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La couleur de l'air: le nouvel optimisme de Bilal

Alors qu'il pourrait se reposer sur ses lauriers et mettre ses énergies dans sa carrière de peintre et de cinéaste, Enki Bilal continue de réinventer sa bande dessinée.
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Alors qu'il pourrait se reposer sur ses lauriers et mettre ses énergies dans sa carrière de peintre et de cinéaste, Enki Bilal continue de réinventer sa bande dessinée. À l'occasion de la sortie québécoise de La couleur de l'air, le troisième tome de la trilogie Coup de Sang, nous avons rejoint le bédéiste à Paris. Rencontre avec un artiste qui n'en finit plus de se redéfinir.

Fable - plus « planétologiste » qu'écologiste aux dires même du dessinateur - Coup de sang raconte l'ultime résistance d'une planète devant sa dégradation. Mais à la différence de la science-fiction traditionnelle, Gaia décide non pas de faire table rase de l'humanité, mais de lui donner une seconde chance, en la changeant, malgré elle, en effaçant sa mémoire et en recommençant l'expérience humaine à zéro.

Un nouveau départ qui est dans l'air du temps puisque Bernard Werber, le père des Fourmis écrit depuis 2012 Troisième humanité, une série de romans consacrés, eux aussi, à la réaction de la Terre face aux mauvais traitements infligés par les hommes. « Peut-être que les artistes ont une lucidité et une vigilance que n'ont pas les politiques ? Parce que ce sont les politiques et les financiers et leur obsession du pouvoir qui nous ont amenés dans cette situation chaotique. Face à ça les artistes, les auteurs, les philosophes se doivent d'être vigilants, de sonner l'alarme. Oui Coup de sang est une fable, mais c'est aussi une sonnette d'alarme. »

Cette sonnette d'alarme Bilal, très influencée à l'époque par la contre-culture, mai 68 et les premiers balbutiements de l'environnement, l'avait déjà fait retentir dans certaines de ses premières œuvres comme Le Vaisseau de Pierre. « Il y a effectivement un lien avec ces albums qui sont liés à la naissance d'une écologie très post soixante-huitard et aux premières prises de conscience écologistes. Mais la différence c'est que nous avons eu 30 bonnes années éprouvantes pour la Terre. Devant le manque de volonté des humains à résoudre le problème, la planète a décidé de le régler elle-même, en faisant le ménage sans pour autant faire disparaître l'humanité, en la réinitialisant comme on le fait avec un disque dur » précise le bédéiste.

Cette seconde chance optimiste est peut-être la grande surprise que nous réserve l'auteur dans cet album. Une affirmation que le dessinateur natif de Belgrade, reconnu pour ses fins plus pessimistes, nuance. « C'est vrai que le cycle précédent La tétralogie du monstre était plus sombre. Mais c'est parce qu'il était lié à l'éclatement de la Yougoslavie, un éclatement qui était à peine à deux heures d'avion de Paris. À cette époque je vivais très mal la destruction de mon pays d'origine. Mais je n'étais pas volontairement pessimiste, c'est la situation et la dureté des thèmes qui me l'imposaient. La tétralogie se termine quand même sur une note positive, mais je vous l'accorde Coup de sang est plus optimiste, la fin est ouverte, joyeuse et pleine de couleurs. Ce que je désire c'est provoquer une réflexion chez le lecteur » rajoute le dessinateur qui dès 1998 avait prévu dans son Sommeil du monstre la montée de l'obscurantisme et des intégrismes religieux tout comme il avait annoncé la fin du communisme en 1983 dans son superbe Partie de chasse.

Plus que son inquiétude face à l'avenir de l'humanité, c'est toute sa culture yougoslave qu'on retrouvait dans ce Sommeil du monstre. « Je l"ai abordé avec mes tripes. J'y ai mis tout ce que je devais y mettre. Mais maintenant que la catharsis est terminée, je suis plus ouvert, je me sens plus citoyen du monde, je me sens moins préoccupé par mon pays d'origine et plus par l'avenir de la planète. Mon regard est plus global, moins porté sur les frontières et les nations. Je pense que l'enjeu du futur c'est l'abolition des frontières et des nations et la découverte d'un langage humaniste qui prendrait en compte l'ensemble des populations du monde. »

Si Bilal surprend avec cet optimisme « modéré » il déstabilise aussi le lecteur en adoptant un dessin beaucoup plus sensuel et chaud, hérité de sa peinture, et une nouvelle forme de narration plus proche du roman que de la bande dessinée traditionnelle. « En général les lecteurs de bandes dessinées n'aiment pas quand les choses changent. La bande dessinée est un art conservateur, figé, passéiste, trop proche du cinéma. Le fait de faire des films m'amène à pousser la bande dessinée vers ses zones littéraires. Il y a du texte « off » qui raconte l'intériorité des personnages et il y a du texte qui contient des images mentales que le lecteur fabrique, mais que je ne montre pas graphiquement. C'est ce qui explique pourquoi mes dernières bandes dessinées ont moins de cases. C'est une façon pour moi de me mettre en danger. » Cette nouvelle approche lui à fait perdre des lecteurs de bandes dessinées classiques, mais lui à fait gagner de nouveaux lecteurs qui ne sont pas automatiquement des amateurs de bédés.

Mais amateur de bandes dessinées classiques ou pas, il reste que la sortie d'un nouveau Bilal est toujours un événement qui suscite autant l'admiration que le dénigrement, comme si chacune des ses parutions appartenaient plus à son public qu'à lui. Et cette Couleur de l'air ne fait pas exception à la règle, si on regarde les nombreuses critiques publiées un peu partout sur la planète bédé depuis sa sortie.

A vous maintenant de vous approprier son nouvel opus... de le célébrer ou de le rejeter.

Enki Bilal, Coup de sang tome 3, la couleur de l'air, Casterman.

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