés de fuir, j'ai quand même eu l'impression d'avoir abandonné les Libanais. D'autant plus que ceux qui restaient au pays et qui ont vécu la guerre civile dans ses heures les plus violentes nous le faisaient sentir.»

«Petit-fils d'Algérie»
Casterman
«Petit-fils d'Algérie»

S'il porte depuis toujours cette blessure, La guerre des autres, qui devait à l'origine être un court-métrage, n'est pas pour autant un exorcisme. «Je ne sais pas si on peut vraiment exorciser les traumatismes de la guerre. Ils s'inscrivent dans notre chair et dans notre identité. J'ai connu beaucoup de réfugiés qui, plusieurs années après leur établissement dans une nouvelle société, continuaient à sursauter quand un bruit soudain se faisait entendre.» Un réflexe présent aussi chez les immigrants libanais qui risquaient en tout temps de tomber sous les balles des nombreux miliciens embusqués qui squattaient les appartements désaffectés de Beyrouth.

«C'est justement cette marque indélébile qui nous permet de relativiser les épreuves de la vie, d'avoir une meilleure compréhension et plus empathie pour tous les réfugiés de guerre.» Bernard Boulad

Renouant avec ses souvenirs, dont certains plus sensibles, Boulad raconte avec verve, humour et sans jamais tomber dans le pathos, sa vie quotidienne dans une capitale sur le point d'imploser, tiraillée entre les différentes factions musulmanes et chrétiennes.

«Nous étions dans un quartier relativement tranquille. Nous étions des chrétiens dans un quartier musulman. Au début, la guerre ne s'était pas encore fixée dans des quartiers. Ce que nous entendions c'était le bruit des armes automatiques au loin et les rumeurs de possibles assauts. Nous essayions malgré tout, malgré la peur qui nous tenaillait, de continuer à vivre normalement, de nous amuser, de rigoler», renchérit l'auteur qui reconnait toutefois que certaines réminiscences ont été modifiées avec le passage du temps.

«Coquelicots d'Irak»
Éditions Pow Pow
«Coquelicots d'Irak»

«C'est ma Guerre des autres. J'ai donc utilisé une mémoire sélective. Quand j'ai parlé de certains événements ou de certains personnages, mon frère et ma sœur n'avaient pas les mêmes versions. De toute façon, ce qui m'intéressait était de reproduire les émotions qui nous assaillaient et elles sont authentiques. C'est aussi pour ça que j'ai changé les noms des protagonistes et que je n'ai pas demandé de permissions, sauf à ma mère à une occasion, pour raconter ma guerre civile», souligne celui qui est présentement au Salon du livre de Beyrouth.

«J'ai bien hâte de voir la réaction du public là-bas», conclut l'auteur, qui espère que les ventes de sa BD lui permettront d'entamer la suite, plus noire, plus dure et qui portera sur sa fuite. «J'ai déjà commencé le scénario.»

Croisons-nous donc les doigts pour avoir le plaisir de lire ce deuxième tome de la Guerre des autres.

Bernard Boulad, Paul Bona, Gaël Henry, La guerre des autres, rumeurs sur Beyrouth, La boîte à bulles.

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